Insaniyat n° 54, octobre - décembre 2011, pp. 31-48 31 Les modes d’appropriatio

Insaniyat n° 54, octobre - décembre 2011, pp. 31-48 31 Les modes d’appropriation et d’usage des espaces urbains dans la ZHUN sud de Tizi-Ouzou. De l’improvisation aux logiques individuelles Mohammed Saïd LAKABI*et Nadia DJELAL** Introduction Dans les pays en voie de développement, le processus d’industrialisation a commencé à une période très tardive avec, notamment, l’introduction des grands ensembles1. Si au début, cet habitat est considéré comme une promotion sociale qui permet l’entrée dans la société de consommation et l’accession à la "modernité", très vite des problèmes liés à l’intégration sociale et l’adaptabilité se sont fait ressentir. Créées souvent sur des sites vierges, ces nouvelles formes urbaines aux seules fonctions de cités dortoirs n’ont pu engendrer que des maux sociaux aux conséquences parfois dramatiques. Ces immeubles sont implantés sans souci de lieu2, ni de l’histoire, ni des liens affectifs et des habitudes des populations. Ce modèle est dénué d’histoire. Généralement, les grands ensembles constituent un ensemble de tours et de barres disposées sur un terrain "vide", sans souci d’éviter les espaces résiduels, créant ainsi une rupture, souvent, totale avec la ville. * Enseignant-Chercheur à l’Université de Tizi-Ouzou. ** Maître de conférences, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture (ex EPAU), Alger 1 Un grand ensemble est un nouveau quartier composé de barres et de tours, de très vastes parkings et quelques équipements collectifs (comme des écoles) ou privés (tel un centre commercial), qui s’édifie à la périphérie des villes et des banlieues. Source : Paquot, T., « Des aspirations aux besoins pour une critique des grands ensembles », in Revue urbanisme, n°322, Paris, janvier – février 2002, pp. 79-80. 2 Benyoucef, B., "Sur la notion de lieu" in symposium international sur la théorie du milieu, Marrakech, 1994. Mohammed Saïd LAKABI et Nadia DJELAL 32 En Algérie, les zones d’habitat urbain nouvelles sont conçues comme une procédure technique et administrative, selon le circulaire ministériel n° 00 355 /PU du 19-02-1975, ayant pour objectif la réalisation des logements collectifs et les équipements d’accompagnement et de service, sur des assiettes foncières importantes et selon des procédés constructifs industriels. Après trois décennies de production de ces zones d’habitat, aucun bilan concernant les modes d’appropriation de l’espace, aussi bien l’espace public que le logement, et les degrés d’identification, de modification-satisafaction et de représentations de ces espaces n’a été fait. Ces modèles sont faits sans aucune modalité d’intégration et sont dépourvus de toute qualité urbaine ; ils sont subis et incontournables sous l’effet du besoin urgent de se loger. Concernant la ville de Tizi-Ouzou, à partir de 1980, le projet d’une zone d’habitat collectif établie par le PUD, la ZHUN Sud, appelée communément la nouvelle-ville, est lancé. Avec cette extension vers le sud, la ville quitte ses anciennes limites, le col des genets et elle devient alors un résultat de l’addition de différentes phases de croissance, sans articulation, sans limites ni densité. Le but du présent article est l’analyse des modes d’appropriation et usages de l’espace public et du logement en corrélation avec trois variables, notamment, l’âge, le sexe et la catégorie socioprofessionnelle (CSP). Le logement est l’espace intérieur qui permet à la vie familiale de se dérouler dans le temps et l’espace. L’espace public est le prolongement immédiat du précédent ; il est urbain et public, et ses caractéristiques formelles et matérielles permettent le déroulement de la vie collective. Etant un lieu d'interactions humaines et facteur de cohésion sociale, l’espace public est un élément constitutif de la ville. 1. La ZHUN sud de Tizi-Ouzou, un espace urbain planifié avec une composante socio-démographique particulière Les ZHUN sont conçues dans le but de gérer la croissance urbaine des villes mais aussi pallier le déficit en logements urbains. Tout en constituant une rupture avec la ville, elles ont largement contribué à la modification du paysage urbain. Les éléments définissant l’urbain, en l’occurrence, la rue, la place, le jardin, le square, n’existent plus ; ils deviennent de simples éléments de transition de la sphère publique à la sphère privée. L’espace conçu ne répond pas aux besoins, encore moins aux attentes des usagers. Ceux-ci légitiment alors leurs interventions par des actions spontanées individuelles et/ou collectives sur l’espace privé (par exemple obturation des loggias, ouverture au rez de chaussée d’une Les modes d’appropriation et d’usage des espaces urbains … 33 pièce pour activité commerciale…) et l’espace public (délimitation des espace de jeux, de repos, de vente informelle, délimitation d’un jardin potager…). Les ZHUN sont régies, à l’image des grands ensembles, par le principe fonctionnaliste qui consiste en la séparation des fonctions urbaines. C’est à travers l’appropriation