1 In : Info Event, Le magazine officiel des événements de la francophonie, 2016
1 In : Info Event, Le magazine officiel des événements de la francophonie, 2016, pp. 20-25. Histoire et culture malgaches par Jean-Pierre DOMENICHINI Historien et anthropologue Membre titulaire de l’Académie Malgache L’histoire de Madagascar que l’on continue à raconter le plus souvent, est, d’une part, une his- toire courte et, d’autre part, une histoire obscurcie par des considérations politiques et racistes. Une histoire courte commençant au 16e siècle, parce que les historiens, n’ayant pas de documents écrits avant ceux des premiers navigateurs européens qui arrivèrent dans l’Océan Indien en 1498, pensaient qu’ils ne pouvaient pas la reconstruire. Une histoire obscurcie et politique, parce qu’historiens et ethnologues, au vu des phénotypes vivants dans la Grande Ile, voulaient définir les origines biologiques des divers groupes humains y habitant et que, selon le social-darwinisme ambiant, ils les divisaient entre Bantous de la périphérie à civiliser et Malais des hautes terres déjà demi-civilisés. Il n’en est rien. Les méthodes de l’histoire culturelle permettent de remonter loin avant le 16e siècle. L’on sait aujourd’hui que les différents phénotypes malgaches sont depuis des millénaires présents en Asie du Sud-Est. L’on sait aussi que tous les peuples malgaches ont traditionnelle- ment les mêmes coutumes et qu’avec des formes régionales, ils parlent tous la même langue. Comment expliquer cette totale unité ? L’origine de la culture malgache Il nous faut alors remonter loin dans le temps, bien avant le siècle où la guerre de Jules César et de Vercingétorix commence le « roman national » qui raconte l’histoire de la France. Il nous faut remonter au 9e millénaire avant l’ère chrétienne à la fin de la dernière époque glaciaire que connut notre terre. A cette époque où aucun hominien et évidemment aucun Homo sapiens n’avait pu venir s’installer dans l’île, le niveau des mers et océans était à plus de 100 mètres au dessous du niveau actuel : une grande partie des eaux marines des précipitations était alors gelée, conservée et solidifiée dans les banquises des zones polaires et dans les glaciers des montagnes. En Extrême-Orient, le dessin des côtes était différent de celui des rivages marins actuels. Dans la région, le réchauffement climatique provoqua alors des mouvements de population. Dans la région de Formose et d’une partie de ce qui est aujourd’hui l’espace chinois, un peuple dut se déplacer pour échapper à la transgression marine. Il s’installa d’abord sur des sommets de colline proches qui devinrent des îles, puis inventa la pirogue pour pouvoir maintenir les liens sociaux entre habitants de ces îles. Lorsque ces îles furent englouties par la mer et qu’il n’était plus possible de trouver de nouvelles terres vides à proximité, ils partirent coloniser les îles des Philippines. La vocation marine et colonisatrice qu’il se trouva alors, conduisit progressivement ce peuple à peupler d’autres îles. Ce sont les premiers navigateurs de l’humanité et, en quelques millénaires, ils occupèrent les îles de l’Asie du Sud-Est, du Pacifique et de l’Océan Indien, d’Hawaï au nord à la Nouvelle-Zélande au sud et de l’île de Pâques à l’est à Madagascar à l’ouest. C’est pourquoi, vus d’Occident, ces peuples qui habitent les îles de l’est sont appelés « austronésiens » et « austronésienne » la civilisation qu’ils y apportèrent. Emblématiques parmi 2 d’autres de cette civilisation océanienne et insulindienne, la conque marine (antsiva) et le soufflet de forge à deux pistons (tafoforana) ne touchent pas l’Afrique. Dans l’Asie du Sud-Est insulaire, ils reconnurent les qualités des plantes endémiques et firent le commerce des plantes aromatiques, condimentaires et médicinales recherchées par la Chine, l’Inde et l’Arabie qui les revendaient en Méditerranée. En y intégrant la culture du taro et de l’igname qu’ils connaissaient déjà, ils inventèrent un néolithique insulindien en domestiquant les plantes (bananier, canne à sucre, cocotier, arbre à pain, gingembre, poivre, indigo, curcuma…) et les animaux (poule, cochon…) qu’ils y trouvaient. Ils y ajoutèrent le riz et les agrumes pris dans les cultures voisines. Ces plantes et ces animaux sont aujourd’hui inscrits au patrimoine commun de l’Humanité. Bien plus tard, sans cette domestication, Henri IV n’aurait pu formuler sa poli- tique de la poule au pot. La colonisation de Madagascar Les réseaux commerciaux austronésiens dans l’Océan Indien avaient permis de reconnaître Madagascar. Lorsque des Insulindiens décidèrent de s’y installer, ce fut par de véritables entre- prises de colonisation organisées par une thalassocratie du sud-est asiatique. Ces entreprises devaient être préparées et financées à l’avance : il fallait trouver les groupes volontaires compor- tant des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants, emmagasiner les différentes semences