L'Aide humanitaire, aide à la guerre ? / © Éditions Complexe, 2001 ISBN 2-87027
L'Aide humanitaire, aide à la guerre ? / © Éditions Complexe, 2001 ISBN 2-87027-876-4 D11638/2001/37 Marc-Antoine Pérouse de Montclos L'Aide humanitaire, aide à la guerre ? Enjeux du XXle siècle ",EDITlONS.. ~COMPLEXE~ À Lalo SOMMAIRE INTRODUCTION DE LA DIFFICULTÉ À CRITIQUER LESYSTÈME HUMANITAIRE .. " Il AuCŒUR DES GUERRES: LES POPULATIONS CIVILES 17 LES DERNIERS AVATARS DES DÉRIVES DE L'AIDE DANS LES PAYS EN GUERRE 41 L'ÉVOLUTION DE LACRITIQUE 57 DES « NOUVELLES» GUERRES ENTROMPE-L'ŒIL 77 LES IMPASSES DES INTERVENTIONS MILITARO-HUMANITAIRES 97 DES ALTERNATIVES POUR MAINTENIR LA PAIX 119 DE LA PRÉVENTION DES CONFLITS À LA SANCTION 141 DES LEÇONS QUI N'ONT PAS PORTÉ 163 CONCLUSION DE LADIFFICULTÉ À ARRÊTER L'AIDE HUMANITAIRE 185 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 193 LISTE DES SIGLES 207 «Les opérations d'assistance au Soudan n'ontfait que trai- ter les symptômes, pas le mal. Les Somaliens, de leur côté, me disaient franchement que l'aide était mauvaise. Ils avaient vu comment celle-ci avait corrompu les seigneurs de guerre et leurs tueurs, comment elle était devenue un objectif militaire en soi. Les Rwandais et bien d'autres Africains me faisaient également remarquer comment des étrangers, avec les meilleures intentions du monde, pouvaient bouleverser de fra- giles systèmes sociaux... Unefemme tutsi du Rwanda, qui pré- conisait le départ des travailleurs humanitaires, déclarait: "Vous devriez laisser les Africains en paix. Mieux vaut une bonne guerre, quitte à ce qu'une bonne partie de la popula- tion meure, plutôt que de maintenir les belligérants artificiel- lement en vie et les laisser achever leurs massacres... " Faut-il donc mettre un terme à l'aide humanitaire? D'ins- tinct, je dirais oui... Mais chaque cas est différent. En Soma- lie, l'aide a permis à la guerre de perdurer... Au Soudan, de nombreux arguments plaident en faveur d'un arrêt complet... Et le Rwanda est un cas d'espèce, car les responsables du génocide ont pu reconstituer leur force de frappe militaire dans les camps de réfugiés au Zaïre... La question préoccupe évidemment les opérateurs de l'aide et n'a pas de réponses faciles. » Un correspondant de guerre en Afrique (Peterson, Scott, Me against my brother : at war in Somalia, Sudan, and Rwanda: a journalist reports from the battlefields ofAfrica, Londres, Routledge, 2000, p. 236.) INTRODUCTION DE LA DIFFICULTÉ À CRITIQUER LE SYSTÈME HUMANITAIRE À l'heure de la globalisation et du libéralisme triom- phant, l'engagement humanitaire représente une convic- tion bien ancrée, quoique partagée entre la tentation du militantisme politique et l'utopie d'une aventure pas- sionnelle. Le citoyen est sollicité à chaque instant: par des demandes de soutien financier dans sa boîte aux lettres, par des images télévisées témoignant d'atrocités, par des articles de presse relatant la montée des périls dans ce tiers-monde pas toujours si lointain depuis que la déflagration yougoslave a frappé en plein cœur bal- kanique de l'Europe. Le discours de ceux qu'on peut appeler les «humani- taires» s'est affiné en conséquence. La démonstration ne vise plus tant à justifier des actions d'urgence, qui paraissent désormais relever du devoir évident des pays riches, qu'à réclamer une intervention accrue sur les ter- rains de crise : une ingérence qui contourne le principe du respect des souverainetés nationales, voire le bafoue ouvertement comme au Kosovo, où la communauté internationale a établi un protectorat de fait. L'affaire yougoslave, à cet égard, a entériné une véri- table révolution du droit international dont nul ne sait vraiment où elle mènera. Il serait présomptueux de don- ner aux États-Unis un rôle de gendarme mondial qu'ils sont incapables d'assumer et on peut douter de la capa- 11 L'AIDE HUMANITAIRE, AIDE À LA GUERRE? cité de l'Europe à élaborer une politique étrangère com- mune très entreprenante dans ce domaine. Un fait reste certain: à travers leurs lobbies, leurs actions sur place et leurs représentations des crises, les «humanitaires» sont devenus partie constituante de la vie diplomatique et leur influence va augmentant. Aussi la critique soulignant les dysfonctionnements de l'aide n'est-elle pas aisée. Une analyse rigoureuse est vite déstabilisée par un plaidoyer moralisateur, larmoyant et culpabilisant mais certainement pas scientifique. Les atti- tudes «tiers-mondiste et deux tiers mondaine », pour reprendre une formule en usage, empêchent de parler sereinement des problèmes et de dépasser les propos alarmistes que l'on assène trop souvent à un public avide de drames. Le difficile objectif de cet ouvrage, précisément, est de montrer que l'aide d'urgence alimente la guerre, que les experts ne connaissent pas son véritable impact sur les éventuels bénéficiaires « après détournement », qu'on ne sait pas combien de vies elle sauve dans la durée, ni à quel prix, et surtout qu'on est impuissant à fermer «le robinet humanitaire» car les dynamiques