R. c. Turcotte 2013 QCCA 1916 COUR D’APPEL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE

R. c. Turcotte 2013 QCCA 1916 COUR D’APPEL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL N° : 500-10-004980-114 (700-01-083996-093) DATE : LE 13 NOVEMBRE 2013 CORAM :LES HONORABLES NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q. FRANÇOIS DOYON, J.C.A. JACQUES DUFRESNE, J.C.A. SA MAJESTÉ LA REINE APPELANTE - Poursuivante c. GUY TURCOTTE INTIMÉ - Accusé ARRÊT [1] L’intimé, Guy Turcotte, était accusé de deux meurtres au premier degré pour avoir causé la mort de ses deux enfants. [2] Le procès débute le 12 avril 2011 et, le 5 juillet, le jury prononce un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. [3] Estimant que le juge de première instance (l’honorable Marc David, de la Cour supérieure, district de Terrebonne) a commis des erreurs de droit, principalement en ce qui a trait à la question de l'intoxication volontaire au méthanol en conjonction avec les troubles mentaux, l'appelante interjette appel. [4] Pour les raisons qui suivent, la Cour est d’avis, et ce, avec égards pour le juge de première instance, qu'il y a lieu de faire droit au pourvoi. 500-10-004980-114 PAGE : 2 LE CONTEXTE [5] Dès le début du procès, l’intimé admettait avoir causé la mort des deux victimes au moyen d'un acte illégal et l’acquittement n’était pas une issue possible, ce qu’a d’ailleurs indiqué le juge au jury. Le seul enjeu était donc son état d'esprit au moment des événements. La preuve démontrait qu’il connaissait les effets de l'intoxication au méthanol, de sorte que son intoxication n’était pas qualifiée d’involontaire, au sens juridique du terme, même si, dans son exposé en appel, il la décrit comme étant « moralement involontaire ». [6] La preuve permet de reconstituer les événements de la manière qui suit. [7] Le 21 février 2009, deux agents de police donnent suite à un appel fait au 9-1-1 le matin même, à la suite de propos suicidaires tenus par l'intimé à sa mère. En entrant dans la résidence de l'intimé, les policiers découvrent les corps inanimés des deux enfants, un garçon et une fille. Ils y trouvent également l’intimé qui s’est caché sous le lit à leur arrivée. [8] Ce drame survient un mois après la séparation du couple formé de l’intimé et de Mme Isabelle Gaston, la mère des enfants. [9] L’intimé, cardiologue, et Mme Gaston, urgentologue, se sont rencontrés quelque dix ans auparavant alors qu'ils étudiaient en médecine. En 2003, ils se marient. Leurs enfants naissent en 2003 et en 2005. [10] Les choses ne tournent pas toujours rond dans le couple et, en 2007, il est question de séparation. Même si l'union perdure, les querelles sont fréquentes et l'on fait même appel à un « coach de vie ». [11] Bien que la relation soit houleuse et marquée de nombreux conflits, elle demeure ponctuée de bons moments et les qualités de père de l’intimé sont reconnues. Au procès, Mme Gaston dira de lui qu'il « n'était pas un mauvais papa », au contraire. L'amour qu'il voue à ses enfants n'est pas remis en question. [12] En 2007, Mme Gaston fait la connaissance de M. Martin Huot qui deviendra son entraîneur personnel. M. Huot forme alors un couple avec Mme Patricia Giroux. Les deux couples se fréquentent et deviennent amis. [13] À la mi-janvier 2009, Mme Giroux découvre l'existence d'une liaison entre son conjoint et Mme Gaston. Elle a mis la main sur une lettre et des courriels qui sont sans équivoque. Elle en informe l’intimé qui conserve une copie de cette correspondance. [14] Le 17 janvier 2009, l'intimé part en voyage au Mexique avec toute la famille. Pendant ce voyage, Mme Gaston réalise que l'intimé a découvert sa liaison. Leurs 500-10-004980-114 PAGE : 3 discussions dégénèrent et mènent à une séparation. Deux jours après le retour de voyage, l'intimé quitte la résidence familiale. Mme Gaston et les enfants y demeurent et les deux parents s'entendent sur une garde partagée. [15] La séparation est ponctuée d'échanges acrimonieux. [16] Le 8 février, l'intimé apprend que les enfants sont allés au Carnaval de Québec avec leur mère et Martin Huot. Pour lui, qui a habité plusieurs années à Québec, le Carnaval a une signification particulière. « Un coup de masse en plein front, ça aurait fait moins mal », témoigne-t-il. Il ajoute : « J'accepte pas que Martin profite de