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HAL Id: hal-02978713 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02978713 Submitted on 26 Oct 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Prendre d’assaut l’événement historique : Guy Debord et Mai 68 Matthieu Rémy To cite this version: Matthieu Rémy. Prendre d’assaut l’événement historique : Guy Debord et Mai 68. Représenter l’événement historique, Presses Universitaires de Nancy, pp.186-197, 2012, 978-2-8143-0073-6. ￿hal- 02978713￿ 1 PRENDRE D’ASSAUT L’EVENEMENT HISTORIQUE : GUY DEBORD ET MAI 68 Un événement, des événements On parle très souvent des « événements de mai 68 », comme si le pluriel de la formule, quelque peu euphémistique, permettait d’éviter la question essentielle quant à cette page de l’Histoire de France : peut-on parler d’un événement historique pour cette période d’agitation universitaire muée au bout de quelques semaines en grève générale ? Jean Garrigues, dans son ouvrage sur la France de la Ve République, le décrit ainsi : « Mai 68, c’est d’abord, et avant tout, la déclinaison française d’un mouvement de révolte international, qui traduit le désenchantement de toute une jeunesse face à la société de consommation des années soixante, source de cette aliénation collective dénoncée par le sociologue germano-américain Herbert Marcuse dans L’Homme unidimensionnel (1964). »1 Quelque chose relève avec mai 68 de la mutation sociologique soudaine, du changement de mentalité dans l’Occident industrialisé : des révoltes étudiantes naissent dès lors aux Etats-Unis et plus spécifiquement sur le campus de Berkeley et s’articulent autour de la dénonciation de la ségrégation raciale, puis autour de l’opposition à la guerre du Vietnam. C’est la date du 22 mars qui est traditionnellement connue pour être le point de départ du mouvement de mai : ce jour-là, à Nanterre, quelques dizaines d’étudiants occupent la salle du conseil de l’Université. Les incidents vont se multiplier et aboutir à la fermeture du campus le 2 mai par le doyen Grappin, entraînant le repli des étudiants à la Sorbonne, l’évacuation de celle-ci le 3 mai au soir et les premiers affrontements avec la police. Suivent de nombreuses manifestations étudiantes, une première nuit des barricades le 10 mai et une grève générale, qui lancée le 13 mai, va atteindre les neuf millions de participants autour du 24 mai. On connaît plutôt bien la suite, de Charléty jusqu’à la fuite du général de Gaulle à Baden-Baden, en passant par la candidature de Pierre Mendès-France à la direction d’un gouvernement provisoire. Seule une mésentente entre la gauche communiste et non-communiste, l’hésitation trop longue de la direction de la CGT et du PCF devant une prise de pouvoir permettront au président de la République de rassembler ses idées et de s’offrir une sortie de crise inespérée et même une victoire électorale en juin 1968. N’étant pas historien, nous ne trancherons pas sur la question de cette désignation de mai 68 comme un « événement » historique, mais nous garderons en tête cette problématique, en posant l’hypothèse suivante : certains écrivains, considérant qu’ils se devaient, par leurs travaux et leur activisme, de bouleverser l’ordre social et même l’ordonnancement du réel, ont non seulement considéré les événements de mai comme un événement historique, mais ont même, dans les années précédant l’agitation, dans l’agitation elle-même, participé à son élaboration. Comment, dès lors, ont-ils représenté cette séquence historique, alors même qu’ils l’appelaient de leurs vœux et y travaillaient ? Quels textes ont été écrits auparavant pour faire advenir cette séquence ? Et s’ils en ont été acteurs, comment se transforment-ils en témoins ? Guy Debord, les situationnistes et mai 68 Systématiquement, les situationnistes sont cités dans les exégèses consacrées à mai 68. Ils sont généralement pris dans une énumération : on parle d’une foule de groupuscules politiques d’extrême gauche – trotskistes, maoïstes, anarchistes – et l’on y inclut les situationnistes, malgré cette différence majeure : les situationnistes sont plus une avant-garde littéraire qu’un groupe politique, et leur revue, Internationale Situationniste, est un objet relativement inclassable où se mêlent de 1958 à 1969 réflexions politiques sur le langage et sa domination, pamphlets acerbes contre les penseurs des années 60 ou critiques de l’urbanisme comme outil d’aliénation. L’animateur principal de cette revue est Guy Debord, écrivain et cinéaste, dont le livre La Société du Spectacle, paru en 1967 chez Buchet-Chastel, est l’une des sources les plus importantes des idées qui vont agiter mai 68. Essai très structuré, il est constitué de neuf parties regroupant 221 fragments qui dissertent sur l’aliénation contemporaine, décrivant le monde contemporain comme une gigantesque accumulation de spectacles, le spectacle n’étant pas pour lui un ensemble d’images mais « mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »2. Guy Debord, artiste et révolutionnaire, décrypte dans cet ouvrage les mécanismes d’usurpation du réel et du vivant par les processus idéologiques capitalistes et communistes bureaucratiques et prône une révolution prolétarienne débouchant sur un gouvernement par conseils ouvriers. 