Dr Marc Haven Le Maître inconnu Cagliostro ÉTUDE HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA
Dr Marc Haven Le Maître inconnu Cagliostro ÉTUDE HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA HAUTE MAGIE © Arbre d’Or, Genève, juin 2003 http://www.arbredor.com Tous droits réservés pour tous pays Avant-propos Je me souviens toujours d’un article de journal paru au XXe siècle et donnant d’un contemporain une bio- graphie ornée de la reproduction de sa photographie. Celui qui, s’occupant du personnage en question, retrouvera dans cent ans ce journal, pourra-t-il ne pas classer cette étude parmi les plus importants de ses documents ? Or le cliché était celui d’un inconnu, ne ressemblant même pas au héros de l’histoire, et la biographie faisait naître à Constantinople, dans un harem, celui qui avait vu le jour, fils de simples cultivateurs, dans un village, en France. J’ai heureu- sement oublié le reste. Ce souvenir m’a poursuivi pendant que j’étudiais Cagliostro ; si de telles erreurs peuvent s’imprimer de nos jours et se répandre si facilement, si nous vivons au milieu des événements contemporains sans pou- voir en apprécier le caractère, souvent même sans en avoir connaissance dans quel brouillard d’illusions, dans quel monde de fantaisie devons-nous être plon- gés relativement au passé ? Lorsqu’on s’occupe d’un homme qui a joué dans l’histoire un rôle quelque peu important, on se trouve en présence de difficultés bien grandes provenant de l’éloignement, du parti pris, des opinions admises. La partialité des contemporains prend d’autant plus d’importance que le temps, en s’écoulant, rend le contrôle plus impossible ; une opinion générale, le 5 LE MAÎTRE INCONNU, CAGLIOSTRO plus souvent celle du livre le plus attrayant ou le plus répandu, s’établit et, dès lors, tout écrivain amené à parler du fait historique ou de l’homme qui laissa un nom, s’en tiendra à ce jugement, définitif selon lui, parce que la masse l’a peu à peu sanctionné de sa paresse et de sa crédulité. C’est ce qui est arrivé pour Cagliostro, et pour lui plus que pour tout autre ; car, de son temps déjà, ceux qui le voyaient agir, qui l’observaient et l’interro- geaient, lorsque c’étaient des esprits pondérés et phi- losophiques, avouaient qu’il était impossible de porter un jugement sur lui1 ; certains le révéraient comme un dieu ; d’autres le haïssaient comme le pire ennemi de l’humanité2. Nul n’a suscité plus de dévouements, nul n’a provoqué plus de fureurs, et nulle person- nalité n’est restée plus énigmatique, même pour ses intimes, même pour les magistrats à qui échut la lourde tâche de le juger. Aussi, sur lui plus que sur tout autre, les calom- nies se sont accumulées, les légendes ont couru. Dès son vivant on les répandait ; après sa mort, les haines religieuses, qui sont les plus tenaces et survivent à la tombe, l’ont poursuivi. Les historiens ont été frappés 1 « Vere ænigma est iste, de quo non licet judicare ». Liber memorialis de Cagliostro. Venitiis. S. A. in-8o, p. 36. (Trad. Franç. Dr M. Haven. L’Évangile de Cagliostro. Paris, 1910, in-16, p. 86.) Cf. « Lettre de Blessig » in Weisstein, Cagliostro à Strasbourg. 2 Breteuil, Meiner pensait ainsi : « […] eines Mannes […], den ich gerne der ganzen Welt verdächtig machen möchte. » Meiner, Briefe über die Schweiz. IIe partie ; in Mirabeau, Lettre sur MM. De Cagliostro et Lavater, Berlin, 1786, in-8o, p. 14. 6 LE MAÎTRE INCONNU, CAGLIOSTRO par la brusque apparition de cet homme à la veille de la Révolution ; mais, ne trouvant aucun résultat évident et immédiat à ses actes, rien qui expliquât son rôle, renonçant à le comprendre, ils l’ont bien- tôt délaissé comme un personnage épisodique sans importance ; la littérature s’en est emparée et, fina- lement, une opinion s’est imposée qu’on peut retrou- ver aujourd’hui dans tous les livres, qui est devenue classique à force d’être reproduite. Enlevé à l’his- toire pour devenir un type légendaire, demi-sorcier et demi-prestidigitateur, escroc brillant et bouffon, le comte de Cagliostro est un personnage qui se classe entre Robert Macaire et Polichinelle dans le musée des fantoches3. Bien des esprits en restent là : il leur suffit de connaître le Cagliostro charmant de Gérard de Nerval ou le magicien impressionnant d’Alexandre Dumas ; mais ceux qui ont entendu parfois des paroles de vie, qui ont senti, — fût-ce une heure, — un monde de mystères les entourer ne peuvent se contenter de cette notion superficielle ; ceux-là demanderont davantage. Pour retrouver, s’il est possible, le vrai Cagliostro, pour acquérir une connaissance plus adé- quate de son esprit, que pouvons-nous donc faire ? Avant tout, nous adresser à de meilleures sources. Qu’existe-t-il sur Cagliostro ? D’abord, et en grand nombre, des pamphlets émanés, soit de ses adver- saires dans les procès qu’il eut à soutenir et, en par- 3 C’est presque l’expression textuelle du Joseph Prud’homme anglais qu’on appelle Carlyle. Frasers Magazine, juillet, 1833, p. 19 à 28, et Ibid.em, août 1833, p. 132 à 155. 