Actes des colloques de la Société française d'onomastique La place du nom propr
Actes des colloques de la Société française d'onomastique La place du nom propre en arabe et les enjeux sur les 99 noms de Dieu Soufian Al Karjousli Citer ce document / Cite this document : Al Karjousli Soufian. La place du nom propre en arabe et les enjeux sur les 99 noms de Dieu. In: Le nom propre a-t-il un sens ? Actes du Colloque d’onomastique d’Aix-en-Provence (juin 2010) Paris : Société française d'onomastique, 2013. pp. 355-370. (Actes des colloques de la Société française d'onomastique, 15); https://www.persee.fr/doc/acsfo_0000-0000_2013_act_15_1_1182 Fichier pdf généré le 19/01/2021 La place du nom propre en arabe et les enjeux sur les 99 noms de Dieu Soufian Al Karjousli Nantes (France) Remarques préliminaires Les transcriptions utilisées pour les citations en arabe sont celles du système de trans¬ cription en usage dans la revue Arabica. b t e é C h C h J d 4 J r j z o> s u- s O s La hamza initiale n’est pas indiquée. Voyelles courtes : a, i, u. Voyelles longues : â, ï, ü. Diphtongues : aw, ay. L i t i J U A J V d t z 4 g f q k i m n h w y L’attribution et l’utilisation des noms propres sont sans conteste un aspect fonda¬ mental des relations humaines. Le nom propre exprime souvent le support de l’iden¬ tité, qu’elle soit nationale, régionale ou plus locale. Dans les langues sémitiques, ce sont les noms et prénoms qui définissent l’identité et la généalogie. Ils ont, dans leur 355 Soufian Al Karjousli grande majorité, une signification qui semble être un des critères de choix à l’heure de la nomination d’un enfant. Il existe bien sûr aussi un grand nombre d’autres critères qui président à ce choix, comme celui de la volonté d’honorer ou de prolonger la mémoire familiale, de protéger l’enfant ou encore de créer du plaisir à l’évocation du nom donné. Le nom est aussi un indicateur religieux de premier plan et il est utilisé par les religions dites « du Livre » comme un support qui affiche l’apparte¬ nance de celui qui le porte. L’analyse du vocable arabe ism, qui désigne le « nom » lui-même, est riche d’enseignements, notamment par ses portées sémantiques. Ainsi, en arabe, l’utilisation de ce vocable ism, littéralement traduit par le terme « nom », est très fréquent et fortement polysémique. Son sens dépasse le sens décrit par la linguis¬ tique arabe, comme étant le « nom », pour aller puiser aux sources sémantiques des langues sémitiques et des religions. Ainsi, chez les anciens sémites, il était pris pour la personne nommée : « Dieu choisissait un lieu [. . .] pour y faire habiter son Nom1. » Le philosophe Râzi a abondamment écrit sur le sujet et montre que de la polysémie du vocable ism découle le problème de la classification des noms de Dieu: s’agit-il des 99 « noms » de Dieu ou des 99 « caractéristiques » de Dieu? Vient se greffer également à cette formule une autre symbolique, celle des chiffres. Signalons ici simplement le fait qu’en général, dans les langues sémitiques, les chiffres ne donnent pas toujours un nombre exact mathématique. En ce qui concerne les 99 noms de Dieu, ce nombre de « 99 » ne correspond donc pas forcément au nombre exact des « noms » ou des « caractéristiques », mais il peut prendre le sens de « beaucoup ». Ainsi, Râzi affirme que « Dieu possède mille et un noms ». Etudier les noms propres en arabe ne peut finalement se faire sans poser la question des appellations de Dieu. Le Coran fait référence à différents noms, de manière isolée ou dans une suite de huit appellations. Isolés ou assemblés, attribués à l’être humain ou à Dieu, les noms propres se voient souvent dotés d’une force spéciale, d’un pouvoir symbolique que nous nous efforcerons de décrypter. Les interprétations qui en découlent, notamment en ce qui concerne les appellations de Dieu, ont enclenché de nombreux débats qui, parfois, ont fait école. Le pouvoir des noms Il est utile de remarquer pour commencer qu’historiquement, nommer quelqu’un ou quelque chose, posait le problème de l’existence et du repérage. Il fallait d’abord savoir si l’être existait dans le monde du vivant, s’il relevait de l’imaginaire, de l’au-delà, et enfin juger s’il convenait de lui attribuer un seul ou plusieurs noms. De manière assez générale, la traduction du nom propre est souvent assez délicate (Alexakis, 1986). Aujourd’hui, beaucoup pensent que les noms ne sont que des termes utilisés simplement pour étiqueter les choses et les êtres, pour les distinguer les uns des autres, or les noms sont plus que des étiquettes. Nombreux sont ceux qui estiment que le nom cache une fonction autre que celle de nommer. Pour eux, le nom est alors porteur de message. Pour une personne, il est plus qu’un simple nom, il est chargé de i Denise Masson, Le Coran, dans les notes, vol. 1, 1967, Paris, Gallimard, p. 3. 