Cahiers de la Méditerranée 87 | 2013 Captifs et captivités en Méditerranée à l'
Cahiers de la Méditerranée 87 | 2013 Captifs et captivités en Méditerranée à l'époque moderne Captifs et captivité dans la régence d’Alger (xviie- début xixe siècle) Abla Gheziel Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cdlm/7165 ISSN : 1773-0201 Éditeur Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2013 Pagination : 77-89 ISBN : 978-2-914-561-64-8 ISSN : 0395-9317 Référence électronique Abla Gheziel, « Captifs et captivité dans la régence d’Alger (xviie- début xixe siècle) », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 87 | 2013, mis en ligne le 15 juin 2014, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/cdlm/7165 Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020. © Tous droits réservés Captifs et captivité dans la régence d’Alger (xviie- début xixe siècle) Abla Gheziel 1 A l’époque ottomane, la société de la régence d’Alger était composée de diverses ethnies et catégories sociales. Les Turcs, avec les Janissaires et la Taïfa des raïs, étaient à la tête du pouvoir ; puis suivaient dans la hiérarchie sociale les Kouloughlis, nés d’un Turc et d’une autochtone ; les Maures et les Juifs, habitants des villes, constituaient la classe « bourgeoise » ; enfin, les Arabes et les Kabyles des campagnes formaient le reste des habitants de la Régence1. C’est dans cette société, que les esclaves-captifs s’érigent en une sorte de microsociété avec ses codes et sous-groupes sociaux, comme l’écrit Leïla Ould Cadi Montebourg :« Cette société des esclaves présentait toute la complexité des groupes sociaux ordinaires, avec ses hiérarchies, ses violences, ses trahisons, ses complexités et côtés positifs »2. 2 Au préalable, il convient de revenir sur le sens des termes d’esclaves et de captifs. Les auteurs du xvie, xviie ou xviiie siècle, en ayant recours aux deux termes de façon indifférenciée, soulignaient simplement l’état de servitude propre aux deux catégories. Toutefois, dans le premier cas, le terme esclaves faisait référence généralement aux noirs, dont la servitude était un état permanent : ils étaient une propriété, un bien faisant partie d’une succession, sauf si le maître décidait de les affranchir. Ils provenaient soit des razzias que certaines tribus alliées des Turcs effectuaient dans le grand Sud, d’où elles ramenaient des prisonniers pour les revendre sur les marchés de Biskra, M’sila et Bou Saada3, soit de la filière des traites marocaines, soudanaises, éthiopiennes ou nigériennes, qui se chargeaient de leur vente. Les esclaves étaient envoyés ensuite dans les grandes villes marocaines ainsi que dans celles des régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli, pour y être revendus ou remis à leurs acquéreurs. Mais, avant d’être vendus, on leur faisait suivre une sorte de formation accélérée : on leur apprenait à parler l’arabe et les rudiments de l’islam4. Ceux qui étaient affranchis et leurs descendants restaient fidèles à leurs anciens maîtres et vivaient regroupés dans des quartiers appelés « village nègre » ou Z’mala. L’esclavage et la traite des noirs sont définitivement abolis, par le décret du 27 avril 1848, dans toutes les colonies et Captifs et captivité dans la régence d’Alger (xviie- début xixe siècle) Cahiers de la Méditerranée, 87 | 2013 1 possessions françaises. Mais dans le cas de l’Algérie, le gouvernement général prend d’autres dispositions : il faut attendre la loi de 1906 pour que cette pratique soit définitivement interdite sur tout le territoire algérien. Dans les territoires « civils », les esclaves noirs soumis au décret du 22 avril 18485 pouvaient à partir de cette date demander leur liberté s’ils le désiraient, et leurs maîtres se voyaient indemnisés ; en revanche, ceux qui étaient en territoires « mixtes », soit dans le Sud algérien, durent attendre le décret du 15 juillet 1906 pour que la traite et le trafic d’esclaves soient définitivement interdits. 3 Quant aux captifs, la définition qui correspondrait le mieux, au vu du langage d’aujourd’hui, serait celle d’« otages », c’est-à-dire de personnes détenues en attente d’être libérées contre une rançon. Ils étaient donc perçus comme un placement qui ne pouvait prendre que de la valeur. Michel Fontenay définit d’ailleurs le captif ainsi : Le captif, lui, est un esclave provisoire, en instance de rachat. On l’a capturé non pour le conserver mais pour s’en débarrasser au plus vite et au meilleur prix possible, en fonction, non de sa valeur d’usage, mais de sa valeur d’échange6. 4 Dans cette dernière catégorie figurent les prisonniers de guerre, mais aussi ceux qui ont été capturés par les corsaires en mer ou sur terre lors de razzias. 