en jeu s'éloi- gnent de l'intérêt des populations concernées et subissent l'inertie administrative des opérateurs du système: États bailleurs de fonds, organismes tels que le Haut-Commis- sariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le PAM (Programme alimentaire mondial) ou le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), ONG (Organisations non gouvernementales) en compétition sur un marché très concurrentiel... Dire alors qu'il faut, dans certains cas, couper les vivres plutôt que de nourrir les combat- tants et ranimer un conflit en y injectant de l'argent frais, c'est encourir une condamnation morale qui évacue les réflexions « bassement» pragmatiques et réalistes. Notre but n'est pourtant pas de recommander l'arrêt de l'aide d'urgence. Il ne s'agit pas de réhabiliter le car- 12 INTRODUCTION . tiérisme des années 1960, du nom de ce journaliste, Raymond Cartier, qui dénonçait le coût de la coopéra- tion française dans ses anciennes colonies, avec pour slogan: «la Corrèze plutôt que le Zambèze ». Les pré- occupations poujadistes du contribuable ne sont pas de notre ressort, alors même que l'aide au développement va diminuant et n'a jamais atteint le minimum requis par les Nations unies, soit 0,7 % du produit national brut des pays riches. En revanche, l'inquiétude est fon- dée lorsqu'il s'avère que l'aide humanitaire aide la guerre. Il faut savoir, quelques fois, arrêter les frais. Les ONG et les organisations internationales ont, à cet égard, des comptes à rendre. Le devoir citoyen d'engagement humanitaire doit s'accompagner d'une exigence de transparence. Dans le secteur privé, une entreprise rédige bien des bilans à l'intention de ses actionnaires. Dans le secteur associatif, une ONG a pareillement l'obligation de faire auditionner ses acti- vités. Ceci vaut autant pour ses membres et ses dona- teurs que pour l'ensemble de la collectivité au vu des prétentions morales de ces associations et du statut dont bénéficient certaines d'entre elles lorsqu'elles sont déclarées d'utilité publique. Sachant la « marchan- disation » et la médiatisation grandissantes des activités humanitaires, il paraît normal que les ONG se soumet- tent à l'épreuve de l'autocritique et reconnaissent leurs erreurs. D'une certaine manière, le citoyen-contri- buable a un droit de regard au même titre que l'action- naire. En effet, les organisations humanitaires méritent de moins en moins le qualificatif de non gouvernemen- tales puisque l'essentiel du budget de la plupart d'entre elles provient désormais de fonds publics au titre de l'aide bilatérale ou internationale. Les instances spécia- lisées de l'Organisation des Nations unies (ONU) et de l'Union européenne (UE) sont bien entendu visées par cette exigence de transparence, un récent rapport de 13 L'AIDE HUMANITAIRE, AIDE À LAGUERRE ? Bruxelles mettant justement en avant la mauvaise ges- tion de son département humanitaire, connu sous son acronyme anglais d'ECHO. La critique est certes admise par les ONG les plus « conscientisées » comme Médecins sans frontières, qui est d'ailleurs, et ce n'est sans doute pas un hasard, une des dernières à avoir conservé une certaine indépen- dance financière. Au sein de l'ONU, organisme particu- lièrement réputé pour ses rapports lénifiants, il n'est pas jusqu'au secrétaire général, Kofi Annan, qui, lors d'un discours en date du 26 septembre 1999, ait invité le Conseil de sécurité à s'assurer que «l'aide humanitaire ne contribue pas à prolonger les conflits ». En d'autres termes, nous espérons que notre analyse ne sera pas comprise sur un mode polémique mais relancera le débat de façon constructive. Notre démonstration est, en quelque sorte, dévelop- pée à rebours, pour ne pas dire à rebrousse-poil. Au lieu d'aller de la genèse historique des idées humani- taires vers leur mise en pratique sur le terrain, grosso modo de l'Occident vers le tiers-monde, elle part du constat des dysfonctionnements de l'aide pour étudier les conditions d'un retrait et les raisons d'un entête- ment parfois meurtrier. Fondé sur des travaux empi- ristes, le postulat de départ est que la distribution des secours entretient toujours des « liaisons dangereuses» avec la guerre et contribue, à sa manière, à alimenter les conflits. L'ensemble de la réflexion s'organise autour de cette idée, dont les opérateurs de l'aide ont longtemps voulu réfuter le caractère systématique en arguant de leur prétendue neutralité politique. Les quatre premiers chapitres du livre s'attachent à démonter les subtilités des détournements de l'assis- tance internationale dans des économies de guerre. Les populations civiles ont toujours été un enjeu stratégique des belligérants, quoi qu'il en soit, par ailleurs, de la dif- 14 INTRODUCTION ficulté à les distinguer des factions combattantes. En leur venant uploads/Histoire/ aide-humanitaire-guerre.pdf
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- Publié le Mar 21, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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