Alioune Diop et la naissance de l’Afrique noire contemporaine Etienne LOCK Abst

Alioune Diop et la naissance de l’Afrique noire contemporaine Etienne LOCK Abstract After the Second World War, African intellectuals were involved in many changes in Africa. This included rethinking the categories which promoted domination. The leading pan- African journal at that time, Présence Africaine, was a key part of this significant intellectual movement. Founded in 1947 by Alioune Diop (1910-1980) first as an intellectual review, and then as a publishing house in 1949, Présence Africaine also linked Francophone and Anglophone intellectuals from Africa and the African Diaspora, conducted dialogue with western intellectuals, and organized many intellectual activities with ongoing impact on Africa today. By creating this tool, Alioune Diop offered to Africans a mean to express themselves, and to effectively participate in the building of the contemporary world as it was emerging from 1945. After defining the birth of contemporary Africa, as the moment when Africans decide to master their fate, the article documents that the understanding of contemporary Africa is strongly related to the commitment of Alioune Diop in making Africa a geographical and cultural space whose contribution to the contemporary world is unavoidable. Mots-clés : Afrique, décolonisation, dialogue, identité africaine. Keywords : 1 Introduction La Deuxième guerre mondiale est assurément l’événement qui pose définitivement les fondations d’une Afrique noire contemporaine, à travers le renfort qu’elle apporte à l’éveil des consciences. De ce fait, elle constitue un important point de repère dans la compréhension des mouvements d’émancipation qui voient alors le jour, ainsi que dans la reconsidération des bases historiographiques qui s’imposent dès lors. En effet, l’historiographie de l’Afrique noire ne peut suivre les mêmes scansions que celles de l’histoire européenne. Faire commencer la période contemporaine à partir de la Révolution française ou de la révolution industrielle, est une méthode qui est légitime pour l’Europe, mais non pour l’Afrique. Pour celle-ci, l’époque contemporaine débute avec la prise de conscience de sa propre situation, de sa volonté de jouer un rôle dans le devenir de l’humanité et de maîtriser son destin, par delà les nationalismes qui ont commencé à sourdre dès la Première guerre mondiale. Maîtriser son destin, c’est tout d’abord parler en son propre nom, c’est décider pour soi- même, c’est se faire accepter par les autres comme un véritable partenaire dans le dialogue qui caractérise la modernité. C’est en ce sens que des hommes tels que Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon Gontran Damas initient le mouvement de la Négritude. Ce mouvement culturel et intellectuel, même si on lui reconnaît un mérite dans l’émergence d’une pensée négro-africaine, n’aura pas par pour autant l’exclusivité de la parole africaine. En effet, d’autres intellectuels et hommes de culture, à l’instar d’Alioune Diop se définiront non seulement des voies nouvelles dans cette dynamique de reconquête de soi, mais aussi contribueront efficacement à féconder une modernité des peuples d’Afrique. Dès lors, il devient intéressant de savoir en quoi a consisté l’apport d’Alioune Diop dans la naissance de l’Afrique contemporaine. Qu’est ce qui fait l’originalité de l’engagement de cet intellectuel ? En quoi consiste t-il essentiellement ? Sur quoi débouche t-il dans la réalité ? Les réponses à ces multiples questions appellent l’examen de la problématique d’une Afrique 2 noire contemporaine, ainsi que les moyens qu’il définit en vue de son effectuation et qui constituent les articulations de cette approche. 1. Alioune Diop et la problématique d’une Afrique noire contemporaine Alioune Diop est né à Saint-Louis au Sénégal le 10 janvier 1910, dans une famille wolof, profondément ancrée dans l’islam « africain », c’est-à-dire un islam qui a su conjuguer pacifiquement les enseignements du coran et les traditions des peuples négro-africains1. Après quelques années passées à l’école coranique, puis à l’école coloniale de Dagana, il entre dans l’enseignement secondaire au lycée Faidherbe de Saint-Louis. Timide, doté d’un physique qui n’en impose pas, il ne peut participer à sa guise aux jeux de ses camarades, qui en outre se moquent de lui parce qu’il parle le wolof avec un accent toucouleur. Il compense cette sorte de déficience relationnelle en devenant un élève studieux. Ainsi, sa scolarité est couronnée en 1931 par un baccalauréat classique (latin-grec). Bachelier, Alioune Diop a déjà à son actif une rédaction qui impressionna ses pairs comme ses enseignants : « Histoire d’un écolier par lui- même », qui est une sorte d’auto portrait. N’ayant pu obtenir une bourse d’études autre que celle de vétérinaire, courante à l’époque, il va d’abord à Alger poursuivre ses études, qu’il finance en travaillant comme maître d’internat. Arrivé en France en 1937 peu avant la Seconde guerre mondiale, il s’insère progressivement dans le