et l’usage de l’espace que l’homme existe, s’exprime, s’impose, se démarque, se construit et se reproduit3. L’espace public est le terrain de conflit et de confrontation de l’action publique par le biais des réglementations, des actions d’aménagement et l’appropriation et l’usage par les habitants. Il y a divergence entre l’espace conçu et l’espace vécu. 1.1. Un espace urbain nouveau planifié A Tizi-Ouzou, la croissance vers le sud est confirmée par la création d’une zone urbaine nouvelle, appelée Nouvelle-ville, définie par les plans quinquennaux I, 1980-1984 et II, 1985-1989 avec une superficie de 320,9 hectares. L’apparition des plans d’urbanisme pour la ville fut tardive pour assurer l’orientation, la réglementation et le suivi des opérations de la croissance urbaine. Il faut noter néanmoins que les dimensions spatiales et démographiques de la ville, pendant la décennie 1970-1980, demeurent de faible ampleur. En revanche, la période 1980-1990 a connu une croissance spectaculaire. Le plan d’urbanisme dans sa 2ème phase, lancé en 1982, a défini des hypothèses de croissance aboutissant à un vaste programme en habitat et en équipements. Et, la spatialisation de ces programmes donne naissance à un zoning et organise la ville en 9 quartiers dans le périmètre urbain de la ville. La Z.H.U.N, comme zone importante d’habitat, est créée en 1980 en vue de faire face aux besoins pressants et importants en logements sociaux. La population projetée est de l’ordre de 45 000 habitants. L’ensemble de la zone comprend un programme de 5 000 logements répartis en 3 quartiers : - 1 200 logements avec l’achèvement d’un C.E.M et d’un groupe scolaire. 3 Mebirouk, H. ; Zeghiche, A. et Boukhemis, K., 2005, "Appropriation de l’espace public dans les ensembles de logements collectifs, forme d’adaptabilité ou contournements des normes ? Cas des ZHUN d’Annaba" in NOROIS, Environnement, aménagement, société n° 195/2 sous la direction de Ripoll Fabrice et Veschambre Vincent, L’appropriation de l’espace : sur la dimension spatiale des inégalités sociales et des rapports de pouvoir, Institut de géographie, Editeur Caen-Poitiers-Rennes, 118 p., pp. 59-77. Mohammed Saïd LAKABI et Nadia DJELAL 34 - 2 060 logements dotés d’un supermarché, d’une agence postale et d’une centrale téléphonique. - 1 700 logements équipés d’un siège administratif (S.A.A) et d’un technicum. L’intégration de la ZHUN à la ville est assurée par d’importantes voiries (rocades nord et sud) réalisées dans le cadre du plan de modernisation urbaine (P.M.U). Néanmoins, ces ZHUN sont composées d’un ensemble de bâtiments posés sur le sol et répétés plusieurs fois. Elles présentent des espaces non délimités, sous forme d’espaces ouverts ou éclatés, dus à l’inexistence d’une structure au sol ou d’un parcellaire capables de prendre en charge l’organisation de ces éléments. Les espaces engendrés n’ont pas de fonction précise, ils sont simultanément ou séparément affectés à divers activités (parking, espaces de jeux et/ou de rencontre, chemins spontanés créés par les habitants, improvisation des marchés informels de fruits et légumes, …). La nouvelle-ville se caractérise par l’absence d’une structure au sol et d’éléments caractéristiques de l’urbain tels que la rue, le boulevard, l’impasse, la places et la placette. A l’instar de toutes les ZHUN du pays, celle de Tizi-Ouzou est un exemple illustratif de ces formes de territorialisation, par le marquage des territoires par les différentes catégories de population (les jeunes, les adultes et les vieux), par la superposition des activités dans un même espace (parking, jeux, jardinage, rencontre…) et par la généralisation des activités informelles (vente de tout produit : alimentaire, habillement, jouet, objet artisanal, tabac,..) qui pérennisent la fonction dans l’espace. Ces activités informelles prennent des proportions, dans l’espace et le temps, qui changent radicalement l’image de la cité. Tout espace public peut devenir potentiellement un espace commercial. La problématique des espaces privés et publics est posée de manière tangible à travers leur appropriation et aussi la notion de limite et de seuil transitionnel de l’un vers l’autre. Toutes ces pratiques (jardinage des espaces attenant au logement, obturation des loggias, nettoyage et lavage des parties communes, …) seraient liées à une volonté de rétablissement, de renforcement ou de déplacement de frontière entre le territoire privé et le domaine public, instaurant ainsi un sentiment d’identification territoriale inhérente à des référents socioculturels4. Les diversités matérielles, en l’occurrence les signes, les constructions, les graffitis, sont les marquages qui pourraient être définis comme la matérialisation d’une appropriation 4 Kerrou, Mohamed., Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, Paris, Edition Maisonneuve et Larose, 343 p, pp 201-223, p. 201. Les modes d’appropriation et d’usage des espaces urbains … 35 de l’espace ou comme vecteur (matériel) uploads/Geographie/ zhun.pdf

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