14 Baudelot & Establet Les tontons flingueurs d’inégalités Cela fait plus de qu

14 Baudelot & Establet Les tontons flingueurs d’inégalités Cela fait plus de quarante ans qu’ils tra- vaillent ensemble, depuis la publication en 1971 de L’école capitaliste. Ce sont les socio- logues Christian Baudelot et Roger Establet, mais ils affichent une telle complicité que tel un vieux couple, on a fini par les appeler tout simplement « Baudelot et Establet », un peu comme on dirait « Smith et Wes- son » : normal cela fait plus de quatre décen- nies qu’ils flinguent des idées reçues. La der- nière en date est celle de l’inintérêt supposé des évaluations internationales PISA conduites par l’OCDE. Présents à l’Univer- sité d’automne du SNUipp pour une plénière qui a fait plus que salle comble, les deux messieurs ont fait une nouvelle fois preuve de leur vivacité intellectuelle et de la pertinence de leurs analyses. Comme ces grands artistes sur lesquels le temps n’a pour seul effet que de raviver leur créativité, ils ont cette capa- cité enviable par tous de renouveler les idées. Un vrai bain de jouvence pour l’Ecole. omprendre comment le sys- tème éducatif reproduit les inégalités, c’est depuis plus de quarante ans le sujet récurrent des travaux des deux sociologues Christian Baudelot et Roger Esta- blet. Dans L’élitisme républicain publié par La république des idées, ils montrent en comparant les résultats des pays ayant participé aux évaluations PISA combien le système scolaire français reste éli- tiste, produit de fortes inégalités et ignore les bonnes pratiques. C Hélène Cohen-Solal Roger Establet Roger Establet Professeur émérite de sociologie Université de Provence Pierre Magnetto Gilles Sarrotte Sébastien Sihr 13 15 Constat simple et fait par tous sur PISA, la France est mal classée. « Elle n’occupe pas une position catastrophique, mais elle est tout à fait moyenne » insiste Christian Bau- delot. En 2006 elle se classait en 17e position pour l’écrit, en 17e pour les maths et en 19e pour les sciences. Selon le sociologue, la publicité faite autour de ces résultats a le don d’agacer les enseignants. « Ce que retien- nent la presse et les commentaires officiels, c’est le classement. Or, le palmarès est ce qu’il y a de plus fragile et de moins intéres- sant dans PISA », assène le chercheur bous- culant les a priori, invitant chacun à ne pas se fier aux apparences et à aller plus loin. Aller plus loin, c’est précisément ce qu’a fait le tandem. « Les évaluations PISA ne sont que des premières données et il vaut mieux continuer de les interroger » assure Roger Establet. Ce questionnement a conduit les deux scientifiques vers une conclusion glo- bale, « les inégalités sont partout, les études PISA généralisent le constat fait par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans les années 60 ». Tous les pays évalués sont confrontés aux mêmes problèmes sociaux (inégalités sociales, inégalités filles garçons, échec massif touchant davantage les garçons que les filles, accueil d’enfants immigrés…). Mais ce qui les distingue, c’est leur niveau de réussite. Les meilleurs aux PISA sont aussi ceux qui compensent le mieux ces inégalités. A ce petit jeu, la France est bien l’élève médiocre que laisse présager son classement aux évaluations. « Nos scores sont faibles parce que nous avons une part extrêmement importante d’élèves faibles ou très faibles. Notre système scolaire est extrêmement sen- sible à l’origine sociale des parents. Nous sommes parmi les pays où les écarts de per- formance sont les plus forts entre le quart des élèves les plus favorisés socialement et le quart des élèves les moins favorisés sociale- ment », ajoute Christian Baudelot. Professeur de sociologie au Département de sciences sociales Chercheur au Labora- toire de sciences sociales Ecole normale supé- rieure - Paris Hélène Cohen-Solal Christian Baudelot Alors, si les questions sociales sont les mêmes pour tous, autant aller voir com- ment on s’y prend ailleurs pour « limiter les inégalités ». Baudelot et Establet se sont rendu compte que « quand un pays a peu d’élèves faibles, il a beaucoup de forts » et donc, inutile d’avoir une poli- tique scolaire élitiste si l’on veut produire des élites, bien au contraire, mieux vaut démocratiser. Et les duettistes de pointer « la Finlande ou le Canada qui parvien- nent à mener d’un même mouvement toute une génération, en évitant les échecs scolaires les plus catastrophiques. D’abord on y forme des élites nombreuses et d’autre part, on produit moins de diffé- rences entre les enfants de différents milieux ». A les entendre, la France aurait plutôt tendance à tourner le dos aux bonnes pra- tiques. Estimant que la