1 Jean Garrigues, « La révolte de mai », La France de la Ve République, dir. Jean Garrigues, Paris, Armand Colin, 2008. 2 Guy Debord, La Société du Spectacle, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1996 (1ère édition : Paris, Buchet- Chastel, 1967), p. 16. 2 Mais avant cette publication importante, Guy Debord et les situationnistes ont déjà eu une influence sur les groupuscules étudiants qui vont mettre le feu aux poudres en mai 68, notamment à Nanterre, à Nantes et à Strasbourg. Ainsi les événements de mai 68 trouvent un phénomène précurseur dans le scandale de Strasbourg et l’édition de la brochure De la misère en milieu étudiant. Dans cet opuscule, édité en 1966, l’esprit situationniste est sensible partout et les contacts établis entre les étudiants et le groupe d’avant-garde laissent penser que la main des premiers a été largement guidée dans la rédaction d’un fascicule où il est question de choquer les esprits habitués à la vulgate contestataire habituelle. On lit donc ceci dès les premières lignes : « Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l’étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement méprisé ». Le petit livret, dont le titre exact est De la misère étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier, est édité consécutivement à la prise de pouvoir de quelques étudiants pro-situationnistes sur l’AFGES (Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg). Ceux-ci, dès la rentrée 1966, interrompent de nombreux cours par des jets de tomates mûres et diffusent des tracts d’inspiration situationniste, en forme de bandes dessinées dont les phylactères sont remplacés par des slogans pour le moins politiques. La diffusion de la brochure De la misère en milieu étudiant donnera là aussi l’occasion d’une provocation envers les autorités universitaires, alors même qu’elle est présentée comme un supplément spécial au numéro 16 d’Etudiants de France, organe officiel de l’AFGES. On y trouve des jugements définitifs sur la condition étudiante et sur la soumission de la jeunesse en général, l’institution universitaire en prenant elle aussi pour son grade, puisque soupçonnée d’être le moule qui formera en série les futurs agents de la domination : Que l’Université soit devenue une organisation – institutionnelle – de l’ignorance, que la « haute culture » elle-même se dissolve au rythme de la production en série des professeurs, que tous ces professeurs soient des crétins, dont la plupart provoqueraient le chahut de n’importe quel public de lycée – l’étudiant l’ignore ; et il continue d’écouter respectueusement ses maîtres, avec la volonté consciente de perdre tout esprit critique afin de mieux communier dans l’illusion mystique d’être devenu un « étudiant », quelqu’un qui s’occupe sérieusement à apprendre un savoir sérieux, dans l’espoir qu’on lui confiera les vérités dernières. C’est une ménopause de l’esprit. Tout ce qui se passe aujourd’hui dans les amphithéâtres des écoles et des facultés sera condamné dans la future société révolutionnaire comme bruit, socialement nocif. D’ores et déjà l’étudiant fait rire3. Les événements de Strasbourg apparaissent comme précurseurs d’une agitation estudiantine à laquelle les situationnistes vont notoirement participer, leur renommée grandissant et la diffusion de leurs idées et rhétorique se faisant jusqu’en mai 1968 de plus en plus importante. La publication des deux ouvrages phares de l’idéologie situationniste en 1967, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem et La Société du Spectacle de Guy Debord, excitera plus encore la curiosité des étudiants les plus réfractaires au système par une stylistique mettant l’accent sur l’ironie, la véhémence et le dédain pour toute forme d’autorité intellectuelle. Jusqu’à mai 68, les situationnistes ne cesseront d’éditer tracts, affiches et numéros de la revue Internationale situationniste fustigeant dans l’invective et l’injure les compromissions des intellectuels ou le cynisme d’un système politique complice de la gigantesque uploads/Histoire/ 2012-matthieu-re-my-prendre-d-x27-assaut-l-x27-e-ve-nement-historique.pdf

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  • Publié le Mar 03, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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