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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Descartes et les bornes de l’univers : l’indéfini physique » Jean-Baptiste Jeangène Vilmer Philosophiques, vol. 37, n° 2, 2010, p. 299-323. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/045185ar DOI: 10.7202/045185ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 5 janvier 2016 04:59 PHILOSOPHIQUES 37/2 — Automne 2010, p. 299-323 Descartes et les bornes de l’univers : l’indéfi ni physique JEAN-BAPTISTE JEANGÈNE VILMER École normale supérieure Ulm / Sciences Po, Paris jb.jeangene.vilmer@aya.yale.edu RÉSUMÉ. — L’indéfi ni cartésien, qui désigne ce dont on ne peut prouver les bornes, s’applique à deux domaines : les mathématiques et la physique. Cet article examine son application au monde physique, en deux moments. D’abord, par l’examen de l’indéfi nité de l’univers, où l’on montre que l’univers cartésien n’est ni fi ni ni infi ni, mais in-défi ni, à la fois selon l’espace (c’est la question de l’extensio mundi) et selon le temps (c’est la question de l’éternité du monde). Ensuite, par l’examen de l’indéfi nité dans l’univers, qui pose le pro- blème de la continuité, à la fois dans l’espace (c’est la question de l’indivisibi- lité de la matière, c’est-à-dire de l’existence des indivisibles, ou atomes) et dans le temps, où nous défendons une interprétation continuiste et aprioriste selon laquelle le temps cartésien est continu, et cette continuité n’est jamais qu’un pour soi. La distinction cartésienne entre infi ni et indéfi ni est fameuse. L’infi ni est ce qui est positivement sans bornes et ne s’applique qu’à Dieu. L’indéfi ni, contrairement à un préjugé encore répandu, n’est pas un infi ni en extension, spatial, négatif, potentiel, ou quantitatif. Il doit être compris littéralement, comme in-défi ni, c’est-à-dire in-déterminé : il est une notion négative dési- gnant ce dont on ne peut prouver les bornes1. Descartes l’utilise dans deux domaines : les mathématiques et la physique. Au premier, nous avons déjà consacré une étude, qui montre la prudence cartésienne à l’égard de la ques- tion de l’infi ni en mathématiques2. C’est le second domaine, la physique, qu’il s’agit ici d’examiner. L’indéfi ni physique s’applique à l’univers et s’appréhende en lui dans deux ensembles : l’indéfi nité de l’univers et l’indéfi nité dans l’univers, c’est- à-dire ce qui semble respectivement infi niment grand et infi niment petit. Ce double mouvement correspond aux « deux infi nités » de Pascal , qui remarque aussitôt combien la première est plus évidente à l’homme que la seconde : « Je n’ai jamais connu personne qui ait pensé qu’un espace ne puisse être augmenté », en revanche « j’en ai vu quelques-uns, très habiles d’ailleurs, qui ont assuré qu’un espace pouvait être divisé en deux parties indivisibles , 1. Voir Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « La véritable nature de l’indéfi ni cartésien », Revue de métaphysique et de morale, 2008-4, p. 501-513. Voir aussi « Descartes. L’infi nitude de ma volonté, ou comment Dieu m’a fait à son image », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 92-2, 2008, p. 287-312 et « Le paradoxe de l’infi ni cartésien », Archives de phi- losophie, 72-3, 2009, p. 1-25. 2. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « La prudence de Descartes face à la question de l’in- fi ni en mathématiques », Philosophiques, 34-2, 2007, p. 295-316. 300 • Philosophiques / Automne 2010 quelque absurdité qu’il s’y rencontre3 ». C’est pourquoi, selon la méthode cartésienne qui veut que l’on procède du plus simple au plus complexe, ou du plus évident au moins évident, nous commencerons par exposer l’indéfi ni de l’univers, qui semble infi niment grand, pour ensuite passer à l’indéfi ni dans l’univers, qui semble infi niment petit. Au sein de chacune des deux sections, nous diviserons encore selon l’espace et le temps . I. Indéfi nité de l’univers : l’univers n’est ni fi ni ni infi ni, il est indéfi ni A. Selon l’espace : la question de l’extensio mundi En 1634, à l’époque de Descartes, le cartographe Jean Guérard , sur sa Carte universelle hydrographique, refuse de dessiner l’inconnu : le vieux