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Septième École d’été de l’ARCo Cours d'Éric Boëda Bonas, 10-21 juillet 2000 1 Les techniques des hommes de la préhistoire pour interroger le présent Éric BOËDA Préhistoire Université de Paris X Nanterre UMR CNRS Préhistoire et Technologie Septième École d’été de l’ARCo Cours d'Éric Boëda Bonas, 10-21 juillet 2000 2 Que peut-on percevoir de la réalité technique ? Mémoire oubliée, mémoire déformée Les objets en pierre de la préhistoire nous paraissent à jamais dissociés de nous. De fait, si nous parvenons à comprendre une partie de leur genèse et de leur(s) fonction(s) technique(s), l'objet en tant qu'objet social nous reste inaccessible, incompréhensible. Il s'agit d'objets désormais coupés des usages et de l'environnement technique où ils prenaient sens et valeur. Ils ne s'intègrent plus à aucune mémoire vivante. Est-ce suffisant cependant pour justifier leur oubli ? Ces objets sont-ils si différents de notre quotidien que nous les ayons ainsi oubliés ? N'existe-t-il pas d'universaux fonctionnels communs aux outils d'hier et à ceux d'aujourd'hui ? Reflets des premiers temps de l'humanité, ces objets nous semblent d'essence différente. Pourtant, un tranchant de 30° en silex ne partage-t-il pas la même finalité techno-fonctionnelle qu'un tranchant de 30° en métal, en plastique ou en céramique ? L'identité de caractères peut laisser supposer une capacité fonctionnelle identique (Leroi- Gourhan A. 1965). Ainsi, il pourrait exister une filiation de la fonction à travers la nature de ce que nous appelons : " le contact transformatif " ; c'est-à-dire, la partie de l'outil qui est au contact de la matière à transformer (Lepot M. 1993). Toutefois, cette continuité ne signifie pas qu'il y ait une filiation directe entre l'"objet burin " fabriqué au Paléolithique supérieur pour rainurer et la lame à rainurer de la fraiseuse actuelle. Certes, il s'agit bien de la même fonction mais ce n'est pas le même objet car ce n'est pas la même genèse 1. 1 - Dans le cas du burin dièdre, chaque unité de contact transformatif que crée le recoupement des deux faces de l'éclat par l'enlèvement burinant peut être utilisée de façon indépendante sans qu'il existe nécessairement un lien dans l'action entre chacune de ces parties. Ainsi, on peut utiliser les coupants latéraux pour racler. Avec la fraiseuse, en revanche, seul le biseau da la lame est opérationnel (transformatif). Les éléments techniques qui constituent la Septième École d’été de l’ARCo Cours d'Éric Boëda Bonas, 10-21 juillet 2000 3 Ces objets nous sont-ils plus difficiles à comprendre parce qu'ils appartiennent à la sphère de la technique ? Un burin du Paléolithique moyen du Proche-Orient est-il plus difficile à comprendre qu'une fresque de Lascaux ? Présente-t-il moins (ou plus) d'intérêt ? Le technique ou le symbolique ? Le savoir-faire ou l'émotion (Malraux A. 1972) ? Ces questions renvoient au statut que nous réservons, dans notre culture occidentale, à la technique. La considérons-nous comme un élément déterminant ? Fait-elle partie de notre définition de la culture ? Ne dissocions- nous pas l'objet de sa technique, pour n'en conserver qu'une émotion : la forme ? Ce serait oublier la valeur du technique dans l'histoire de l'homme. La technique est certainement un des premiers médiateurs entre l'homme et son milieu. Elle est le reflet d'une représentation du monde vivant. Elle est le reflet d'émotions. Mais ce n'est pas une réalité isolée. L'objet n'est que le moyen matériel de cette médiation. La technique, ou plutôt la technicité 2, serait un des facteurs de création, d'adaptation et de maintien de l'équilibre entre l'homme et son milieu. Cet équilibre dépend du mode d'appréhension et de représentation du monde vivant par chaque groupe humain. Pour évoluer la technique a besoin de l'homme, de même qu'elle est un facteur déterminant de l'évolution de l'homme (Pigeot N. 1991). La technique est donc un facteur d'évolution auquel il nous faut redonner sa juste valeur. Mémoire refusée, mémoire interdite Notre absence de mémoire tient aussi à ce que nous ne reconnaissons pas à ces objets la même valeur qualitative qu'à un objet d'aujourd'hui. Ce problème est une des conséquences de la mise en parallèle de l'évolution des objets de la préhistoire avec l'image qui prévaut de l'évolution de l'Homme : bercée par un gradualisme phylétique, ponctuée de transitions, remplie de chaînons manquants (Tassy P. 1991), l'évolution des objets au cours de la préhistoire a constamment été fraiseuse forment une série convergente d'effets techniques finalisés. Chacun des éléments forme un tout qui trouve sa cohérence technique dans le fonctionnement de l'objet. 