NIMET ARZIK ANTHOLOGIE DE LA POÉSIE TURQUE (XIIP-XX" siècle) mf GALLIMARD <8> 1
NIMET ARZIK ANTHOLOGIE DE LA POÉSIE TURQUE (XIIP-XX" siècle) mf GALLIMARD <8> 10 F Anthologie de la poésie turque Xffle - XX® siècle TEXTES CHOISIS, PRÉSENTÉS ET TRADUITS PAR NIMET ARZIK mf GALLIMARD Tous droits de traduction^ de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays y compris VU,R.S,S. © Éditions Gallimard^ 1968. LA POÉSIE POPULAIRE Firmans de sultans, mémoires, récits de voyages et quelques autres ouvrages, jusqu'au siècle dernier les œuvres en prose sont rares dans la littérature turque. La poésie, elle, a une tradition de plus de dix siècles. Elle sera durant cet intervalle l'expression la plus naturelle de la pensée turque. Le conquérant sera poète : Alors que les fauves ploient sous mon étreinte Une aux yeux de gazelle me tient asservi. Sélim le Fier. Poète, le guerrier : Avecque le mousquet la force est au félon. Gainés dans leurs fourreaux, nos sabres se rouillent. Koroglu. Poète, le courtisan : Et la beauté des roses, si tu en crois Nédim Seigneur, mériterait l'honneur de ta présence. Nédiin. Poète encore le mystique : Coulent roulant le nom de Dieu, Le rossignol lance son trille ; Le croyant écoute son Dieu. Yunus Emre. fff 10 Anthologie de la poésie turque Poète de même, le révolutionnaire : Liberté, quel est donc ton envoûtement, Pour que nous, révoltés, nous soyons tes esclaves / Namuk Kemal. Poète enfin, le libertin Je veux être ta ceinture d'or M'enrouler à ta taille fluette. Karacaoglan. Jusqu'aux vers libristes, deux formes de poésie ont ete en honneur en Turquie, parallèlement : la poésie de cour ou classique, qu on appelle du Divan, et la poésie populaire, continuation d une poésie de clan, qui existait bien avant Vislamisme. Nous commencerons par la poésie populaire, . i. - . Le mystique et le fou, ces deux personnages ont toujours bénéficié d'une certaine inviolabilité sous les climats autoritaires pour les mêmes raisons psychologiques : ^ ^ Attaquer celui qui est à tu et à toi avec le Créateur^ n est pas chose aisée. Lutter contre celui que le Seigneur a protège lui-même en dressant un mur entre la raison de celui-ci et le inonde. Test moins encore, Uinnocent et le saint furent ainsi ménagés par toutes les sociétés, Uintellectuel oriental, donc, eut jadis souvent recours à la folie et au mysticisme combinés, pour affirmer sa personnalité, pour défendre ses convictions, pour confesser ses fautes, pour chanter ses amours, et, surtout, pour se faire le porte-parole des petits et des humbles. Pour essayer de comprendre le poète errant (car le poète errait, lui, le créateur de la chanson populaire), dans la monotonie apparente de son style, bourré de clichés, de coq-à-Vâne, il faut laisser de cote la loupe académique, et raccompagner au plein air. Se faire passer pour fou, « Adini deliye çikarmak », / expression garde en notre langue toute sa vigueur et, dans notre vie, toute son utilité. Le mysticisme et la folie furent de longtemps le refuge des poètes turcs : Vexemple de Hafiz au renom universel, poète^errant classique de grand tempérament, homme d'esprit, de fantaisie, de talent. Anthologie de la poésie turque 11 suffit à le prouver : il brûlait du plus terrestre des amours pour la fi lle de son protecteur, Vémir de Chiraz, Chemsinur (Rayon de Soleil). Il ne pouvait chanter cet amour dans Tes poèmes qu'en le convertissant en amour mystique. Pour se faire une idée du poète errant, il faut connaître la vie d'alors, le gouvernement d'alors (le plus aisé pour celui qui gouverne, le despotisme), le village d'alors, la route d'alors en Anatolie. Le créateur de la chanson populaire est né du besoin d'épanche- ment des communautés. La poésie officielle des grands empires était une poésie sage, assise, pompeuse, dans le style même du royaume. Le peuple ne pouvait comprendre cette forme d'expression. Elle ne répondait, ni aux besoins de son esprit, ni aux désirs de son cœur. C'était une poésie sans humilité, qui ne répondait pas à l'élan intérieur du poète même. D'aucuns, gens de talent et de cœur, se sont faits traducteurs, confidents des joies et peines de la masse, dans un langage simple, spontané, facile et familier. Ainsi est née la chanson populaire chez nous, dians un passé qui remonte à l'orée des souffrances humaines et dont les derniers représentants vivent encore aujourd'hui. S'accompagnant de son saz (cithare), le poète errant a chanté Dieu, l'amour courtois ou libertin, l'ardeur guerrière. Il essayait en réalité de percer les multiples murailles