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LA GENÈSE DU SERVICE MILITAIRE ADAPTÉ À L’OUTRE-MER Un exemple de rémanence du

LA GENÈSE DU SERVICE MILITAIRE ADAPTÉ À L’OUTRE-MER Un exemple de rémanence du passé colonial dans la France des années 1960 Sylvain Mary Presses de Sciences Po | « Vingtième Siècle. Revue d'histoire » 2016/4 N° 132 | pages 97 à 110 ISSN 0294-1759 ISBN 9782724634808 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2016-4-page-97.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. 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Ces Trois Glorieuses de la Martinique 4 avaient révélé, aux yeux des autorités métropolitaines, une situation sociale explosive et la popularité des idées anticolonia listes au sein d’une jeunesse frappée par la crise du secteur sucrier et surtout tenue à l’écart du service militaire 5. Or, dans la construction de la République en France, essentiellement depuis les années 1880, le service militaire est une « institution d’acculturation » dotée d’une (3) Dans le contexte antillais de 1’époque, l’appellation « pied-noir » renvoie à des populations de fonctionnaires pas sées antérieurement par l’Afrique du Nord. Il ne s’agit pas for cément de « pieds-noirs » au sens où on l’entendra en 1962 avec l’arrivée massive des populations européennes d’Algérie sur le sol métropolitain. (4) Expression employée au lendemain des événements par le vice-recteur de la Martinique Alain Plenel (voir Louis- Georges Placide, Les Émeutes de décembre 1959 en Martinique : un repère historique, Paris, L ’Harmattan, 2009, p. 190). (5) Ces événements de décembre 1959 font actuellement l’objet d’une commission indépendante de recherche his torique nommée par le ministère des Outre-Mer. Outre ces événements, elle étudie également ceux de juin 1962 et de mai 1967 en Guadeloupe. Présidée par Benjamin Stora, elle se compose des historiens suivants : René Bélénus, Jacques Dumont, Sylvain Mary, Edenz Maurice, Laurent Jalabert, Serge Mam-Lam-Fouck, Louis-Georges Placide et Michelle Zancarini-Fournel. Pour une première approche, on pourra se reporter au travail pionnier de L.-G. Placide, Les Émeutes de décembre 1959…, op. cit. On consultera ensuite Laurent Jalabert, La Colonisation sans nom : La Martinique de 1960 à nos jours, Paris, Les Indes savantes, 2007 ; enfin Jean Vigreux, Croissances et contestation (1958-1981), Paris, Éd. du Seuil, « L ’Univers historique », 2014, p. 150-152, lequel analyse et inscrit ces événements dans le cadre plus vaste d’une histoire de la France du temps présent. Plus d’un demi-siècle après sa naissance au début des années 1960, le service militaire adapté (SMA) est devenu une institution prospère et consensuelle. Conçu à l’origine pour une durée de vingt ans, il a survécu à l’alternance de 1981 et à la suspension du service national en novembre 2001, et connaît depuis un essor constant 1. L’institution se présente aujourd’hui comme un dispositif d’inser tion socioprofessionnelle basé sur une pédagogie militaire et destiné à de jeunes volontaires, en priorité sans diplôme, pré sentant un risque de désocialisation 2. À l’origine, le SMA avait été conçu sur des bases différentes, selon une optique d’incor poration de masse par voie d’appel et dans un contexte de dégradation rapide des rela tions entre les Antilles et la métropole. Du 20 au 22 décembre 1959, les forces de l’ordre avaient ouvert le feu, tuant trois jeunes des quartiers pauvres de Fort-de-France, au cours d’une émeute déclenchée par un accident de (1) Installé aux Antilles et en Guyane dès 1962, le service militaire adapté (SMA) s’est ensuite étendu à La Réunion en 1965, en Nouvelle-Calédonie en 1986, à Mayotte en 1988 et en Polynésie française en 1989. (2) Voir le site du SMA : http://www.le-sma.com. Le dispo sitif est ouvert aux femmes et aux hommes. La genèse du service militaire adapté à l’Outre-Mer Un exemple de rémanence du passé colonial dans la France des années 1960 Sylvain Mary © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 82.255.225.76) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 82.255.225.76) SYLV AIN MARY 98 de ce dispositif spécifique, adapté à des espaces issus de la colonisation, pose aussi la ques tion, en écho à une historiographie en plein essor, des formes de racialisation (entendues au sens de constructions sociales et non de réa lités biologiques) subies