monde est tracé avec assurance, et le nouveau — ou les autres, supposés — n’ont qu’un contour partiel ou ouvert, en pointillés. Il évite ainsi et l’infi ni du blanc et le fi ni du tracé : il est indéfi ni, c’est-à-dire dessine un monde dont on ne peut, pour l’instant, prouver les bornes. Descartes ne trouvera pas tout de suite la solution des pointillés et, en 1629, il se révèle alors, quoique bien conscient de sa nécessité, peu aventu- reux d’une réponse à la question de l’étendue de l’univers, à savoir si elle est infi nie ou fi nie, et n’envisage d’ailleurs cette question que selon cette alterna- tive, en se préoccupant de savoir s’il n’y a rien de déterminé en la Religion , touchant l’étendue des choses créées, savoir si elle est fi nie ou plutôt infi nie, et qu’en tous ces pays qu’on appelle les espaces imaginaires4 il y ait des corps créés et véritables ; car encore que je n’eusse pas envie de toucher cette question, je crois [...] que je serai contraint de la prouver5. L’indéfi ni lui apparaîtra sans doute être la meilleure solution, en lui permettant à la fois de « prouver » cette question — en prouvant qu’on ne peut la prouver — et de préserver son envie de ne point y répondre de manière binaire, par oui ou par non, c’est-à-dire par l’infi ni ou le fi ni. Dans le but d’établir que « la grandeur de l’univers est ou du moins peut être sans bornes6 », et parce que l’indéfi ni n’est ni le fi ni ni l’infi ni, il faudra montrer d’une part que l’univers peut ne pas être fi ni, c’est-à-dire peut ne pas avoir de bornes, et d’autre part qu’il n’est pas pour autant infi ni. 3. Pascal , De l’esprit géométrique ; in Œuvres de Pascal, L. Brunschvicg, P. Boutroux et F. Gazier (dir.), Paris, Hachette, 1908-1914, réimp. Kraus Reprint, Nendeln, 1976-1978, t. IX, p. 258. Il fait probablement allusion au chevalier de Méré . 4. Descartes, en identifi ant matière et étendue , nie les « espaces imaginaires » scolas- tiques, espaces qui entouraient le monde clos, et dont il se moque déjà dans Le Monde VI, AT XI 31-32 ; in Œuvres philosophiques, F. Alquié (dir.), Paris, Bordas, t. I (1988), t. II (1989), t. III (1992), ici t. I, p. 343 (dans les citations suivantes nous ne renvoyons qu’au tome et à la page de cette édition). 5. À Mersenne, du 18 décembre 1629, AT I 86 . 6. À Regius, du 24 mai 1640, AT III 64, souligné par nous. Descartes et les bornes de l’univers : l’indéfi ni physique • 301 1) Comment l’univers peut ne pas être fi ni : il pourrait ne pas avoir de bornes Descartes donne au moins cinq raisons différentes de croire que le monde n’a point de bornes : a) en le déduisant de l’infi nité même de Dieu ; b) car je ne lui en connais point de ma perception ; c) car je peux toujours lui imaginer un au-delà ; d) car des bornes impliqueraient le vide , et le vide n’est pas ; et e) car lui en attribuer contredirait la doctrine de l’immortalité de l’âme. a) Que le monde n’ait point de bornes est déduit de l’infi nité même de Dieu. Que Dieu prouve le monde, quoi de plus naturel, après tout, puisqu’il s’agit de son créateur ! On trouve ici encore cinq preuves différentes. Première preuve : car les œuvres de Dieu, dont l’univers, sont à la mesure de son infi nie puissance 7. L’argument selon lequel à l’infi nie puissance de Dieu doit correspondre un univers « infi ni » est commun à Bruno et Descartes. Se pose donc la question de l’in- fl uence possible du premier sur le second. Mais il est bien diffi cile de savoir si Descartes connaissait le contenu de l’œuvre de Bruno et, plus diffi cile encore, s’il fut infl uencé par elle. Ce qui est sûr, c’est que Descartes connaissait au moins l’existence de Bruno , dont il cite une fois le nom 8. Deuxième preuve : appliquer des bornes à l’univers reviendrait à se faire une idée trop petite du pouvoir créateur de Dieu9. Troisième preuve : ce serait par ailleurs aussi se faire une idée trop grande de notre compréhension : « Nous ne devons pas trop présumer de nous-mêmes, comme il semble uploads/Geographie/descartes-et-les-bornes.pdf
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- Publié le Dec 25, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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