à cultiver, préparer les boutures de rhizome du curcuma et les plants d’arbre comme l’arbre à pain qui ne se multiplie que par marcottage ou en prenant des rejets déjà enracinés, et prévoir les besoins alimentaires pour le temps de la traversée de l’océan et celui d’attendre les premières récoltes après les premiers défrichements. C’est avec tout le capital de connaissances et de tech- niques accumulé en Insulinde qu’ils arrivèrent dans la Grande Ile, mais aussi avec la connais- sance de la métallurgie du fer pratiquée dans toute l’Asie du Sud-Est au 5e siècle avant l’ère chrétienne. Ils le firent sans doute non dans de petites pirogues à balancier comme on en voit toujours sur les côtes malgaches, mais dans de grands bateaux cousus, les kunlun bo qui sont les 3 « bateaux des hommes noirs » dont parlent les Chinois, et qui pouvaient transporter entre 300 et 1.000 personnes, ainsi qu’un fret considérable. Le kunlun bo, ce grand bateau à deux mâts et à balancier, représenté dans un bas-relief du temple de Borobudur en Indonésie. Leur première présence y est attestée par la culture du chanvre dès le début du 4e siècle avant l’ère chrétienne. Outre qu’elle fournit des fibres pour tisser des vêtements, cette culture ancienne en Extrême-Orient fournissait aussi de quoi fabriquer les voiles et les cordages nécessaires pour ces grands bateaux à voile qu’étaient les kunlun bo. Dans la tradition insulindienne, ce peuple de paysans n’oublia pas la connaissance qu’il avait du milieu naturel où il avait vécu, et qu’il adapta au milieu naturel malgache. Il fit donc l’inventaire de nouvelles plantes aromatiques, condimen- taires et médicinales et prit sa place dans le commerce indianocéanien, notamment avec le cu- bèbe, ce poivre malgache (tsimperifery) qui est aujourd’hui le poivre le mieux coté sur le marché international des épices, et avec la cannelle malgache (Cinnamosma fragrans). Ils continuèrent la collecte des ressources de l’estran, notamment l’ambre gris des baleines et les concombres de mer exportés vers la Chine. Ils ne vécurent pas comme des robinsons isolés, mais les entrepreneurs de colonisation insti- tuèrent des principautés aux embouchures des fleuves. Ayant un peuple de paysans connaissant les ressources de la forêt et de la mer, ces princes en assuraient la commercialisation dans l’Océan Indien. A l’époque de Darafify (7e-11e siècles), ils commerçaient avec la Perse à laquelle ils vendaient la cannelle malgache sous le nom de darasiny, du persan dar Ciny « bois/porte de Chine ». Sans doute aussi firent-ils le commerce du bois d’ébène vers l’Asie du Sud-Est, car des princes de cette région offrirent des esclaves africains à des empereurs de Chine, et sans doute aussi le firent-ils vers la Perse et, à usage interne, vers Madagascar. Au moment des grandes révoltes d’esclaves africains en Mésopotamie, ils développèrent la culture de la canne à sucre et exportèrent du sucre. Les relations avec les Persans les amenèrent à actualiser leurs conceptions de l’espace social. C’est ainsi que l’on voit les princes de la côte orientale combattre l’idée que les anciens princes s’étaient réincarnés dans des animaux et monstres marins et profaner les lieux et animaux protégé par leur sacralité. Ces organisations politiques dépendirent d’une des thalassocraties sud-est-asiatiques jusqu’au 12e siècle, quand leurs navigations durent céder la place aux bateaux persans et arabes. Le contact avec le monde arabo-musulman Au 13e siècle, le commerce de la Perse et du monde arabe s’installe dans le sud-ouest de l’Océan Indien avec des cités sur la côte orientale de l’Afrique comme celle de Kilwa sur la côte 4 tanzanienne. Ce commerce fit la reconnaissance des côtes malgaches et ses routiers localisèrent les échelles possibles autour de Madagascar. Sur la côte nord-ouest, il créa des comptoirs sur des îles proches de la Grande Terre et rechercha des produits précieux comme l’ébène et le santal. A la côte sud-est, les ZafiRaminia, des Sumatranais déjà touchés par l’Islam, s’établirent à l’embouchure de la Mananjara, succédant aux anciens princes Ravoaimena Andriamanavanana et donnant des princes à diverses régions de l’île. Quelque temps plus tard, des Arabes s’installèrent à l’embouchure de la Matitanana, s’y marièrent et formèrent le royaume antemoro. Lettrés, cer- tains de ces migrants utilisèrent leur écriture pour écrire le malgache et nous ont laissé les manus- crits sorabe. Dans les hautes terres, une région plus peuplée et plus riche, c’est là que certains de ces com- merçants s’établirent de façon durable, qu’ils y prirent femme et qu’ils y laissèrent une descen- dance bien connue : les Zafimbazaha « descendants de Vazaha » – les uploads/Geographie/ zama-domenichini-16-histoire-et-culture-malgaches.pdf
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- Publié le Sep 24, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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