1 Simon BRELAUD AL-ḤĪRA ET SES CHRETIENS DANS LES GUERRES ROMANO-PERSES À la fo
1 Simon BRELAUD AL-ḤĪRA ET SES CHRETIENS DANS LES GUERRES ROMANO-PERSES À la fois soumise au pouvoir des Perses et capitale de la dynastie arabe indépendante des Naṣrides, al-Ḥīra est longtemps restée en marge des analyses sur les affrontements épisodiques mais réguliers entre Rome et Séleucie-Ctésiphon. Les vestiges de l’ancienne capitale de la tribu laḫmide1 sont aujourd’hui situés au sud-est de Najaf en Irak. Pour le VIe siècle, les précédentes études se sont concentrées sur les acteurs « occidentaux », byzantins ou ġassānides2. On dispose désormais d’une monographie qui complète l’ancienne étude de la tribu régnante signée par Gustav Rothstein en 18993. L’époque est traversée de tensions politiques entre l’Empire sassanide à l’est, l’Empire byzantin à l’ouest et les tribus semi-nomades alliées aux différentes entités et installées dans les marges désertiques. Les conflits ont impliqué de nombreuses régions depuis la péninsule Arabique jusqu’aux contreforts du Caucase. Les motifs de querelles furent divers. Or, à partir du moment où le christianisme s’impose à l’Ouest comme religion d’empire, les questions confessionnelles sont devenues un facteur de conflictualité essentiel à l’intérieur et, de façon moins évidente, à l’extérieur de l’empire. À notre sens, la participation d’al-Ḥīra aux différents conflits n’a en rien freiné la diffusion du christianisme au sein de sa population. La christianisation a dû remonter au IVe siècle mais il a fallu attendre le dernier souverain, al-Nu‘mān III, pour voir la religion gagner le sommet de la monarchie. Quelques années après la conversion du roi d’al- Ḥīra, le roi des rois sassanides Ḫusrō II (590-628) décida de le faire exécuter sans que nos sources ne donnent unanimement une explication claire. Le but du présent article est de mesurer les implications religieuses de la participation de la dynastie régnante d’al-Ḥīra aux guerres romano-perses du VIe siècle seulement. La question doit affiner la compréhension de l’autonomie de son roi à l’égard du pouvoir sassanide auquel il est allié depuis plusieurs siècles. L’indépendance nous semble totale en matière religieuse, mais bien moindre du point de vue militaire. En contexte de guerre, son roi reste détenteur d’une souveraineté locale solide, appuyée sur des liens tribaux et soutenue par une population en partie christianisée. Plus qu’avant, le VIe siècle est le moment de l’application sur le terrain militaire d’une ancienne alliance dynastique qui fait participer des chrétiens d’al-Ḥīra à la lutte contre l’Empire romain. Dans ce contexte de guerre, il faut enfin présenter la nature particulière du christianisme qui s’est implanté à al-Ḥīra. 1 L’usage du terme « laḫmide » plutôt que du nom de la dynastie « naṣride » se justifie ici dans la mesure où le nom des Banū Lakhm est attesté dès la fin du IIIe siècle par l’inscription de Paikūlī : ’mrw lhm’dyn ML(KA) en parthe, ’mrw lhmyšn MLKA en moyen perse. La tendance des chercheurs durant les dernières années à préférer la désignation de la dynastie « jafnide » plutôt que la tribu « ġassānide » pour se détacher des informations uniquement transmises par les sources tardives n’a pas à être suivie dans le cadre d’une étude sur al-Ḥīra. I. Toral-Niehoff précise avec justesse le risque de confusion avec la dynastie « naṣride » de Grenade des XIIIe- XVe siècles. Id, Al-Ḥīra. Eine arabische Kulturmetropole im spätantiken Kontext, Leyde, Brill, 2014, p. 2. 2 Sur les Ġassānides et les Jafnides, respectivement tribu et dynastie rivales des Laḫmides : D. Genequand, C. Robin (dir.), Les Jafnides : des rois arabes au service de Byzance, VIe siècle de l’ère chrétienne, Paris, De Boccard, 2015. 3 La dernière publication de référence est celle d’I. Toral-Niehoff qui prend en compte l’apport des sources d’époque islamique. G. Fisher a intégré l’histoire de la ville dans un tableau plus général sur la période uniquement à partir des sources contemporaines des événements rapportés. Les ouvrages d’I. Shahīd sur les relations entre Arabes et Byzantins livrent un grand nombre d’informations et d’analyses sur la ville. G. Rothstein, Die Dynastie der Laẖmiden in al-Ḥîra: ein Versuch zur arabisch-persischen Geschichte zur Zeit der Sasaniden, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, 1899 ; G. Fisher, Between Empires: Arabs, Romans, and Sasanians in late Antiquity, Oxford, Hardback, 2011 ; I. Toral-Niehoff, Al-Ḥīra. 2 AL-ḤIRA AVANT LE VIe SIECLE : UNE CITE ENCORE INSAISISSABLE Peu connue archéologiquement, al-Ḥīra a été abandonnée dans le courant du IXe siècle4. Son histoire précise demeure difficile à établir. Le dossier des sources disponibles est pourtant très large : textes en langues grecque, latine, syriaque, arabe et pehlevi5. Du point de vue