dont il était encerclé : celles du despotisme, du fanatisme, de l'intolérance. Les attaquer de front, c'eût été folie. Chacun des poètes errants a endommagé ces murailles et acquis sa place au soleil. La tradition orale lui a gardé cette place dans la mémoire et dans le cœur des hommes. Tous nos poètes errants ont été à leur façon des horsrJa-l&i, au point de vue esthétique, au point de vue jwùdique et au point de vue éthique. Ils sont des hors-la-loi non révolutionnaires. Aucun d'eux ne veut détruire l'ordre établi, ni créer un ordre nouveau. Tous veulent des réformes dans un monde ancien pour en faire un monde meilleur, mais non pas nouveau. Ils savent tous qu'il n'appartient pas à un seul être, ni à un seul courant d'idées, de rénover un monde. Ce sont des poètes, certes, mais ce sont des sages. La poésie n'est que leur arme, et le saz leur instrument. Ils sont l'oasis qui abrite la verdure, le chant des oiseaux, le vent de la liberté, dans le désert aride des conventions, des formes et des durs moules, qui font la force des grands empires. 12 Anthologie de la poésie turque Pour les comprendre, il faut comprendre l'ancien empire dans son esprit. Le poète errant est donc un porte-parole et un sage. Pourquoi l'Est du pays a-t-il donné tant de ces personnages et l'Ouest si peu?... L'Ouest a toujours vécu dans une aisance relative. L'Ouest n'a pas connu l'être humain dans son dépouillement total. A l'ouest, il n'est point de gigantisme géographique. L'homme n'y est pas si loin de l'homme, il n'y est même pas de cruauté de grande envergure. A l'ouest, l'âme humaine n'a pas besoin de sourdre en geyser. Puis, l'Est, où se croisent les vents venant de l'Iran, de l'Irak, des Caucases, était un fourmillant bazar du senti ment et de l'idée. ... Et les poètes errants ont sillonné le pays, trimballant des sen timents, des idées, des révoltes et de la nostalgie, sur cet instrument gracieux et primitif qu'est le saz, qui a l'âge de la musique, presque. Pourquoi ci saz? Parce que, avec la musique, on peut oser davan tage et qu'une chanson pénètre mieux que la parole sèche; parce que dans la détente intime que créent les sons, les hommes sont plus confiants. Parce que, enfin, il faut truquer et présenter ses idées et ses suggestions sous forme de plaisir. H n'écrira pas, le poète errant, il conservera son ceuvre dans sa mémoire. L'Orient étant conservateur par excellence, tout un peuple conservera les chansons de ceux qui, usant du voile du mysti cisme et de la folie, ont peiné, lutté et risqué tout pour lui à leur gracieuse façon. Yunus Emre (se lit : Younous Entré) La vie de Yunus Emre ('xin® siècle)^ grand poète mystique d^origine paysanne^ est peu connue^ submergée qu'elle est par la légende. Le lieu de sa naissance comme de sa mort prête à discussion. La légende qui le veut illettré n'a rien à voir avec la réalité. C'est un autodidacte qui possédait à fond le persan et l'arabe. La tradition orale a conservé ses poèmes. Je te pardonne, ô créature, A cause de ton Créateur. Et Yunus Emre, après ces fières paroles lancées à son instituteur, quitta les bancs de l'école pour s'inscrire à l'école de la vie. CANTIQUE Au paradis où les rivières Coulent roulant le nom de Dieu, Le rossignol lance son trille : Le croyant écoute son Dieu. Au paradis où les rameaux Le nom de Dieu psalmodient, La rose n'épand pas son parfum. Elle épand le nom de Dieu. Anthologie de la poésie turque Ceux qui mangent et cexix qui ont soif, Prophètes, couseurs d'habits célestes. Anges qui sèment la bonté. Tous respirent le nom de Dieu. Colonnes supports du ciel, S'allongeant en pure lumière. Arbrisseaux au feuillage d'argent Sont des bras attirés par Dieu. Les houris au pur visage. Aux paroles de douceur et de paix. Errent là-haut parmi le vert. Chantant le saint nom de Dieu. Devant le juste entrant au ciel. Acte de propriétaire en main. Huit portes en s'ouvrant gémissent. Elles gémissent le nom de Dieu. Gardiens aux portes sacrées. Ou couseurs d'habits célestes. Buveurs d'ambroisie, tous mais tous. Se désaltèrent de Dieu. Cours au-devant du pur amour, Yunus, ne remets à demain Pour comparaître en sa présence. Sur ta lèvre, im murmure : Dieu! A CONTRESENS Donc sur le rameau du prunier. J'ai picoré, moi, le raisin. Le maître du verger accourut Pour me reprocher mon larcin. Yunus Entre 15 Ma marmite remplie d'argile, Vents du uploads/Histoire/ anthologie-de-la-poesie-tuque.pdf
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- Publié le Sep 11, 2021
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