ou revendiquées dans la société française 3. La genèse du SMA dans les années 1960 apparaît comme un exemple de rémanence du passé colonial affectant les pratiques, discours et représentations de ses acteurs, métropolitains comme autochtones. Aux origines de l’institution Avant les émeutes urbaines de décembre 1959, quelques élus d’Outre-Mer s’étaient déjà inquiétés de l’absence de service militaire dans les DOM. Le gouvernement n’avait alors guère montré d’empressement pour remédier à la situation 4. Pour ces élus, la départemen talisation acquise en 1946 impliquait une éga lité de droits mais aussi de devoirs à l’égard de la métropole et donc la nécessité de faire cesser toutes les discriminations. En matière d’obligations militaires, la situation était en effet paradoxale. Depuis la veille de la Grande Guerre, les jeunes des quatre « vieilles colo nies » effectuaient leur service militaire par voie d’appel 5. À partir de 1946 en revanche, pour des raisons financières et logistiques, une très large majorité d’entre eux étaient recen sés avant d’être placés en congés budgétaires, (3) Pap N’Diaye, La Condition noire, Paris, Calmann- Levy, 2008. Citons également les travaux issus du sémi naire « Histoire des populations noires en France : nou velles dimensions historiques et historiographiques » animé par Audrey Célestine, Sylvain Pattieu, Emmanuelle Sibeud et T yller Stovall à l’Université Paris-VIII en partenariat avec les Archives nationales (Jean-Pierre Bat, Anne Leblay-Kinoshita, Françoise Lemaire). (4) Archives nationales (AN, Pierrefitte-sur-Seine), 5 AG F/ 695, note de Jacques Foccart à l’attention du com mandant Daille du 27 août 1959. (5) Jacques Dumont, « Conscription antillaise et citoyen neté revendiquée au tournant de la Première Guerre mon diale », Vingtième Siècle : revue d’histoire, 92, octobre-décembre 2006, p. 101-116. fonction intégratrice à la nation « éminem ment politique » 1. Créé en urgence dans les mois suivants, le SMA avait donc été pensé dans cette optique de « reconquête politique » des marges ultra marines de la nation. Plus précisément, il avait été imaginé comme l’élément cen tral d’un ambitieux dispositif militaire, bap tisé plan Némo, censé s’attaquer aux racines de la crise par l’ouverture d’un « front pion nier » dans l’Amazonie guyanaise qui aurait précédé un vaste courant migratoire, planifié sur deux décennies, en provenance des Antilles. Aujourd’hui tant loué, le SMA fut pourtant présenté au départ par ses détracteurs comme une institution symbole du colonialisme fran çais dans les départements d’Amérique. Son origine est, en effet, le produit d’un double héritage qui se situe au point de rencontre d’un idéal républicain, celui de la conscription, et d’une situation de décolonisation. Elle s’inscrit dans une histoire longue de la figure du soldat citoyen, dans les rapports de celui-ci à l’État et à la nation, ainsi que dans une histoire des doctrines militaires coloniales forgées depuis le 19e siècle et plus particulièrement pendant les guerres de décolonisation 2. De fait, l’invention (1) Olivier Forcade, « L ’Armée », in Vincent Duclert et Christophe Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 647-653, p. 648 ; id., « L ’histoire politique des armées et des militaires dans la France républicaine (1871-1996) : essai d’historiographie », Jean Jaurès : cahiers trimestriels, 142, octobre-décembre 1996, p. 7-24 ; id., « Introduction », in id., Éric Duhamel, Olivier Forcade et Philippe Vial (dir.), Militaires en République : 1870‑1962. Les officiers, le pouvoir et la vie publique en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 21-43. (2) Pour les doctrines du 19e siècle, lire par exemple : Jean- François Klein, « Le sorcier de la pacification : Théophile Pennequin (1849-1916) », in Samia El-Méchat (dir.), Coloniser, pacifier, administrer : xixe-xxe siècles, Paris, CNRS éditions, 2013, p. 35-56 ; id., « Tisser l’Empire en Asie : hommes, ter ritoires, réseaux (18e-20e siècle) », habilitation à diriger des recherches, Université Paris-IV, décembre 2014. Pour la période de la décolonisation, voir Marie-Catherine et Paul Villatoux, La République et son armée face au « péril subversif » : guerre et action psychologiques en France (1945-1960), Paris, Les Indes savantes, 2005. © Presses de uploads/Histoire/ 2016-la-genese-du-service-militaire-adapte-a-l-x27-outre-mer 1 .pdf