École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses Maxime Kalte
École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses Maxime Kaltenmark (1910-2002) Kristofer M. Schipper Citer ce document / Cite this document : Schipper Kristofer M. Maxime Kaltenmark (1910-2002). In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 110, 2001-2002. 2001. pp. 21-23; doi : 10.3406/ephe.2001.11884 http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_2001_num_114_110_11884 Document généré le 02/12/2016 Max Kaltenmark (1910-2002) Né le 11 novembre 1910 à Vienne (Autriche), Max Kaltenmark s'est éteint le 26 juin 2002 à Laval à l'âge de quatre-vingt-onze ans. Avec lui disparaît un des fondateurs des études taoïstes tant en France que dans le monde anglo-saxon et jusqu'en Extrême-Orient. Venu en France dès son jeune âge, Kaltenmark fut élève au Lycée Charlemagne à Paris, puis s'inscrivit à la Faculté de Médecine et à la Faculté de Droit avant de trouver sa véritable vocation dans les études orientales. Diplômé de chinois et de japonais de l'École des Langues orientales, il poursuivit ses études à l'EPHE. La sinologie française était alors dominée par Paul Pelliot (1878-1945), Henri Maspero (1883-1945) et Marcel Granet (1884-1940), tous étudiants d'Edouard Chavannes (1865-1918), le fondateur des études chinoises en Europe. Collègue et ami de Durkheim, Chavannes avait fait les premières recherches de terrain en Chine, ainsi que les premières études sur les cultes et les rituels taoïstes, suivi dans cette voie par Henri Maspero et Marcel Granet. Ce dernier, ami intime de Marcel Mauss, exerça à l'époque une grande influence dans le domaine de la sociologie religieuse. Par l'étude des mythes et des rites dans les textes classiques, Granet cherchait à retrouver les fondements de la civilisation et de la pensée de la Chine ancienne. Lorsque le jeune Kaltenmark devint son élève, il lui demanda de lire tout d'abord la totalité de la littérature pré-impériale ! Par la suite, Kaltenmark prit une part active dans les recherches de son maître. Durant les dernières années de son enseignement dans notre Section, Granet avait fait appel de plus en plus aux sources taoïstes d'époque plus tardives et peu étudiées. Kaltenmark quant à lui se tourna vers l'histoire des religions du début de l'époque impériale, et surtout de la dynastie des Han (202 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.). À la mort inattendue de Granet en 1940, Kaltenmark continua l'édition de l'œuvre restée inachevée de son maître intitulée Le roi boit, travail difficile qu'il continua pendant les années de la guerre, mais qui devait rester non publié. Nommé en 1946 à la tête du Centre Franco-Chinois d'Études chinoises de Pékin, il s'employa avec succès au développement de cette jeune institution, notamment en la dotant d'une excellente bibliothèque. Bientôt, ce centre devint un lieu où les savants chinois aimaient venir travailler et discuter de leurs projets. Un grand nombre de publications, notamment des outils de travail sous la forme d'index et de concordances des sources classiques, ainsi qu'un magnifique recueil de reproductions de briques et pierres sculptées de l'époque Han et un périodique sinologique français-chinois de haut niveau (Han-hiue), virent le jour. Durant cette période Kaltenmark publia lui-même, une traduction annotée d'un important recueil de biographies de saints taoïstes de l'époque Han, ainsi que des études sur les apocryphes confucianistes et sur des cultes locaux; Les activités du Centre Franco-Chinois furent arrêtés en 1953 et Kaltenmark, avec sa jeune épouse Odile Weiller et leurs deux enfants Nathalie et Isabelle, nées à Pékin, revinrent en France. Après une courte Annuaire EPHE, Section des sciences religieuses, T. 110 (2001-2002) 22 Nécrologie période de rattachement en tant que chercheur au CNRS, Max Kaltenmark fut élu en 1956 Directeur d'études à notre Section dans la chaire "Religions de la Chine". Au lieu cependant de continuer les recherches sociologiques de son maître Marcel Granet, il se tourna vers l'exploration du taoïsme dans son ensemble. Ayant pu acquérir à Pékin un exemplaire de la réédition intégrale du Canon taoïste de 1447, Kaltenmark entama une longue recherche sur le Livre de la Grande Paix (Taiping jing) de l'époque Han, préservé dans cette collection. Pour son séminaire, il innova en initiant ses élèves à