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Anabases 11 (2010) varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Oleg Grabar et Corinne Bonnet Entretien avec Oleg Grabar : L ’art islamique et l’Antiquité ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Oleg Grabar et Corinne Bonnet, « Entretien avec Oleg Grabar : L’art islamique et l’Antiquité », Anabases [En ligne], 11 | 2010, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 01 mars 2013. URL : http://anabases.revues.org/886 Éditeur : PLH-ERASME (EA 4153) http://anabases.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://anabases.revues.org/886 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © Anabases Anabases 11 (2010), p. 205-216. Entretien avec Oleg Grabar : L’art islamique et l’Antiquité 1 CORINNE BONNET NÉ À STRASBOURG EN 1929, Oleg Grabar est spécialiste d’art islamique. Après des études de langues orientales et d’histoire de l’art, couronnées par une thèse de doctorat à l’université de Princeton, en 1955, il entame sa carrière universitaire à l’uni- versité du Michigan, puis enseigne à Harvard et est, depuis 1990, membre de l’Institute for Advanced Study de Princeton, dont il est émérite depuis 1998. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles qui ont marqué sa discipline. Oleg Grabar est aussi un homme de terrain : il a dirigé les fouilles de Qasr al-Hayr al Sharqi, en Syrie et a été chargé, en 2001, par l’UNESCO d’une mission d’inspection des fouilles du Mont du Temple à Jérusalem. Parmi ses publications, on signalera notamment, en français, L’Ornement. Formes et fonctions dans l’art islamique, Flammarion, 1996, Penser l’art islamique. Une esthétique de l’ornement, Albin Michel, Paris, 1996, La pein- ture persane, PUF, Paris, 1999, Le Dôme du Rocher, joyau de Jérusalem, photos de Saïd Nuseibeh, Albin Michel/IMA, Paris, 1997, La formation de l’art islamique, Flammarion, Paris, 2000, et très récemment Images en terres d’Islam, RMN, Paris 2009. Pour le thème qui a fait l’objet de cet entretien, on relèvera aussi Late Antiquity : A Guide to the Post- Classical World (avec Glen Bowersock et Peter Brown), Harvard University Press, Harvard, 1999, ainsi que les 83 articles rassemblés en quatre volumes sous le titre Constructing the Study of Islamic Art, Ashgate, Hampshire, 2002-2006. 1 Entretien réalisé à Princeton, Institute for Advanced Study, en juin 2009. Transcription réalisée par A. Declercq. 206 CORINNE BONNET Corinne Bonnet Dans le domaine que je fréquente, l’histoire du Proche-Orient ancien, on a longtemps parlé d’« archéologie biblique » dans le sens où, par le biais de l’archéologie, on s’effor- çait de trouver des points d’ancrage objectifs à ce que l’Ancien Testament raconte. Mais aujourd’hui, ce label est fortement contesté et on a proposé de le remplacer par « archéologie palestinienne ». Que faut-il penser du concept d’« art islamique », traditionnel, j’imagine, dans le langage académique ? Oleg Grabar Il n’y a pas de doute que la notion d’art islamique, qui est traditionnelle mais qui n’est pas très ancienne – c’est seulement dans le courant de la deuxième moitié du XIXe siècle qu’elle est apparue – est en train de disparaître : ça n’a plus de sens. Ça ne correspond pas à la réalité du mot islamique, qui comprend une pluralité d’unités diffé- rentes, lesquelles conçoivent à chaque fois leur art, leur passé, leur culture de manière différente. Donc c’est un terme qui n’est plus valable. Pourtant il est difficile de le changer, comme le terme « gothique », qui n’est pas valable non plus : ça ne veut rien dire, « gothique », mais on en a pris l’habitude… Alors je ne suis pas sûr que ça vaille la peine de le changer, sauf si on trouve quelque chose de meilleur, et jusqu’ici personne n’a trouvé. On peut faire des études régionales, si l’on prend en compte l’Andalousie, la Turquie ou l’Iran : ça c’est valable, dans le sens où ce sont des pays musulmans qui ont existé depuis le début de l’Islam. Mais alors on ne voit plus la relation qui existait entre eux et c’est un autre problème. CB À l’époque où l’on a forgé cette catégorie d’« art islamique », on était conscient que ce qu’elle recouvrait était extrêmement diversifié ? OG C’est un problème intéressant. En fait, on en était conscient, mais, à cette