Aborder l’histoire du temps présent Par Valérie Schafer, professeure agrégée, c
Aborder l’histoire du temps présent Par Valérie Schafer, professeure agrégée, collège Jean Moulin, Le Pecq. V. Schafer est l’auteure d’une thèse : « Des réseaux et des hommes. Les réseaux à commutation de paquets, un enjeu pour le monde des télécommunications et de l'informatique français (1960-1980) », soutenue le 19 novembre 2007 à Paris IV Sorbonne sous la direction du professeur P. Griset. L’histoire du temps présent, et notamment sa partie terminale, l’histoire immédiate, l’histoire très contemporaine, donne lieu à une riche production historique, en lien avec la reconnaissance de cette histoire et l’engouement qu’elle provoque depuis une vingtaine d’années. Son intégration dans les programmes n’est pas nouvelle1. Souvent reliée plus que d’autre à la pédagogie du citoyen, elle soulève des débats dans les années 1990, alors que l’expression « le temps présent des années 1960 à nos jours » fait l’objet d’un titre de paragraphe dans les programmes de collège de 1989. Actuellement elle est présente dans le programme de troisième (De 1945 à nos jours : croissance, démocratie, inégalité, ou La France depuis 1945, présence de repères comme le 11 septembre ou les années Chirac), et en terminale (dans les séries ES et L: A la recherche d’un nouvel ordre mondial depuis les années 1970, Les enjeux européens depuis 1989 par exemple, en terminale STG : l’Algérie à partir de 1954, ou l’Inde à partir de 1947, etc). Dans un article paru dans les Cahiers d’histoire immédiate n° 7, au printemps 1995, Stéphane Soulet relevait l’intérêt des élèves comme des professeurs pour ces questions, mais aussi les problèmes méthodologiques qu’ils rencontraient : celui des sources, du recul face à « l’histoire vécue », à l’actualité, à l’événement, ou celui de la démarche propre à l’historien par rapport à celle du journaliste. Comment aborder une histoire allant jusqu’à nos jours et le très contemporain alors que la recherche et les premiers essais de bilan sont en cours (ainsi la parution d’un numéro de janvier-mars 2008 dans la revue XX° siècle, proposant un essai de bilan sur l’Amérique de Georges W. Bush, dossier dirigé par Justine Faure et Pierre Mélandri) ? Quels éléments des réflexions universitaires dans le domaine de l’historiographie et de l’épistémologie sont perceptibles dans les programmes ? Quels sont les enjeux implicites et explicites pour l’enseignant qui aborde le temps présent et l’histoire immédiate? 1 Nicole Lucas, Enseigner l’histoire dans le secondaire, Manuels et enseignement depuis 1902, Pur, Rennes, 2001, 319 p, pp. 313 et ss. 1 L’histoire du temps présent a une histoire Les historiens qui étudient le temps présent et sa partie terminale, l’histoire immédiate, relèvent de plusieurs groupes, universités, sensibilités historiographiques. On peut notamment citer les travaux du Centre d’histoire sociale de l’Université de Paris I, du Centre de recherche historique à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) ou du Centre d’histoire de Sciences Po. Deux groupes, par la richesse de leurs réflexions épistémologiques et historiographiques, ont retenu notre attention : le Groupe de recherche en Histoire immédiate (GRHI) et l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP). Présentation du Groupe de recherche en Histoire immédiate et de l’Institut d’histoire du temps présent. Le GRHI a été créé en 1989 à l’université de Toulouse le Mirail et doit beaucoup à l’action de son premier directeur Jean-François Soulet, initiateur des Cahiers d’histoire immédiate en 1991. À la suite de la rencontre entre les responsables du GRHI et ceux de FRAMESPA (France méridionale et Espagne : histoire des sociétés du moyen-âge à l'époque contemporaine) qui appartient au CNRS, le GRHI a confirmé son accord pour son intégration au sein du FRAMESPA le 11 octobre 2005. Sa direction scientifique est assurée par Guy Pervillé, spécialiste en particulier de l’histoire de l’Algérie. L’Institut d’histoire du temps présent (unité propre de recherche du CNRS) a été fondé en 1978 et inauguré en 1980 par François Bédarida, qui l’a dirigé jusqu’en décembre 1990. Robert Frank, historien des relations internationales à Paris 1, lui a succédé de 1990 à 1994. L’Institut a été ensuite dirigé par Henry Rousso, jusqu’en 2005. Depuis le 1er janvier 2006, Fabrice d’Almeida en a pris la tête, secondé par Christian Ingrao, son directeur adjoint. L’IHTP est pour une part l’héritier du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale (CHDGM), créé en 1951, et il en a prolongé l’oeuvre, en développant l’historiographie française sur la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci reste un champ de recherche et d’expertise majeur, mais n’est plus qu’un domaine d’activité parmi d’autres de l’IHTP. 2 L’expérience acquise sur ce terrain a obligé à une réflexion permanente sur les méthodes et sur l’éthique du métier d’historien, et