E-rea Revue électronique d’études sur le monde anglophone 8.3 | 2011 Hommage à

E-rea Revue électronique d’études sur le monde anglophone 8.3 | 2011 Hommage à François Poirier Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/erea/1741 DOI : 10.4000/erea.1741 ISSN : 1638-1718 Éditeur Laboratoire d’Études et de Recherche sur le Monde Anglophone Ce document vous est offert par Les Bibliothèques de l'Université de La Réunion Référence électronique Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO, « Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » », E-rea [En ligne], 8.3 | 2011, mis en ligne le 30 juin 2011, consulté le 21 mars 2018. URL : http://journals.openedition.org/erea/1741 ; DOI : 10.4000/erea.1741 Ce document a été généré automatiquement le 21 mars 2018. E-rea est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO 1 Comme pour beaucoup d’événements qui entourent l’histoire coloniale française, la date du 29 mars 1947reste largement inconnue, ou encore, est l’objet de nombreuses confusions et fluctuations, en lien avec des confrontations idéologiques puissantes. Pour la France, 1947 a fait l’objet d’une amnésie collective jusqu’à une date récente. En revanche, « la mémoire de 1947 (avec ses intermittences) a fortement scandé l’histoire récente de Madagascar » (Joubert 2004, 354). L’hésitation même dans le nom à donner à ces événements, « insurrection, massacre » (Duval 2002, 5)… marque cette incapacité à circonscrire la nature de ce qui se passa depuis la nuit du 29 mars 1947 jusqu’à l’indépendance du 20 juin 1960 et même jusqu’à nos jours. L’un des problèmes tient au fait que la parole sur l’événement est essentiellement française, parole qui plus est, des militaires et des administrateurs, consignée dans des archives longtemps fermées, réparties entre la France et Madagascar. La parole malgache est restée largement orale, et Françoise Raison-Jourde (1998) insiste sur la difficulté de recueillir des témoignages, sur les réticences des acteurs devant toute forme de fanjakana (pouvoir), sur la fluctuation des mémoires vieillissantes, et sur la capacité « par le biais d’une subtile tournure d’esprit, à éviter le sujet » (Cole 2001, 224) tout comme elle insiste sur la difficulté de publier et de diffuser des travaux universitaires malgaches. Des ouvrages d’histoire ont toutefois traité l’événement (Tronchon 1986), des colloques ont été tenus à Antananarivo et Paris en 1997. Mais dès qu’il s’agit de témoignages publiés, malgaches comme français, la fluctuation s’impose, comme on le voit par exemple en comparant les ouvrages de Jacques Tiersonnier (2004) ou de Gisèle Rabesahala (2006). Les représentations ne se contentent pas d’être divergentes entre les deux anciennes puissances colonisée et colonisatrice, ce qui serait somme toute on ne peut plus banal. L’événement demeure tout aussi fluctuant au sein même de l’histoire malgache, et fait l’objet de discours contradictoires, d’une « rumeur » ou tabataba qui perdure, enfle ou se dissout. L’amnésie malgache n’est pourtant peut-être pas aussi forte qu’elle y paraît, elle peut être aussi le fait d’un discours inaudible pour la France. Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » E-rea, 8.3 | 2011 1 2 La difficulté à dire l’histoire se révèle dans les fluctuations de la représentation que la littérature lui donne, entre silence et bruit. Nous le verrons, que ce soit en littérature ou au cinéma, en langue malgache ou en langue française, la production malgache est avare d’œuvres sur le sujet. C’est surtout à Jean-Luc Raharimanana que l’on doit le retour à la lumière (« nour ») de cette mémoire enfouie à travers plusieurs de ses textes. A quoi correspond cette hantise de 1947, ce retour immédiatement contemporain d’une mémoire des événements, représentés chez l’auteur sous leur face la plus tragique ? L’objectif de Raharimanana est explicitement la restauration des voix manquantes, la prise de parole des subalternes pour corriger les discours des pouvoirs français et malgache, pour reprendre le flambeau d’une transmission chaotique de la mémoire. Les réédifications du