géographique, lorsqu’elle est mentionnée, al-Ḥira est unanimement présentée comme la capitale d’un royaume allié à la Perse des Sassanides, dès le IIIe siècle selon la tradition d’époque musulmane6. Au VIe siècle, originaire de la péninsule Arabique, la tribu laḫmide devint l’ennemi et la menace principale des Ġassānides, les alliés de l’Empire byzantin. L’étude détaillée de son histoire montre toutefois que les origines de la cité sont empreintes de mythes. Les tentatives de croiser le récit d’époque musulmane avec les autres sources pour établir la chronologie des règnes ont le plus souvent révélé la difficulté extrême de l’exercice. Le cas de l’inscription de Namāra, datée de 328, est à ce titre révélateur. Le prince qui se fait enterrer dans la localité syrienne, ’Imru’ al-Qays, a longtemps été identifié avec un roi de la dynastie naṣride d’al-Ḥīra7. Il est qualifié de « roi de tous les Arabes ». Une telle appellation n’a jamais été véritablement reprise par les souverains laḫmides mais des formes proches se retrouvent dans la littérature pour les rois du VIe siècle et non ceux du IVe siècle. Tout au plus parle-t-on de « roi des Arabes », avec souvent une restriction géographique, ou de « gouverneur sur les Arabes »8. Le problème réside également dans la 4 Une prospection allemande sur le site d’al-Ḥīra a eu lieu à l’automne 2015 sous la direction de Martina Müller- Wiener et Margarete van Ess (Deutsches Archäologisches Institut). Deux campagnes de fouilles, respectivement britannique et irakienne, ont dégagé des petites parties du site. Une précédente prospection française avait déjà recueilli du matériel céramique et des verres en surface. D. Talbot-Rice, « The Oxford excavations at Ḥira, 1931 », Antiquity, 6, no 23, 1932, p. 276-291 ; M.-O. Rousset, « La céramique de Ḥīra à décor moulé, incisé ou appliqué. Techniques de fabrications et aperçu de la diffusion », E. Villeneuve, P. Watson (dir.), La céramique byzantine et proto-islamique en Syrie-Jordanie (IVe-VIIIe s. apr. J.-C.), Le Caire, IFAPO [Bibliothèque archéologique et historique, 159], p. 221-230 ; N. al-Ka‘bī, « Report on the Excavations of Ḥīra in 2010-2011 », Journal of the Canadian Society for Syriac Studies, 12, 2012, p. 60-67. 5 Une, voire deux attestations. Derrière la formule « forteresse des Arabes » dans le Šahrestānīhā ī Ērānšahr (sec. 52) : H. S. Nyberg, A Manual of Pahlavi, Wiesbaden, Harrassowitz, p. 49, 65. S. Azarnouche, Husraw ī Kawādān ud Rēdag-ē. Khosrow fils de Kawād et un page, Paris, Association pour l’avancement des études iraniennes [Cahiers de Studia Iranica, 49], 2013, p. 54, §52, p. 132-133. 6 Les deux documents du IIIe siècle qui mentionnent le souverain ‘Amr, identifié au ‘Amr b. ‘Adī de la tradition musulmane, ne citent pas la ville : un des papyri coptes manichéens du fonds Schmidt et l’inscription de Paikūlī. C. Schmidt, « Ein Mani-Fund in Ägyptien. Originalschriften des Mani und seiner Schüler », Sitzungsberichte der preussischen Akademie der Wissenschaften, 1933, p. 28-29 ; H. Humbach, P. O. Skjaervø, The Sassanian Inscription of Paikuli, Wiesbaden, L. Reichert, 1978-1983. 7 Découverte dans le lieu-dit à quelques kilomètres au sud-est de Damas, elle est l’une des plus anciennes inscriptions écrites en langue arabe, transcrite par des caractères nabatéens. Beaucoup d’universitaires sont intervenus dans le débat philologique depuis la découverte de l’inscription en 1901 par René Dussaud et Frédéric Macler. Voir P. Bordreuil, A. Desreumaux, C. Robin, J. Teixidor, « Linteau inscrit AO 4083 (Catalogue, Autres Objets d’Arabie) », Y. Calvet, C. Robin (dir.), Arabie heureuse, Arabie déserte. Les Antiquités arabiques du Musée du Louvre, Éditions de la réunion des musées nationaux [notes et documents des Musées de France, 31], 1998, p. 265-269. 8 Procope qualifie al-Munḏir (III) de « roi des Sarrasins », un titre assez proche de ceux donnés plus tard par la tradition musulmane. Procope, I, 17.5 ; II.1.4. La note sur le sujet d’Irfān Shahīd doit être revue car le titre de « roi des Arabes » est toujours restrictif dans le récit d’ibn al-Kalbī : I. Shahīd, Byzantium and the Arabs in the fourth century, Washington, Dumbarton Oaks Research Library and Collection, 1984, p. 35, n. 15. ‘Amr b. ‘Adī est ainsi le « premier roi des Arabes » à s’installer en « Irak ». Au Ve siècle, al-Munḏir (I) « gouvernait sur les Arabes ». À la fin du Ve siècle, les dirigeants d’al-Ḥīra sont qualifiés de « rois des Arabes [établis] par les rois de Perse ». Au milieu du VIe siècle enfin, le grand al-Munḏir (III) est établi comme « gouverneur sur les Arabes » par Ḫusrō Ier. Plus tôt, le récit précisait uploads/Histoire/ al-hira-pdf.pdf
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- Publié le Jul 09, 2022
- Catégorie History / Histoire
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