2 - Nous appelons technicité le discours technique que l'homme de l'art a sur sa pratique. Septième École d’été de l’ARCo Cours d'Éric Boëda Bonas, 10-21 juillet 2000 4 mise en parallèle avec celle des hominidés. Comme nous concevons l'homme, d'Homo habilis à Homo sapiens modernensis, nous concevons l'objet, du plus ancien au plus récent, du plus simple - voire simpliste - au plus sophistiqué. L'évolution des techniques est ainsi ponctuée de traits d'union : le proto-biface annonçant le biface, le proto-Levallois annonçant le Levallois. Mais, nos grands-parents roulèrent-ils dans des proto-voitures avant que nous conduisions (enfin !) de vraies voitures ? Nos outils d'aujourd'hui sont-ils les proto-outils de ceux de demain ? Les prototypes, quand ils existent, ne sont pas voués à une carrière fonctionnelle. Alors, pourquoi existerait-il un proto-Levallois ? A moins de considérer que son auteur ait été, lui aussi, un proto- humain ! Vestiges de l'humanité naissante, les industries lithiques de la préhistoire sont encore trop souvent considérées comme dénuées de valeur informative réelle. Telles quelles, ce ne sont que des pierres taillées, reflets des vagues capacités de réflexion de leurs auteurs et dépendantes de celles-ci. Suivant cette corrélation cortex/silex, les règles de différenciation des objets sont biologiques et non pas technologiques 3. Devons-nous alors revendiquer cette mémoire qui nous est a priori refusée ? Et, si oui, comment ? A la première question, nous répondrons simplement que l'homme s'inscrit dans une histoire très longue. Certes, différents genres humains se sont succédés. Mais, pendant un temps, ils furent aussi très souvent contemporains. Notre espèce, Homo sapiens sapiens, vécut plus de 40 000 ans au contact d'Homo sapiens neanderthalensis, partageant les mêmes lieux, produisant les mêmes outils, inhumant tous deux leurs morts. Aujourd'hui, Homo sapiens sapiens, nous sommes la seule espèce en présence. Cela fut certainement le cas pour Homo sapiens neanderthalensis qui, en son temps, succéda à Homo erectus, qui lui-même... Sur le long terme, ces successions entrecoupées de " cohabitations " nous montrent que l'homme actuel est le 3 - Ce point nous paraît particulièrement important. Car, en termes de mémoire collective, si nous considérons le cadre scolaire actuel, lieu d'acquisition privilégié de cette mémoire, nous retrouvons bon nombre de ces "poncifs", extrêmement dangereux par ailleurs, qui ne reposent sur aucun fait scientifiquement démontré. Apprentissage Septième École d’été de l’ARCo Cours d'Éric Boëda Bonas, 10-21 juillet 2000 5 fruit d'une évolution moins gradualiste qu'on ne le dit (Hublin J.-J., Tillier A.-M. 1991 ; Stringer C.-B. 1991). Nous devons reconquérir ce temps. Croire que la réalité technique, telle que l'homme des temps anciens la percevait, nous est accessible dans sa globalité serait illusoire. Pris individuellement, sans référent, comment donner un sens à ces objets ? Quelle que soit sa complexité technique et alors que chaque objet retrouvé témoigne de connaissances et de savoir-faire, il est souvent difficile de lui attribuer une autre valeur que technique. Pourtant, un objet technique ne représente pas seulement une réponse à une nécessité, à une fonction d'usage, il peut aussi être chargé d'une fonction de signe (Deforge Y. 1985), soit de sens esthétique ou symbolique qui peuvent rester à jamais indéchiffrables. Une voie toute tracée Chaque objet technique est un médiateur dans l'équilibre entre l'homme et son milieu. Mais le milieu n'impose rien. Le milieu dans lequel évolue l'objet est sa condition d'existence et non son pouvoir de création. Si l'objet outil existe c'est qu'il porte en lui les conditions de son fonctionnement. Or, un objet existe toujours dans son intégralité et est inventé tel quel ; il ne peut donc pas être perçu comme une succession de parties qui le constitueraient progressivement. Un objet est la cause de sa condition de fonctionnement. Certes, il existe une causalité récurrente entre l'objet et son milieu puisque l'objet n'est " viable " que si le problème technique qu'il représente est résolu, c'est-à-dire s'il existe avec son milieu associé (Simondon G. 1958). A notre avis, la médiation de l'objet technique dans l'équilibre entre l'homme et son milieu ne peut donc pas être considérée comme relevant de l'adaptation de l'outil au milieu, ni même de sa finalité fonctionnelle. d'erreurs d'autant plus insidieux que l'enseignement de la préhistoire est considéré comme une matière secondaire, au mieux un divertissement, et non pas comme un sujet d'étude à part entière. Septième École d’été de l’ARCo Cours d'Éric Boëda Bonas, 10-21 juillet 2000 6 A fortiori quand cette relation Homme/Environnement fait l'objet d'interprétations fondées sur la croyance en un devenir. Comme si la technique tendait vers un état d'équilibre de plus en plus stable, toujours à venir, comme s'il y avait une orientation uploads/Histoire/ boeda-2000-les-techniques-des-hommes.pdf
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- Publié le Apv 08, 2022
- Catégorie History / Histoire
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