5 Nous nous proposons ici d’aborder le problème de la captivité dans la régence d’Alger entre le xvie et le début du xixe siècle, plus précisément jusqu’au bombardement d’Alger de 1816 par la flotte anglo-hollandaise. Tout en essayant de voir la continuité ou les changements enregistrés durant cette longue période, notre analyse portera dans un premier temps sur l’identité, le nombre de captifs et les lieux de détention, en second lieu sur leurs conditions de vie en captivité, et pour finir nous étudierons les voies et les modalités de la rédemption. Les captifs : identité, nombre et lieux de détention 6 La plupart des captifs étaient Italiens, Espagnols, Français, Anglais, Hollandais ou Suédois. La majorité était des hommes, mais il y avait également quelques femmes et enfants. Ils appartenaient à diverses classes sociales : il y avait des nobles, des militaires, des religieux, des commerçants, des matelots, des charpentiers, des maçons ou encore des individus exerçant toutes sortes de métiers. Arrivés au port, ils étaient conduits au batistan, sorte de marché aux esclaves où avait lieu une première estimation et une première enchère. Il s’agissait plutôt de trier et de repérer ceux qui allaient réellement rapporter un bon prix lors des rédemptions. Une fois les prix fixés, on les conduisait devant le dey qui s’en octroyait une part, puis c’était au tour des notables d’en choisir. Certains captifs étaient conduits aux bagnes de la Régence pour servir sur les galères, le reste était vendu à des particuliers, le plus souvent des Maures, Andalous d’origine, dont le but était de faire un bénéfice lors de leur rachat 7 Les premiers captifs provenaient des batailles terrestres et navales entre Espagnols et Ottomans. Diego Haëdo, bénédictin espagnol qui fut captif à Alger entre 1576 et 1581, rapporte que lors de la bataille de Mazagran, qui eut lieu le 26 août 1558, Hassan pacha7 aurait capturé environ 11 000 Espagnols8. Plus tard, le père Pierre Danfait état d’un nombre avoisinant les 25 000 captifs pour l’année 15879. Ces chiffres sont à prendre avec beaucoup de réserve. Quelques fois les estimations dépassent largement la réalité. D’un témoignage à l’autre, les nombres varient et révèlent des contradictions qui ne Captifs et captivité dans la régence d’Alger (xviie- début xixe siècle) Cahiers de la Méditerranée, 87 | 2013 2 prennent pas en considération les conjonctures du moment : maladies, révoltes, changements internes et politiques des dirigeants. 8 Le pic de l’activité corsaire, comme nous l’explique Robert Davies, a eu lieu entre les années 1580 et 1640. En moyenne, un raïs avait entre 50 et 60 galères et il avait donc besoin de 10 000 à 15 000 rameurs pour armer la flotte10. Par la suite, au xviiie siècle, avec l’utilisation des bateaux à voile, cette main-d’œuvre allait être de moins en moins sollicitée. 9 Les captifs-esclaves étaient répartis sur plusieurs bagnes, dont le nombre variait en fonction des conjonctures. Dans la deuxième moitié du xvie siècle, Haëdo en mentionne deux : le Grand bagne et la Bastarde11. Le premier était réservé aux captifs importants, tels que les consuls ou les religieux. Parfois, comme en 1644, faute de ne pouvoir s’acquitter sur-le-champ des sommes exigées pour la libération des captifs, un père rédempteur pouvait être laissé en gage, comme en témoigne Edmond Egreville, religieux de la Mercy : Notre religieux qui est demeuré en gage pour le reste des sommes de leur résomption attend votre secours, et peut être plus de cinq cent âmes, que les misères de leur esclavage mettent aussi bien en péril de la Foy que de leur vie12. 10 Le second bagne rassemblait les gens du commun, lesquels pouvaient aller et venir sans aucune contrainte. 11 Vers la moitié du xviie siècle, Emanuel d’Aranda13 nous dit que le nombre de bagnes s’élevait à cinq :celui des galères, du beylik, de Sidi Muda, de Sainte Catherine et de Vilaga. Les bagnes étaient à l’image d’une ville improvisée :les captifs pouvaient y exercer toutes sortes de métiers pour survivre ; on y trouvait des hôpitaux de fortune dirigés par les Pères, ainsi que des chapelles pour le culte. 12 Au xviiie siècle, Jean Michel Venture de Paradis14, lors de son séjour à Alger de 1788 à 1790, fait état de 2 000 esclaves, répartis sur trois bagnes – leur nombre ne se modifiera pas jusqu’au xixe siècle. Nous constatons que le nombre d’esclaves, en comparaison avec les chiffres avancés par Pierre Dan en 1587, soit deux siècles auparavant, n’est plus que du dixième. Les raisons de la diminution des captifs sont plurielles : crise uploads/Histoire/ cdlm-7165.pdf
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- Publié le Jul 28, 2022
- Catégorie History / Histoire
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