D. Caracostea, théoricien et critique littéraire - résumé - L'étude vise essent
D. Caracostea, théoricien et critique littéraire - résumé - L'étude vise essentiellement à la remise en discussion - dans le cadre de l'histoire des idées littéraires en Roumanie - d'un auteur (D. Caracostea) qui aurait dû être très important pour le développement actuel du domaine, si le régime communiste ne l'avait transformé en nomina odiosa, en bloquant pour la plupart des chercheurs l'accès à son oeuvre, écrite entre 1920 et 1945. On arrive ainsi à retracer les lignes essentielles de toute une aire scientifique, que Caracostea maîtrisait en 1920-45 (voir, par exemple, ses relations avec W. Meyer-Lübke, qui fut son professeur, ainsi que ses rapports avec son ancien collègue de Vienne, L. Spitzer etc.) et dont il a été obligé de se retirer par la suite. Le cas est d'autant plus intéressant que la pensée de Caracostea ne dérive pas du système saussurien, mais se situe entre la Gestalttheorie allemande et le formalisme du Cercle de Prague (Caracostea expérimentait déjà, en 1930, des éléments formalistes sur la poésie roumaine classique et le folklore). Ses études sur le "poétique" du texte littéraire et sur l'expressivité de la langue roumaine, très proches de ce qu'on appelle aujourd'hui le "néo-humboldtianisme", relèvent du domaine de l'émergence d'un concept général du figuratif. Enfin, ses projets concernant la restructuration des sciences de la littérature ouvraient des voies vers la poétique, la stylistique et la morphologie de la culture actuelles. Tout en n'étant pas (et n'ayant jamais été, à cause de déterminations autant personnelles que historiques) un des critiques roumains "en vogue", "à la mode" ou, qui plus serait, "chef d'école", Caracostea nous a semblé être - pour la critique roumaine actuelle - une provocation, parce qu'il met en cause nombre des "coutumes" de celle-ci concernant la relecture de ses précurseurs: l'incapacité ou la lassitude de renoncer aux préjugés hérites des générations antérieures; ensuite, la lecture faite souvent par un regard snob, qui s'efforce de voir (par exemple) le "structuralisme" des théories de Caracostea, mais reste aveugle à la convergence de celles-ci avec certaines solutions du poststructuralisme. Il s'agissait, enfin, d'étudier un cas particulier et en même temps d'essayer à établir un paradigme (un type d'intellectuel, un type de destin). Certes, il ne s'agit pas du paradigme "de succès" dans la critique roumaine, mais il n'en reste pas moins un, un type dans une typologie éventuelle, provoquant des réactions, elles aussi typologisables. Cela nous a permis aussi de mieux connaître une époque très riche dans le développement des idées littéraires roumaines et européennes, celle d'entre les deux guerres mondiales. Et, pourquoi pas, cette recherche nous aide à mieux comprendre ce qui se passe aujourd'hui - et aussi, à ce sujet, à donner une réponse (la seule qui me semble juste) à un nouveau type de discours critique, dans la Roumanie postcommuniste. Car, dans le cadre des discussions qui remettent en cause le système de valeurs de la culture roumaine, nous avons eu l'occasion d'assister, assez souvent, à des répétitions des stratégies du discours communiste, mais venant de l'autre pôle d'un échiquier, en fait, politique et non pas culturel. Caracostea, qui a été déclaré nomina odiosa par le régime communiste à cause surtout de ses convictions politiques, devient aujourd'hui - suggèrent quelques-uns de ses "avocats" - une personnalité intéressante à cause des mêmes raisons... La discussion sur l'importance de Caracostea dans la critique et la théorie littéraire roumaines, sur son éventuelle actualité, nous semble avoir lieu - aujourd'hui comme hier - dans l'indifférence envers la substance même de ses textes. Enfin, esquisser le portrait de Caracostea, cela signifiait aussi esquisser le portrait d'un théoricien des idées littéraires qui échoue dans l'accomplissement de ses projets. Son échec fascine par la diversité des explications qu'il nous a été possible de lui trouver. En somme, à une question simple, comme "à qui la faute de son échec?", les réponses visent non seulement un contexte historique tournant au tragique, avec la seconde guerre mondiale, mais aussi l'emploi - de Caracostea - de stratégies perdantes dans la construction et l'affirmation de son système. Il s'agirait là d'un échec qui se trouverait "encodé" dans les projets des sciences humaines du dernier âge du modernisme, un échec que Caracostea est un des premiers à illustrer (et son illustration reste inconnue à l'époque), mais un échec (et un "encodage" fondamental) dont parlent (dans d'autres langues) nombre d'études poststructuralistes actuelles. Nous nous appuyons, à ce propos, sur un court fragment, tiré d'un texte programmatique que Caracostea publie en 1941, une fois nommé à la tête de la "Revue des Fondations Royales pour