7 LE MAÎTRE INCONNU, CAGLIOSTRO ticulier, lors de l’Affaire du Collier ; soit des ennemis personnels qu’il avait su se faire par sa grande liberté de parole, par l’originalité de ses actes ; soit enfin du Saint-Office qui, lors de sa capture, sachant tenir en lui un des chefs patents ou secrets de la franc-maçon- nerie, a voulu faire coup double : d’une part, salir à tout jamais la mémoire de ce représentant des idées libérales qui bouillonnaient alors dans bien des cer- veaux ; d’autre part, faire retomber sur l’ordre tout entier le discrédit jeté sur le grand-maître de la maçonnerie égyptienne. La Vie de J. Balsamo, publiée par les soins du Saint- Office comme une apologie de son action inquisito- riale, est un chef-d’œuvre de haine et d’hypocrisie ; les libelles des sieurs Sachi et Morande, de Mme de la Motte pâlissent à côté de ce réquisitoire4 ; et cepen- dant, ces trois personnages n’avaient pas ménagé Cagliostro. Mais, perfectionnée par le Saint-Office, l’œuvre prend une autre ampleur : tout ce qu’on pouvait recueillir de plus diffamatoire chez les auteurs pré- cités, s’y trouve joint à ce que l’inquisition a pu arra- cher de compromettant à Cagliostro et à sa femme, par les promesses ou les tortures5. 4 Nous parlons ici de Sachi et de ses démêlés avec Caglios- tro dans notre chap. V : Strasbourg, p. 110 sqq. Nous étudions Morande dans notre chap. VIII : Londres, p. 241 sqq. et Mme de la Motte, dans l’affaire du Collier, chap. VII, p. 145 sqq. bien que l’histoire ait suffisamment démasqué et flétri ces deux derniers personnages pour que nous eussions pu nous dispen- ser même de réfuter leurs assertions intéressées. 5 Cf. chapitre IX : Rome. 8 LE MAÎTRE INCONNU, CAGLIOSTRO Qu’on ajoute à cela tout ce qu’en 1791 l’imagina- tion de prêtres italiens, effrayés par la Révolution française, pouvait inventer contre la franc-maçonne- rie en général et contre le fondateur d’un rite mys- tique en particulier, et on aura une idée de la violence de ce libelle. L’habileté avec laquelle l’auteur, jouant sur les mots confond à dessein religion et catholi- cisme, athéisme et hétérodoxie, libéralisme et scepti- cisme, fait que le lecteur, insensiblement, est amené à le suivre, à adopter ses conclusions, s’il ne s’observe et ne découvre la ruse. Non seulement, le livre est un réquisitoire haineux, non seulement il fourmille d’erreurs dans ce qui est vérifiable6, et d’inventions dans les portions impos- sibles à contrôler, mais encore, dans le développement de sa thèse, l’auteur tombe dans de telles contradic- tions qu’elles sautent aux yeux et que le traducteur français de l’ouvrage, cependant hostile à Cagliostro, n’ayant que mépris et ironie pour lui, n’a pu s’empê- cher, en certains endroits, de signaler ces contradic- tions révoltant la justice et même le bon sens7. 6 Rien que dans les questions de fait concernant les périodes de la vie de Cagliostro sur lesquelles nous avons des docu- ments officiels — dix ans environ —, j’ai pu relever plus de trente erreurs positives de dates, de noms, ou d’événements. On voit quelle confiance accorder aux récits de la jeunesse de Cagliostro dans lesquels l’auteur a donné plus libre carrière encore à son imagination, toute rectification étant impossible pour cette période inconnue. 7 Dans l’avertissement, p. IV et V, il a cru devoir s’excuser de traduire la sentence condamnant Cagliostro, quel qu’il fut, à la mort ; il avoue que sa raison se soulève devant les considérants du Saint-Office, devant les cris des inquisiteurs, réclamant 9 LE MAÎTRE INCONNU, CAGLIOSTRO Donc presque rien à prendre dans la Vie de J. Bal- samo, pas plus que dans les pamphlets antérieurs ; et si nous avons à les citer, nous ne devrons le faire qu’avec beaucoup de précautions. Nous en dirions autant des autres biographies, isolées ou interca- lées dans des ouvrages généraux8, qui, pour la par- tie documentaire, s’appuient toutes sur le petit livre, tissu de mensonges et de sottises, que la Chambre apostolique a fait imprimer à Rome. La publication des documents Fontaine par l’érudit M. Campardo9 a engagé quelques écrivains à s’occuper de Cagliostro. M. Funck-Brentano l’a fait le uploads/Histoire/ cagliostro-intorno-a-m-haven-le-maitre-inconnu-paris-1932.pdf
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- Publié le Mai 12, 2022
- Catégorie History / Histoire
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