la recherche par la confrontation à d'autres textes taoïstes de la même période ancienne, mais encore jamais étudiés. Au début, les élèves et auditeurs furent peu nombreux. Par la suite, leur nombre devait augmenter considérablement, ce qui était dû non seulement à un intérêt sans cesse accru pour le taoïsme, mais encore et avant tout aux dons pédagogiques de Kaltenmark. Pourtant, il ne fit jamais de cours ex cathedra, mais adhéra à la formule de séminaire avec explication de textes. L'exploration se fit pas à pas, avec beaucoup de prudence et de précision. Chaque caractère, chaque expression et tournure de phrase étaient examinés à fond, puis traduits, commentés et mis en comparaison avec d'autres sources, de sorte que pendant chaque cours nous n'avancions que de quelques phrases. Certains textes de base du Daodejing ou du Zhuangzi furent examinés plus à fond encore. Ainsi la lecture des six phrases qui composent le premier chapitre du Daodejing nous occupa pendant plusieurs mois. Pour ceux qui entamèrent un travail de mémoire de l'EPHE ou de doctorat avec lui, il était à la fois exigeant et très généreux de son temps et de ses conseils. Il corrigeait nos manuscrits à fond, comme s'il s'agissait de ses propres travaux. Il participait réellement à nos recherches, apportant des matériaux et cherchant de son côté la solution à certains problèmes. Au fil des années, il attirait et retenait auprès de lui des jeunes chercheurs du monde entier, venus de plusieurs pays européens, des États-Unis, de la Chine, du Japon et de la Corée. Ces derniers continuaient ensuite son enseignement, son travail et sa méthode, dans leurs pays d'origine ou d'adoption, contribuant ainsi dans une grande mesure à l'essor des études taoïstes d'aujourd'hui. Il convient d'insister sur le travail que Max Kaltenmark consacrait à ses élèves parce que c'est en effet là qu'il investit la majeure partie de son temps et de son énergie après son retour de Chine. Il contribua aussi beaucoup à des travaux collectifs, comme par exemple la rédaction du catalogue de manuscrits de Dunhuang rapportés par Pelliot et conservés à la Bibliothèque Nationale, ou l'élaboration des recherches sur le Canon taoïste. Sa production personnelle, quoique toujours importante, resta moins volumineuse que durant les années où il vécut en Chine. On peut le regretter. Tout en conservant une attitude prudente, Kaltenmark avait beaucoup d'idées neuves et inédites sur la religion et la société chinoises, qu'il savait présenter et commenter avec éloquence. Il savait écrire. Son style à la fois souple et limpide le servait pour exposer de façon toujours claire des idées difficiles ou peu familières au lecteur moyen. Ses traductions étaient admirables. Une première bibliographie de ses travaux a été publiée par deux de ses anciennes étudiantes, Farzeen Baldrian-Hussein et Anna Seidel ("Max Kaltenmark, a Bibliography", dans Cahiers d'Extrême- Asie, vol. 4, 1988, p. 1-17). Une évocation de sa mémoire par Danièle Eliasberg accompagnée d'une bibliographie plus complète doit paraître bientôt dans le Journal Asiatique. Max Kaltenmark, par Kristofer Schipper 23 Tous ceux qui l'on connu conserveront en mémoire sa personnalité remarquable, tant par sa grande culture et sa vaste érudition, que par la douceur et la modestie qu'il savait observer dans son maintien. Il se montrait généreux envers tous ceux qui avaient besoin de lui, non seulement les humains, mais encore les animaux - vers la fin de sa vie surtout les chats - qu'il trouvait sur son chemin. Quoiqu'il aimât profondément ses études et fût un des premiers à défricher le terrain difficile et jusque-là resté pratiquement inexploré du taoïsme religieux, il évitait toujours de paraître au premier plan. Lorsque, dans les années soixante, il fut question de lui pour une chaire au Collège de France, il refusa avec véhémence de se porter candidat. Cependant, longtemps après avoir pris sa retraite, il continua à aider les étudiants et étudiantes qui lui demandaient conseil. Il nous a quitté comme il avait vécu, en taoïste retiré du monde. Et c'est justement pour cela qu'il laisse un vide que rien ne saurait combler. Kristofer Schipper uploads/Histoire/ 2001-maxime-kaltenmark-1910-2002 1 .pdf
Documents similaires
-
10
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 04, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
- Taille du fichier 0.3063MB