Fabriquer la ville du futur Jean-Paul Viguier Jean Paul-Viguier est un architec
Fabriquer la ville du futur Jean-Paul Viguier Jean Paul-Viguier est un architecte français, diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, et de Harvard en urba- nisme. Avec un grand nombre de réalisations très connues à travers le monde à son actif, Jean-Paul Viguier est à la tête de l’Agence Jean-Paul Viguier et Associés1, qui a une activité internationale, et conçoit des immeubles et des espaces urbains culturels ou publics. Le lien entre l’architecture et la chimie, qui paraît à cer- tains quelque peu surréaliste, est en réalité un lien réel. L’architecture est un art de la force et de la matière, et la chimie n’est pas très dif- férente. Ce lien intime entre la chimie et l’architecture se confirme, les disciplines se rapprochent surtout au- jourd’hui car nous retravail- lons dans une certaine idée de serendipité2, et expérimen- tons le métissage et le rap- prochement des disciplines. Nous en sommes parfaitement satisfaits et nous découvrons tous les jours de nouvelles voies de travail en commun, et dans ce cadre, « le futur des 1. www.viguier.com 2. Sérendipité : réalisation d’une découverte scientifique ou d’une invention scientifique de façon inat- tendue à la suite d’un concours de circonstances généralement lors de recherches sur un sujet différent. villes » est un sujet au cœur de nos préoccupations. La planète s’urbanise, comme cela est rappelé tout au long de cet ouvrage La chimie et les grandes villes (EDP Sciences, 2017), comme le montre la vision satellite de l’état de la planète la nuit (Figure 1). On voit que les zones lumi- neuses occupées par les êtres humains se concentrent dans certains endroits du territoire en dehors des mers, 50 % de la population mondiale vit maintenant dans des villes, et ces villes se concentrent essentiellement sur le littoral. Nous devons aussi affronter toute une série de difficultés, liées aux problèmes migra- toires et aux populations qui partent des espaces ruraux pour aller habiter dans les villes. La question qui se pose est donc de savoir quelles villes allons-nous faire et comment accueillir ces populations pour 20 La chimie et les grandes villes grandes métropoles et de regarder deux images dans chaque ville. L’une sera celle non pas du pire mais du plus difficile, c’est-à-dire des quar- tiers qui s’auto-construisent, qui abritent souvent des po- pulations démunies arrivant comme premiers migrants dans la ville et y cherchant un destin, et nous verrons le bâti que cela provoque. L’autre sera la partie moderne, qui se veut glorieuse, de la ville, et notamment ce qu’on pourrait imaginer aujourd’hui que sera la ville dans le futur. 1.1. Hong-Kong (Chine) 1.1.1. Kowloon : le bidonville dangereux et insalubre C’est Kowloon qui est repré- sentée sur la Figure 2. Ce bloc urbain très dense a été évi- demment bâti sans architecte mais a permis aux premiers migrants de trouver un ac- les rendre heureuses et faire que leur migration, leur voyage, en valent la peine, c’est-à-dire qu’ils soient finalement plus heureux dans les villes. La question se pose aussi pour les espaces naturels puisqu’une fois que les populations auront migré, comment continuera- t‑on à les entretenir, à les pro- téger, à les faire produire, et à y vivre avec bonheur ? 1 Les grandes villes du monde et leurs contrastes Les architectes sont des grands voyageurs : je vais dans toutes les villes du monde, je regarde, j’observe, j’interroge, je me pose des questions, et chacune de ces villes apporte une par- tie des réponses aux questions que nous nous posons. Pour que ce voyage alimente notre réflexion, je vous pro- pose d’aller dans quelques Figure 1 70 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans des villes, essentiellement situées sur le littoral. 21 Fabriquer la ville du futur croissance de la ville résulte des ressources pétrolières qui ont enrichi le pays artifi- ciellement car les industries, l’agriculture et l’artisanat ne se sont pas développés. L’exploitation pétrolière a favorisé la migration rurale massive, et la ville, n’arrivant cueil. C’est une construction impénétrable, située au centre Hong Kong, pratiquement sans service, où tout est organisé par un bricolage généra- lisé : l’énergie, l’évacuation des eaux, les fluides néces- saires à la population. Les avions passent à vingt mètres au-dessus des habitations. L’aéroport, fort heureusement, a été maintenant déplacé, mais l’évolution de la ville s’impro- vise alors que la réflexion pré- alable ou continue qui aurait dû être liée à l’accueil des popu- lations nouvelles n’a pas eu lieu. Donc les réponses aux problèmes sont spontanées et parfois fois très violentes ou inadaptées. Les popula- tions sont entassées dans des immeubles monotones, iden- tiques, sans charme, et, dans le même quartier, on a entassé les vivants, mais aussi les morts par manque de place. 