mes enfants […] comme s'il prenait ma place ». [17] Le lendemain, un ancien voisin l'informe que le jour de son départ, Martin Huot a passé la nuit à la résidence familiale et qu’il est là presque tous les soirs depuis deux semaines. Cette nouvelle « le fait capoter », dit-il. [18] Le 10 février, il s’y rend pour récupérer un chandail de son fils. Il trouve M. Huot dans la cuisine. Il se vide le coeur : « Tu m'as volé ma femme. Tu m'as trahi, tu étais mon ami », et lui assène un coup de poing au visage avant de quitter les lieux. [19] Le 17 février, Mme Giroux fait suivre à l'intimé de nouveaux courriels échangés entre Martin Huot et Isabelle Gaston. Il se sent incapable de les lire et, déclare-t-il, « envoie ça dans pourriel », sans toutefois les supprimer. [20] Le 20 février, il se lève tôt. Il craint que Mme Gaston, qui est de garde, ait confié les enfants à M. Huot. Il passe devant son ancienne maison et n'y voit pas le véhicule de Mme Gaston. Par contre, celui de M. Huot s’y trouve. Il s'arrête et entre dans la maison. À sa surprise, Mme Gaston est présente. Selon lui, elle le somme de partir et lui dit : « […] tu vas arrêter de contrôler ma vie […] là si je veux, je peux changer le nom des enfants, […] je peux avoir la garde, je peux déménager n'importe où dans le Québec ». Il réalise alors qu'il a commis une « gaffe monumentale » et il dit être bouleversé à l'idée de pouvoir perdre ses enfants qui représentent tout ce qui lui reste. [21] Durant la journée, au travail, il échange quelques courriels avec Mme Gaston. Il va ensuite chercher les enfants à la garderie et à l'école. [22] Il se rend au club vidéo. Sur sa route, il téléphone à Mme Gaston. Elle lui apprend qu'elle a changé les serrures de la maison. Il est en colère et « prend cela comme une attaque », puisque, en plus de vouloir lui retirer sa place de père, elle lui « enlève les clés de la maison ». Il comprend de ses propos qu'elle fera appel à un avocat et c'est pourquoi, avant de mettre fin à la conversation, il lui dit : « Tu veux la guerre, tu vas l'avoir », voulant ainsi indiquer, témoigne-t-il, qu'il pourrait faire de même. 500-10-004980-114 PAGE : 4 [23] Il donne à manger aux enfants, qui veulent ensuite écouter un film. Après avoir débarrassé la table et fait la vaisselle, il va les rejoindre au salon. Il est démoralisé et pleure. Les enfants le consolent. Il les couche pour qu'ils soient en forme le lendemain. [24] Après avoir mis les enfants au lit, il prend connaissance des courriels qu’il avait mis de côté quelques jours plus tôt. Cette lecture lui fait mal, le décourage. Il veut en finir avec la vie et recherche sur Internet des moyens de se suicider. À partir de ce moment, le témoignage de l’intimé est vague et imprécis. Il faut plutôt parler de « flashs », d'images et de souvenirs partiels des événements. Voici d'ailleurs quelques- uns de ces souvenirs, tirés de l'exposé de l'appelante, auquel souscrit l'intimé : - Il est au sous-sol. Il cherche de l'éthylène glycol, une composante des antigels, et n'en trouve pas. - Il est au pied de l'escalier. Il a un couteau à la main et l'aiguise. Il veut se poignarder en le tenant à deux mains, mais se rappelle un incident dont lui a parlé Mme Gaston : un homme avait été amené à l'urgence après avoir été poignardé au thorax sans en mourir. Il a peur d'échouer et n'a pas la force de s'exécuter. - Il est assis sur son lit. Il a un verre à la main et un bidon de liquide lave-glace : « Je bois du lave-vitre puis je cale mon verre, puis j'en prends encore, puis je cale mon verre, puis c'est ça ». Il se sent « plein », tellement il a bu, et il est incapable de se coucher pour cette raison. Il réalise qu'il va mourir et il ne veut pas que ses enfants retrouvent son cadavre. Pour éviter cela, il va les « amener avec lui ». - Il est debout dans la chambre de son fils. Il a un couteau dans les mains et le poignarde. Son fils dit « non » et bouge. Il réalise qu'il lui fait mal. Il panique et « donne encore des coups ». Il a un souvenir similaire en ce qui a trait à sa fille. - Il se voit dans la salle de bain. Il uploads/Histoire/ court-of-appeal-guy-turcotte-decision.pdf

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  • Publié le Nov 04, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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