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Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 16, no 2, octobre 2017 La représentation des drogues dans l’histoire des sociétés. Le cas français. Didier Nourrisson, professeur d’histoire contemporaine, ESPE/Université Claude Bernard Lyon 1 Correspondance : Didier Nourrisson Professeur d’histoire contemporaine ESPE/Université Claude Bernard Lyon 1 90, rue de la Richelandière 42100 Saint-Étienne, Cedex 2. France Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA) Courriel : didier.nourrisson@univ-lyon1.fr Tél. : 06.84.79.94.74 2 La représentation des drogues dans l’histoire des sociétés. Le cas français. Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 16, no 2, octobre 2017 Résumé L’histoire des drogues se fond dans l’histoire des hommes. Le mot lui-même mélange santé (médi- cament) et maladie (toxique), bien-être et mal-être, humanité et dangerosité sociale. Les drogues et leurs usagers sont abondamment montrés dans la littérature et les arts. Leur présence même vaut la définition des normes de vie en société : tolérance ou intolérance, sociabilité ou disqualification sociale, intégration ou exclusion. Elles permettent même d’étudier les consommations et leurs repré- sentations sous l’angle du genre. Question d’époque. Trois périodes sont en effet considérées : un temps où la curiosité pour les drogues le dispute à l’enthousiasme et où le savoir-vivre passe par l’échange entre pairs (XVIe-XVIIIe siècle) ; un temps où les drogues, sous l’effet de la démocratisation de leurs usages, commencent à inquiéter la gent médicale (XIXe siècle) ; un temps enfin où la réglementation, voire l’interdiction des drogues (stupé- fiants, alcool et tabac) provoque la disqualification sociale des usagers. Mots-clés : Histoire, drogues, visibilité sociale, politiques antidrogues, consommation, France. Representation of drugs in the societal history. The French case. Abstract The history of drugs is part of the history of man. The word itself mixes health (medication) and disease (toxic), well-being and malaise, humanity and social dangerousness. Drugs and their users are repeatedly present in literature and the arts. Their presence is even worth the definition of living standards in society: tolerance or intolerance, sociability or social disqualification, integration or exclusion. They even enable the study of consumption and their representations from a gender perspective. An issue of the period. In fact, three periods are considered: a time when curiosity for drugs brought enthusiastic disputes and when knowing how to live included peer discussion (16th-18th centuries); a time when drugs, under the effect of the democratization of their use, began to worry the medical authorities (19th century); and lastly a time when regulations, if not prohibition of drugs (narcotics, alcohol and tobacco) caused the social disqualification of the users. Keywords: History, drugs, social visibility, anti-drug policies, consumption, France. 3 La représentation des drogues dans l’histoire des sociétés. Le cas français. Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 16, no 2, octobre 2017 La representación de las drogas en la historia de las sociedades. El caso francés. Resumen La historia de las drogas se funde con la historia del hombre. La palabra misma mezcla salud (medi- camento) y enfermedad (tóxico), bienestar y malestar, humanidad y peligrosidad social. Las drogas y sus usuarios están ilustrados de manera abundante en la literatura y las artes. Su presencia misma vale la definición de las normas de vida en sociedad: tolerancia o intolerancia, sociabilidad o des- calificación social, integración o exclusión. Las drogas permiten asimismo estudiar los consumos y sus representaciones bajo el ángulo del género. Cuestión de época. Se consideran efectivamente tres períodos: un momento en el que la curiosidad por las drogas com- pite con el entusiasmo y cuando el saber vivir pasa por el intercambio entre pares (siglos XVI-XVIII); un tiempo en el que las drogas, bajo el efecto de la democratización de sus usos, comienzan a inquietar a los profesionales de la medicina (siglo XIX); un tiempo, finalmente, en el que la reglamen- tación, si no la prohibición de drogas (estupefacientes, alcohol y tabaco) provoca la descalificación social de los usuarios. Palabras clave: historia, drogas, visibilidad social, políticas antidrogas, consumos, Francia. 4 La représentation des drogues dans l’histoire des sociétés. Le cas français. Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 16, no 2, octobre 2017 Introduction La drogue : parlons-en avant qu’elle ne lui parle. Le Comité français d’éducation à la santé (CFES) qui placarde cette affiche impérative en 1987 dit tout sans rien dire. « La drogue » est implicitement connue – on se demande bien pourquoi – et elle paraît menacer la famille : le visage d’une jeune victime potentielle doit interpeler les parents. Le manque de communication familiale est dénoncé et on ne peut que s’inquiéter devant ce danger latent. Quelle société fabriquons-nous qui génère la non-communication ? Quelle inquiétude diffuse représentons-nous ? Quelle « drogue » vivons-nous ? La première grande campagne en France sur les dangers des drogues (CFES, 1987). Poser la question des « limites », c’est étudier la société en général, parce que c’est considérer les normes, les tolérances et les intolérances en vigueur à un moment donné. Le terme de « drogue » évolue singulièrement dans l’espace comme dans le temps. D’une société, il affiche les valeurs (savoir-vivre, convivialité, santé), les pratiques (normalité, licéité), les déviances et défiances (dan- gerosité sociale, risques). Un regard, comme cet enfant, sur les cinq derniers siècles occidentaux, particulièrement en France, montre l’audace, l’envie, le besoin, l’embarras, la peur des sociétés vis-à-vis des produits modificateurs de conscience. 5 La représentation des drogues dans l’histoire des sociétés. Le cas français. Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 16, no 2, octobre 2017 1 Ceci avant que la loi de 1906 aux États-Unis oblige la société Coca-Cola à décocaïniser la feuille de coca. 2 Le changement de terme « nicotiane » en « tabac » intervient au début du XIXe siècle, quand l’alcaloïde de la plante est isolé et dénommé « nicotine ». 3 Le Dictionnaire de Trévoux, ouvrage savant des Jésuites en 1752, ajoute : « drogue : terme général de marchandise d’épicerie de toute sorte de nature, et surtout des pays éloignés, lesquels servent à la médecine, aux teintures et aux artisans… dérive du mot persan droa, signifiant odeur… ou du mot hébreux rakab, pour préparer des parfums. » XVIe-XVIIIe siècle : l’intrusion des drogues exotiques dans les sociétés occidentales Quand André Thevet, moine cordelier d’Angoulême (France), réalise son grand voyage sur les terres nouvellement découvertes, il voit et rapporte les pratiques indiennes en matière de consommation de produits psychotropes Thevet, 1983). Les Indiens fument de grands « tabacos », en langue espagnole des feuilles roulées sur elles-mêmes, pour communiquer avec les esprits ou pour couper la faim lors des campagnes de guerre ou de chasse. Leurs femmes sont interdites de « fume » (Molimard, 2004). Thevet est de plus le premier, semble-t-il, à ramener ladite plante en Europe : « Je puis me vanter d’avoir été le premier en France qui a apporté la graine de cette plante et pareillement semée, et nommée la dite plante l’herbe angoumoisine. » (Thevet, 1571) De leur côté, dans les Andes, les conquistadors découvrent les pratiques indiennes de la mâche de la feuille de coca et ses vertus en matière de résistance à la faim et de dépassement de soi. Cependant, ni les légendes de la coca rapportées par Monardes en 1580 à la cour de Madrid, ni les écrits flatteurs du poète anglais Cowley au XVIIe siècle ne permettent de diffuser l’usage de la coca. Il faut attendre de la faire infuser dans le « bon » vin de Bordeaux pour obtenir un produit goûteux pour les palais européens : c’est le vin Mariani de 1863. On prétend même que trois verres de Coca-Cola du début du XXe siècle , – digne successeur du vin Mariani –, contiennent autant de cocaïne (30 mg) qu’un rail de « coke »[1] ! Des « grandes découvertes » (du maïs à la pomme de terre), les produits psychotropes sont les premiers à circuler. Les Anglais, via la compagnie des Indes, se font bien vite une spécialité, de l’importation d’opium. Les produits « indiens », qu’ils soient de l’ouest (tabac) ou de l’est (opium) s’implantent dans les sociétés, développant tabagies et fumeries. Ils ont d’abord le statut de produits diaboliques : déjà la fumée qui sort des bouches sent le soufre. Mais bien vite la demande sociale déborde l’interdit. Le tabac lui-même est cultivé. Il porte, pour deux siècles, le nom du très cher courtisan de Catherine Médicis, Jean Nicot, la « nicotiane »[2] (Nourrisson, 1999). La reine adopte en effet le produit au milieu du XVIe siècle et le fait adopter à la cour imposant un savoir-vivre tabagique. Désormais la « prise » de tabac par le nez – on dirait aujourd’hui la « sniffe » – devient une affaire d’hommes et de femmes de l’aristocratie et participe au « procès de civilisation » (Elias, 1973). Quant aux produits alcooliques qui sont fabriqués sur place depuis bien longtemps (la cervoise des Gaulois et le vin des Romains), ils connaissent une grande diversification à partir du XVIe siècle. Le cidre se met à pétiller dans les tonneaux normands uploads/Histoire/ dm-1251-dss-vol16no2-nourrisson-securise.pdf

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  • Publié le Jul 20, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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