a nourri les travaux sur d’autres périodes et sur d’autres objets2. Une histoire qui se décale dans le temps et est en redéfinition constante Jean-François Soulet donnait de l’histoire immédiate la définition suivante : « Au total, nous entendons donc par histoire immédiate, l'ensemble de la partie terminale de l'histoire contemporaine, englobant aussi bien celle dite du temps présent que celle des trente dernières années; une histoire, qui a pour caractéristique principale d'avoir été vécue par l'historien ou ses principaux témoins. » Jean-François SOULET, L'histoire immédiate, PUF, Collection Que-Sais-Je ?, n° 2841, 1994. Le GRHI a été un pionnier pour les études portant sur la partie terminale de l’histoire contemporaine, les trente dernières années, celles où les archives publiques ne sont pas encore consultables. Dans le rapport de novembre 2005, Situation et projets d’avenir pour l’IHTP, Fabrice d’Almeida et Christian Ingrao redéfinissent l’histoire du temps présent et ses terrains d’étude, intégrant pleinement l’analyse de ces trente dernières années. En effet l’histoire du temps présent a fait l’objet de plusieurs définitions successives qui ont chacune été le reflet de l’évolution du débat historiographique3. François Bédarida l’entendait dans un sens proche de celui que les Allemands donnent à l’expression Zeitgeschichte. Il y a alors l’idée d’une cohérence d’époque entre les années 1930 et le début des années 1980, moment qui vit la naissance de l’IHTP. Celui-ci se voue à reprendre et prolonger l’héritage du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale et à montrer comment cette guerre a façonné les esprits, de telle sorte que la notion de témoin occupe une place centrale, de même que la réflexion sur les sources et l’histoire orale. Après le départ de François Bédarida, l’histoire du temps présent intègre grâce à Robert Franck et Henry Rousso l’histoire des relations internationales et l’histoire comparée, et il y a une européanisation de la notion. Le travail du laboratoire se fixe notamment sur les violences 2 Rapport Situation et projets d’avenir pour l’IHTP de Fabrice d’Almeida et Christian Ingrao de novembre 2005. 3 idem 3 de guerre et le lien entre les deux guerres mondiales. Le rapport de 2005 de Fabrice d’Almeida et Christian Ingrao propose une nouvelle définition pour l’histoire du temps présent, en partant du constat de François Hartog, selon lequel nous sommes entrés dans un régime d’historicité qui se caractérise par la réduction du futur et du passé au seul présent, phénomène qu’il qualifie de « présentisme ». La multiplication des intrusions de la mémoire dans l’histoire et la parcellisation du discours sur le passé ont provoqué l’embarras des historiens face au statut épistémologique de leur recherche et une suspicion à l’égard de leur travail. Fabrice d’Almeida et Christian Ingrao s’appuient sur les réflexions de l’historien d’Oxford, Timothy Garton-Ash, pour qui l’histoire du temps présent se caractérise par la possibilité pour l’historien de pratiquer une immersion totale dans son sujet, de se confronter en tant qu’acteur à son objet. Timothy Garton-Ash considère que la véritable histoire du temps présent démarre avec la chute du mur de Berlin. Les deux historiens français préfèrent élargir cette période, en tenant compte d’expériences qui ont pu façonner la perception qu’a l’historien des événements passés, présents et à venir. Cette volonté de prendre en compte la mémoire à forte connotation affective, les « affects », les conduisent à proposer une définition de l’histoire du temps présent partant de la Belle Epoque et allant jusqu’à nos jours, englobant ainsi l’histoire immédiate. Les territoires de l’IHTP et du GRHI Le rapport de 2005 de l’IHTP relève quatre échelles d’analyse : - l’échelle locale, allant de la ville à la région. Le réseau des correspondants locaux a été utilisé pour l’étude sur la réception de la guerre d’Algérie en métropole par Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche. - La deuxième échelle est nationale, c’est la mieux étudiée en histoire du temps présent. L’IHTP n’est pas absent de ce débat. - Le troisième niveau est européen, et l’IHTP s’intéresse à l’histoire européenne dans une perspective qui n’est plus seulement celle d’une histoire comparée ou croisée de l’Europe, mais d’une histoire partagée - Enfin la dernière échelle d’analyse est celle de la globalité avec des sujets tests, tels les travaux de Malika Rahal, qui mène une réflexion sur la vie politique dans les pays colonisés, en coopération avec l’université d’Alger et le Centre d’histoire sociale de l’Université de 4 Tunis, ou les recherches sur le « Fascisme colonial et postcolonial» en collaboration avec Alain Delissen uploads/Histoire/ aborder-l-histoire-du-temps-present.pdf
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- Publié le Sep 03, 2021
- Catégorie History / Histoire
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