1.1.2. La ville nouvelle de Kowloon Pour mieux répondre à l’ac- croissement des populations, la ville a construit un nouveau quartier sur l’île de Kowloon qui reflète une volonté de mo- dernité exacerbée, déjà lar- gement dépassée (Figure 3), et nous verrons plus loin pourquoi. 1.2. Lagos (Afrique) 1.2.1. Des bidonvilles modernes pour accueillir la population rurale Changeons de continent pour arriver à Lagos en Afrique (Figure 4), où la population rurale a également fortement migré dans la ville. Lagos- Ibadan abrite maintenant plus de 20 millions d’habitants. La Figure 2 La citadelle de Kowloon était un bloc urbain très dense et impénétrable. Source : Wikipédia, licence CC-BY-SA-4.0, Ian Lambot. Figure 3 Kowloon a tenté de répondre à la question de l’accueil des populations par la construction d’une ville à la modernité exacerbée déjà dépassée. 22 La chimie et les grandes villes Les architectes africains de Lagos ont imaginé que le des- tin des « shanty town » était une « shanty town » en hau- teur dans laquelle on reprend les mêmes éléments que ceux des bidonvilles. On fait donc passer les routes et les auto- routes dans ces lieux, qui sont souvent des lieux de déses- poir, et on y fait surgir des tours qui sont fabriquées avec les mêmes éléments hétéro- clites que les bidonvilles au sol, c’est-à-dire des tôles et du bois de récupération. Le futur possible proposé aux habitants de Lagos n’est donc finalement qu’une moderni- sation du bidonville (Figure 5). 1.2.2. Des rêves pour la ville du futur Les architectes et les urba- nistes de Lagos rêvent d’un fu- tur qu’ils expriment par cette image de la Figure 6. Mais ils continuent à imaginer ce futur avec les arguments du xxe siècle sans bien connaître ce que sera l’évolution de la ville et donc apportent des réponses fondées sur des éléments du passé. 1.3. Buenos Aires (Brésil) 1.3.1. Des favelas de Buenos Aires… Continuons ce grand tour par l’Amérique du Sud et la ville de Buenos Aires, où les obser- vations précédentes sont tout aussi applicables. On voit sur la Figure 7 les immenses fave- las3 brésiliennes. 3. Favela : bidonville brésilien situé sur des territoires occupés illéga- lement, le plus souvent insalubre et construit avec des matériaux de récupération. pas à y faire face, a vu appa- raître ce qu’on appelle des « shanty town », c’est-à‑dire des bidonvilles. Quel est dans ces conditions le destin possible de Lagos ? Comment peut-on régler ces problèmes d’une manière heureuse ? Figure 4 Lagos (Nigéria), enrichie artificiellement par les ressources pétrolières, est envahie par la migration rurale à laquelle elle n’arrive pas à faire face. Figure 5 Lagos : les bidonvilles anciens, en contraste avec les bidons villes modernisés. Source : www.dezeen.com 23 Fabriquer la ville du futur 1.3.2 …aux quartiers aux hautes tours tout aussi peu sécurisées Dans la ville, la différence entre les très hautes tours et les maisons des quartiers Figure 6 La ville du futur pensée par les architectes et urbanistes de Lagos reprend les arguments du passé pour une ville répondant aux préoccupations et mutations actuelles. Source : www.ekoatlantic.com Figure 7 Les favelas côtoient la ville qui continue à prendre de la hauteur, rendant le sol de moins en moins sécurisé. Source : Wikipédia, licence, CC-BY-SA-4.0, Leon petrosyan. résidentiels est d’une très grande brutalité (Figure 8). Ces tours très hautes ne créent pas une ville car la rue est inhabitable et très peu sécurisée. 24 La chimie et les grandes villes cées par des ensembles de grandes tours qui poussent de plus en plus vite. Comme les lilong constituent un patrimoine historique, s’est posée la question de créer au xxie siècle une forme de lilong moderne. Les architectes chinois re- prennent donc la structure répétitive et orthonormée des lilong pour la proje- ter dans un futur possible (Figure 10). Évidemment tout cela est construit au milieu des autoroutes car la mobi- 1.4. Shanghai (Chine) 1.4.1. Le quartier traditionnel et ses lilong Allons maintenant à Shanghai. L’ancien Shanghai était com- posé de ces habitations tradi- tionnelles appelées lilong4, qui côtoient maintenant les hautes tours (Figure 9). Beaucoup de ces habitations traditionnelles datent de la première moitié du xxe siècle et sont rempla- 4. Lilong : quartier fermé typique de Shanghai, composé de ruelles étroites et de maisons mitoyennes. uploads/Geographie/ ville-p17.pdf
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- Publié le Oct 29, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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