milieu intellectuel parisien déjà connu de Senghor. Il y rencontre le père dominicain Jean-Augustin Maydieu, fondateur de la revue Vie intellectuelle, pour qui il aura beaucoup d’admiration et qui le baptisera en 1944, après sa conversion au catholicisme. Après avoir obtenu une licence, puis un diplôme d’études supérieures en Lettres, il enseigne dans des lycées français : Prytanée militaire de la Flèche (Sarthe), Marcelin Berthelot (Saint- Maur-des-Faussées), Louis le Grand (Paris). Outre un parcours d’enseignant, Alioune Diop a 1 Le caractère africain de l’islam sénégalais est très remarqué et même signifié par l’existence de confréries dont les plus importantes sont la confrérie tidjane d’origine marocaine qui est aussi la plus ancienne, et celle mouride fondée au Sénégal par Cheikh Ahmadou Bamba. 3 exercé des fonctions politiques, d’abord au bureau du Gouverneur de l’Afrique Occidentale Française (AOF), comme chef de cabinet. En 1946, il est élu conseiller de la République française (nom des sénateurs sous la IVe République), sous l’étiquette SFIO. Dans les commissions auxquelles il participe, il se montre très attentif à la cause des colonies françaises et autres territoires d’outre-mer. Il ne sera pas réélu et ne fera donc qu’un mandat. Alioune Diop pose la problématique de l’Afrique noire contemporaine en d’autres termes que ceux qu’ont utilisés les grands chantres du mouvement de la Négritude pour traiter de la question d’une identité noire. En effet, celle-ci était définie essentiellement, et même uniquement, à partir de l’exaltation de la civilisation et des valeurs nègres, en réaction aux discriminations dont beaucoup d’Africains étaient victimes en France. Ainsi, alors que la Négritude réagit à l’ethnocentrisme européen, l’intellectuel sénégalais se donne pour point de départ l’avenir du Négro-africain, face au vacillement de ce qui jusque là est admiré comme une civilisation raffinée et au devenir de l’Occident, quand il se trouvait sous occupation nazie : « Quand les Allemands occupaient la France et que l’on s’interrogeait sur le destin de La civilisation, nous nous sommes demandés, nous, quels étaient les caractères et l’originalité de Notre civilisation » (Alioune Diop cité par la rédaction de Vivante Afrique, 1964 : 46). Dès lors, la réalité de l’Afrique noire contemporaine s’affirme dans la volonté d’acquérir une certaine indépendance, et de ne plus être étroitement soumise aux principes de la civilisation occidentale qui apparaît alors moribonde. C’est en ce sens que la contribution d’Alioune Diop à la naissance de l’Afrique noire contemporaine apparaît comme l’amorce d’une dynamique d’émancipation de l’identité négro-africaine, entendue comme un processus d’affirmation de soi et d’auto-détermination. Souci majeur pour Alioune Diop, la question du devenir de l’Afrique noire est donc principalement sous tendue par l’interrogation « qui sommes-nous ? », intimement liée à une quête permanente d’autonomie et de maturité, au sortir d’un véritable état de sujétion. Cette 4 interrogation se veut d’autant plus pertinente qu’en réaction aux théories et pratiques élaborées par les Occidentaux sur le monde ultra-marin en général et l’Afrique noire en particulier, deux catégories d’Africains dits « évolués » se sont formées, situées aux antipodes l’une de l’autre2. Il y a d’un côté les acculturés, qui prennent une distance remarquable vis-à- vis de leurs origines, dont ils ont d’ailleurs honte. Ce sont de véritables assimilés : « L’acculturé est un homme-produit, un alimentaire dont le seul souci est de ressembler à ses maîtres. » (L. DIAKHATE, 1965 : 68) D’un autre côté, se trouvent ceux qui sont radicalement opposés à la pénétration européenne en Afrique, qu’ils considèrent essentiellement comme un impérialisme déployé contre les peuples noirs. On peut citer en exemple ici Aimé Césaire. Selon Valeer Neckebrouck, les tenants de cette dernière position s’opposent à l’assimilation et s’emploient à exalter la spécificité du monde négro-africain (cf V. NECKEBROUCK, 1971 : 106). Alioune Diop se démarque clairement de ces deux positions, qu’il cherche à concilier. En effet, chez lui, la naissance d’une Afrique contemporaine tend à lui permettre d’assumer activement son histoire et ses valeurs et de trouver une place dans le concert des peuples : « Affirmer et illustrer le génie africain en tout domaine (…) Tout cela pourra aider à constituer une pensée africaine originale qui ne renie pas son passé et ne renie rien de ce que la société moderne offre de valable. » (Alioune Diop cité par la rédaction de Vivante Afrique, 1964 : 46) On comprend dès lors que, pour répondre aux exigences du monde moderne, l’identité négro-africaine – conçue comme le berceau d’une contemporanéité de l’Afrique – doit conjuguer harmonieusement l’héritage propre du continent noir et uploads/Histoire/ aliounediop-mosaque.pdf

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  • Publié le Oct 06, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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