Littérature et Art" (Un nou îndreptar, RFR, an VIII, no. 6/juin, p.621): "Autour de nous a lieu un changement épocal. On change les fondements mêmes des sciences humaines, de l'étude de la langue jusqu'au plus nobles créations /d'art/. Ce qui nous éblouit aujourd'hui trouve sa source dans une nouvelle vision du monde. La critique, l'histoire littéraire et toutes les sciences de l'homme ne pourront plus être ce qu'elles ont été jusque là". On peut facilement constater combien ce fragment nous semble actuel. Posons, en principe, que, même si plus de cinquante ans nous séparent de la date quand il a été écrit, nous nous retrouvons - avec Caracostea - dans le cadre d'une même crise de l'épistémé moderne, exigeant le même renouveau des sciences humaines (en ce qui nous concerne, avec un héritage assez riche de solutions mi-valables, mi-échouées, acquis entre temps). Mais, premièrement, il faut se demander quel était le contexte historique qui encourageait Caracostea à poursuivre son renouveau de la science littéraire? Comme vient de le prouver ce fragment cité, Caracostea était sans aucun doute - et il le savait bien - contemporain d'une époque de changements profonds, auxquels il tenait à répondre. Le fil de son évolution "entre les deux guerres mondiales" suit de prés celui de l'histoire de la Roumanie: 1. ...ayant poursuivi ses études universitaires à Bucarest, dans un milieu francophile et francophone, idéologiquement marqué au début du siècle par le vitalisme de Bergson et l'idéalisme de Croce... 2. ...il fait un long stage à Vienne, dans le cadre du Séminaire du linguiste W. Meyer-Lübke (où il est le collègue de Leo Spitzer), et il s'initie à la philosophie et à linguistique allemandes. Mais Vienne était, à l'époque de la fin de l'Empire, une véritable plaque tournante pour les courants majeurs des idées littéraires, un espace hétérogène, de liberté. Là surtout, Caracostea apprenait - à notre avis - à faire coexister, en complémentarité, des solutions théoriques contradictoires, il s'exerçait à éprouver une méfiance essentielle envers toute dogmatisation de la théorie littéraire, la même dont témoigneront, dans l'espace occidental d'après la guerre, Leo Spitzer - son collègue de jadis - et Roman Jakobson. 3. ...de retour dans une Roumanie où la fin de la première guerre mondiale marquera par la suite le début d'une période de développement accéléré dans tous les domaines, il se consacra à une carrière universitaire. Il esquissait des projets théoriques dont l'amplitude, ainsi que la vocation synthétique correspondent bien au fleurissement général de la culture roumaine à l'époque. Dans une culture décidément et définitivement moderne, synchronisée avec celle d'Occident, ses études - portant de la linguistique à la critique génétique, et de l'ethnologie à la morphologie de la culture - ont, avant tout, un air de "normalité". 4. ...l'ascension de la droite politique en Europe, l'approche de la seconde guerre mondiale (et surtout après 1939) trouveront Caracostea dans l'hypostase du savant accompli, maître de soi et (un peu trop) enchanté, lui, le premier, de la réalisation de son projet théorique. Ayant toujours été très sensible à l'esprit du temps, s'interrogeant sans arrêt sur les points de crise de sa science, Caracostea deviendra la proie facile d'une illusion: au moment même où il lui semble maîtriser son époque, les sens de celle- ci lui échappent (et il écrira l'apologie de la guerre), au moment même où il pense tenir une position de force et d'indépendance il se voit asservi par le pouvoir en place (il devient directeur des Fondations Royales pour la Littérature et l'Art), au moment même où il lui semble atteindre l'objectivité critique (utopie du structuralisme dont il était un adepte), ses écrits sont marqués par une idéologie, sa pensée se voit déformée par l'impact du politique. Bref, au moment où il croit gagner la "guerre" avec son époque, il est en fait vaincu. 5. ...doublement vaincu, car la seconde guerre mondiale clôt (du moins en Roumanie) ce que la première avait ouvert. L'instauration de la dictature communiste, l'occupation soviétique, la rupture avec le passé, opérée par la culture dominante, tout ceci se constitue en une limite historique que Caracostea ne franchira plus, même s'il ne mourra qu'en 1964, après avoir subi les rigueurs du régime. Caracostea est, donc, un critique "d'entre les deux guerres (mondiales)", mais il me faut noter aussi le paradoxe de ses rapports au contexte contemporain. Car, doué d'un esprit théorique extraordinaire, il sait pour autant être à l'écoute de tous les changements ayant lieu dans la vie littéraire, aussi bien que uploads/Histoire/ d-caracostea-theoreticien-et-critique-litteraire-resume.pdf
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- Publié le Sep 28, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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