époque-là, on travaillait sur les arts nationaux : il y avait un art arabe, un art turc, un art persan, un art mauresque… C’était divisé par ethnies, c’était même presque racial comme définition. Et pour éviter cela, on a dit : ce qu’ils ont en commun, c’est l’Islam. Et ce regroupement a été opéré à la fin du XIXe siècle. Le premier, je crois – je ne suis pas absolument sûr – a été Saladin, l’architecte qui a écrit le premier un manuel d’art islamique 2. CB Dominique Chevallier soulignait dans son dernier livre, Vapeurs de sang (Paris, 2008) que « la force de l’Islam s’impose par la foi en un Dieu Un, absolument Un, dont 2 G. MIGEON – H. SALADIN, Manuel d’art musulman, Paris, A. Picard, 1907. 207 ENTRETIEN AVEC OLEG GRABAR l’irréductible unicité définit l’unité de l’univers » (p. 121). Comment ce projet se reflète- t-il dans l’art ? Et comment articuler cette unité ou unicité avec la remarquable étendue géographique couverte par l’Islam ? Ainsi, pour l’époque omeyyade, vos propres travaux distinguent-ils toute une série d’unités régionales : Égypte, Syrie, Arabie, Iraq, Iran, Asie centrale, marches indiennes, sans oublier l’Afrique du Nord et l’Espagne, chacune avec des formes artistiques propres. Y a-t-il donc un « art islamique » qui transcende par son message, sa forme, son « goût » les multiples expressions que nous en observons ? Les notions de centre et de périphéries ont-elles quelque validité dans l’étude de l’art islamique ? OG C’est une question intéressante parce qu’il y a deux arguments pour dire qu’en effet, c’est vrai, il y a une force de l’Islam, qu’elle soit ou non imposée par la foi en un Dieu un, absolu ou autre chose, mais une force qui existe partout. Et c’est une attitude qui existe à la fois dans les milieux très antimusulmans de l’Occident et chez les musul- mans réactionnaires et conservateurs du monde d’aujourd’hui. C’est très curieux que les plus féroces des musulmans rejoignent les antimusulmans dans leur attitude de « nous sommes différents »/« ils sont différents ». Affirmer qu’il y a un Dieu absolument un, etc., c’est vrai, mais ce n’est pas ça qui a créé un art. Ça a créé un sentiment de solidarité entre les gens qui appartiennent à cette religion, assurément, mais je ne crois pas que ça a pu susciter un art. Sauf un art artificiellement imposé dans la deuxième moitié du XXe siècle. Il y a eu des essais de forger un art officiel de la calligraphie, par exemple Mais c’était autre chose et il est beaucoup plus important de penser toujours histori- quement. Il y a eu des époques où de grands centres se sont épanouis et des époques où les périphéries étaient plus importantes que les centres. Il y a une sorte de dialectique entre centres et périphéries. Les centres varient, les périphéries aussi. Dans toute cette histoire, ce qui est intéressant, c’est la manière dont ces centres et ces périphéries ont interagi les uns avec les autres. Car, le monde islamique n’a jamais eu d’organisation religieuse unique. Il y a eu des états forts aux VIIIe-IXe siècles avec les Abbassides, et un peu plus tard avec les Ottomans, mais en gros, ça n’a jamais duré très longtemps, tandis qu’il n’y a jamais eu d’Église, rien d’équivalent. Donc encore maintenant on ne peut jamais savoir quelle est l’opinion musulmane sur quelque chose, parce qu’il n’y a pas un Vatican, une autorité. C’est à la fois un avantage – ça donne une grande liberté –, mais c’est un désavantage parce que ça permet de se disputer tout le temps, ce qu’on fait assez facilement. CB Par rapport à ce que vous disiez tout à l’heure du passage des arts nationaux vers l’art islamique, quand on a choisi le terme « islamique », est-ce qu’on n’entendait pas, implicite- ment au moins, suggérer qu’il y existait un rapport quelque peu standardisé entre les modes de pensée religieuse et ceux de l’expression artistique ? 208 CORINNE BONNET OG Oui, je crois que les gens qui avaient développé le terme le pensaient. Mais la plupart de ces savants étaient historiens de l’architecture, donc les uploads/Histoire/ entretien-avec-oleg-grabar-l-x27-art-islamique-et-l-x27-antiquite.pdf
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- Publié le Fev 07, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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