carte scolaire joue de moins en moins son rôle de « rempart contre les inégalités », ils soulignent que les PISA confirment certaines études por- tant sur les effets de l’hétérogénéité puisque les meilleurs du classement inter- national évitent soigneusement de déroger à ce type d’organisation. Ils notent aussi que malgré la création du collège unique qui établit un socle commun, « des filières discrètes » se constituent en France autour de la réputation des établissements d’en- seignement, des stratégies de contourne- ment de la carte scolaire et de la consti- tution de classes de niveau. Enfin, les deux pourfendeurs des idées toutes faites reviennent sur le redouble- ment dont l’utilité a déjà été mise en cause par d’autres enquêtes. Les données de PISA sont sans appel, on ne redouble pas en Finlande ou au Japon et cela ne pro- voque pas de nivellement du niveau géné- ral par le bas. Les taux les plus élevés de redoublement sont inférieurs à 15% dans l’OCDE sauf chez le mauvais élève France qui affiche un record « abyssal » de 40% d’élèves ayant à 15 ans entre 1 an et 3 ans de retard. En conclusion, Baude- lot et Establet estiment que les Français seraient bien inspirés d’aller voir ce qui se passe ailleurs et d’essayer de s’en servir pour tenter « d’améliorer les choses chez nous ». 16 comment dans les années 60 cette « réflexion précieuse depuis Celestin Frei- net qui émanait profondément de l'école élémentaire a servi, espèrent-ils positi- vement à transformer nos pratiques, à transformer un peu l'enseignement supé- rieur français ». C'est en prenant appui sur cette réflexion qu'ils ont toujours voulu prolonger, mais différemment, le travail de leurs prédécesseurs, les sociologues Bourdieu et Passeron qui « l'ont fait à partir du sommet de l'école c'est-à-dire à partir des héritiers de l'enseignement ». Au début des années 1970, ils rappellent qu'ils « essayèrent de regarder de près l'importance du diplôme dans l'insertion et dans la qualification pour comprendre que ce n'était pas du tout une illusion de croire dans leur efficacité et aussi dans l'inégalité parce que ce sont ceux qui n'en Le duo « d'iconoclastes », ainsi nommé depuis de longues années, les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet ont visiblement tenu à entamer cette séance pleinière d'ouverture de l'Université d'Au- tomne du SNUipp en resituant « L'éli- tisme républicain » titre de leur dernier ouvrage, dans l'historique de leur colla- boration. « Nous travaillons sur les ques- tions d'égalité depuis plus de 40 ans ». Un intérêt toujours confirmé pour ces ques- tions où le système éducatif est interrogé comme instrument d'égalité et des inéga- lités sociales et scolaires, comme facteur de développement économique. Ainsi ils soulignent la « conception militante de (leur) travail pour transformer l'école » et « l'importance » qu'ils ont donnée dans ce cadre à l'école élémentaire, pour l'élargir peu à peu à l'université. Ils rappellent disposent pas qui sont les moins bien pourvus à l'égard du marché du travail. » Mais ce dont les sociologues manque- ront dans les années 70 pour poursuivre leurs travaux « c'était de l'évaluation des compétences scolaires, des compétences acquises par les élèves. » Les données apportées par les tests de l'armée puis plus tard, au cours des années 1980, par les travaux de Claude Thélot conduiront à l'émergence d'instruments de collecte nationaux sur les compétences qui seront complétés au seuil des années 2000 par les évaluations internationales PISA. Les ouvrages les plus connus qui ont jalonné ce travail commun ont pour nom L'école capitaliste en France (1971), L'école primaire divise (1975), Le niveau monte (1989), Allez les filles (1992), Quoi de neuf chez les filles (2007). Plus de 40 ans de travail commun « on ne considère pas Pisa comme un palmarés qui servirait à diviniser d'autres systèmes scolaires. C'est plutôt un chantier qui doit nous aider à comprendre pourquoi certains pays sont plus performants et efficaces pour certains élèves» 17 Etude complémentaire. Les forts entre eux oger Establet a étudié les résultats des élèves selon leur niveau de réussite en écrit et en maths. Pour la majorité d’entre eux le niveau est équivalent d’une discipline à l’autre, mais les différences entre filles et garçons sont importantes. Des phénomènes généraux communs à tous les pays quelque soit leur classement à PISA et pouvant nourrir une réflexion en faveur de la lutte contre l’échec scolaire en France. R « Les évaluations PISA ne sont que des premières données. Plutôt uploads/Geographie/baudelot-y-establet-lestotons-flingueurs-dinegalietes.pdf

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