356 La place du nom propre en arabe. . . plusieurs fonctions. Il sert comme indicateur du lieu de naissance; il indique l’ori¬ gine et/ou l’appartenance religieuse, ou encore le milieu socioculturel de celui qui le porte. Certains pensent aussi que le nom d’une personne décrit son caractère, son essence profonde ou ce qui est espéré pour lui. En arabe on utilise l’expression ism ‘ala musammâ, pour signifier que le nom de quelqu’un correspond exactement à son caractère. Les Arabes avaient intériorisé par exemple le fait que le nom de Kadhafi, l’ancien président de la Libye, faisait référence à « celui qui lance ». Aussi pour nombre d’entre eux, il n’était pas étonnant que Kadhafi lançât constamment des défis contre les autres. Beaucoup d’Arabes voyaient aussi dans la signification du nom Saddam, dont le sens est le « choc », une explication des affrontements de l’ancien président de l’Irak avec ses opposants. Plusieurs philosophies guident ainsi les arabes dans le choix ou l’interprétation qu’ils font des noms propres. Historiquement, l’envi¬ ronnement a toujours été un élément essentiel pouvant déterminer le nom de l’enfant. Ainsi, on pouvait donner à l’enfant, au moment de sa naissance (Qurami, 2007 : 78), le nom de la chose la plus proche de lui. Ce pouvait être un caillou, hagar, ou encore un chien, kalb. La dation du nom pouvait se faire également par rapport à l’envi¬ ronnement sensoriel : sonore, visuel, olfactif, sensitif. Il pouvait ainsi être attribué à l’enfant le nom du « tonnerre », Ra ‘d, de la « douceur du vent », Nasym, du parfum printanier, Raby ‘ pour les garçons, Raby ‘a pour les filles, de la « senteur du jasmin », Yasmin, de celle du « jasmin d’Arabie », Fulla, ou encore de la « rose », Ward pour un garçon, Warda pour une fille. Le souci de préserver l’enfant du mauvais œil pouvait aussi orienter le choix sur un nom repoussoir. Ainsi, Abi Mansûr At-Ta ‘alibi2 dont le nom signifie « Le Renard», (961/1038, soit 350/429 de l’hégire) nous rapporte à ce sujet une anecdote significative. On posa un jour à Abi Ar-Raqis Al KilâbP la question de savoir pourquoi les arabes choisissaient de mauvais noms pour leurs propres enfants et les plus beaux noms pour leurs esclaves. Al Kilâbi répondit que si les arabes donnaient des noms tels que « Chien », Kalb ; « Loup », Di ’ b ; « Hyène », dab‘\ « Lézard », garbû « Cailloux », hagar; « Guerre » harb ; « Combat », Jihad ou encore « Combattant » muqâtel, c’était pour mieux les préserver. Pouvoir, par exemple, les associer par leur nom à une stratégie guerrière permettait de leur donner une arme psychologique : le seul fait de prononcer leur nom avait alors pour but de faire frémir l’ennemi. Kilâbi poursuivit en expliquant qu’au contraire la nomina¬ tion des esclaves devait servir à apporter du plaisir au maître quand ce dernier les appelait. Al Kilâbi précise qu’on leur donnait donc plutôt de jolis noms, tels que « Dieu lui a beaucoup donné », Marzûq ; « Étendue », Rabâh ; « Bien vivre », Yuser; « Joie », Sa ‘d; « Don », Yumn ; « Adorateur de Dieu », Abdu Allah (Muslim, 2002 : 1143). Avec l’arrivée de l’islam, de grands bouleversements ont été introduits et les noms propres se sont révélés être un enjeu majeur pour montrer l’affiliation à ce nouveau mouvement de la société qui s’est rapidement imposé. Une grande entreprise d’islamisation des noms a été réalisée. Le Prophète a commencé par exprimer son 2 At-TA‘ALIBI Abi Mansûr, Fiqh al-luga wa sirr al ‘arabyia, « L’éloquence de la langue et le secret de l’arabe », http://www.archive.org/details/ThaalibiFiqhAlLugha. 3 Le nom Al Kilâbi signifie d’ailleurs « qui se rapporte aux chiens ». 357 Soufian Al Karjousli désaccord avec l’utilisation de certains de ces noms comme ceux de « Yia’li, Barka, Nâfe ’ » {ibid.), « Yasâr, Aflah, Nagîh, Rabâh » {ibid.). Il avait aussi changé le uploads/Geographie/la-place-du-nom-propre-en-arabe-et-les-enjeux-sur-les-99-noms-de-dieu.pdf
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- Publié le Jul 10, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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