passé qu’il élabore nous permettront de comprendre comment l’histoire malgache et l’histoire française peinent à se rencontrer. Elles montrent comment ce qui peut paraître un événement fondateur d’une histoire nationale fait l’objet de réorganisations auxquelles participe la littérature en contribuant à une réflexion sur la constitution d’une mémoire qu’on considérera comme multidirectionnelle : “ as multidirectional : as subject to ongoing negotiation, cross-referencing, and borrowing” (Rothberg, 2009, 3). Mais la littérature à son tour déborde à nouveau sur la scène culturelle, diplomatique et institutionnelle avec la question cruciale de la censure qu’a éveillée en 2008 la suspension de la pièce 1947. Cet événement vient rappeler avec force le poids majeur de cette date dans la généalogie de l’histoire malgache et française coloniale et postcoloniale, et interroger la capacité des textes à élaborer un récit de la nation. I Anamorphoses : fluctuations et trous de mémoire 3 Rappelons en quelques mots les faits historiques et les doutes qui les entourent afin de montrer les anamorphoses auxquelles les événements comme le discours historiographique sont sujets. 4 Depuis l’instauration de la colonisation proclamée le 6 août 1896, Madagascar a connu des mouvements de résistance avec les Menalamba (« ceints d’une étoffe rouge »), puis à partir de 1912, avec le VVS (« Vy », fer ; « Vato » pierre ; « Sakelila » Sections) ou avec la pratique du fahavalisme, banditisme dans lequel se réfugiaient beaucoup d’esclaves affranchis. Ces mouvements se heurtent à une colonisation brutale et au travail forcé (le SMOTIG) instauré en 1926. Très dure pour la population malgache qui a dû consentir un effort qui l’a affamée, la Seconde Guerre mondiale a entraîné un contexte international favorable à la montée des insurrections. On relève ainsi, en mai 1945, les émeutes de Sétif qui ont eu une influence considérable sur les autres colonies françaises ou, dans la région, la départementalisation de La Réunion en 1946. De retour à Madagascar, les soldats sont à nouveau traités comme des indigènes sans que la France ne mesure la montée internationale du désir indépendantiste. En 1946 est fondé le MDRM (Mouvement démocratique de la rénovation malgache) et le 10 novembre, trois députés issus de ce parti sont élus : Raseta, Ravoahangy et Jacques Rabemananjara. Par ailleurs, des sociétés secrètes sont créées, comme le PANAMA en 1941, le JINA ou JINY en 1943. L’ensemble de ces paramètres fournit un contexte politique propice à l’organisation de la résistance anticoloniale. Dans la nuit du 29 mars 1947, des groupes de patriotes armés attaquent le camp militaire de Moramanga, ainsi que d’autres bâtiments militaires et administratifs dans le pays. Mais l’embrasement général, attendu par les insurgés, n’a pas lieu et assez vite, les émeutes se concentrentessentiellement surdix districts, mis en état de siège Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » E-rea, 8.3 | 2011 2 jusqu’en 1956. La révolution tourne en une guérilla dans l’est du pays où les résistants se réfugient dans les forêts. Ils y connaissent des conditions de vie très pénibles qui auront raison d’une grande partie d’entre eux. Le déséquilibre des forces est total entre les « marosaholy » (porteurs de sagaies) aidés de leurs amulettes, et les soldats français aidés de tirailleurs sénégalais. Les colons et le régime — divisés par les dissensions entre armée et administration — sont profondément déstabilisés par cet événement, mais leur riposte ne se fait pas attendre, en particulier avec les représailles des troupes sénégalaises qui provoquent la terreur dans la population. La violence de l’armée française est symbolisée par l’épisode du 5 mai 1947 : un train contenant de nombreux insurgés prisonniers est mitraillé sur le quai de la gare de Moramanga, provoquant quatre-vingt dix-neuf morts selon les rapports officiels de l’armée française (Duval 2002, 297). De nombreux membres du MDRM sont arrêtés, torturés, des exécutions sommaires ont lieu, des « bombes humaines » sont jetées depuis des avions. Les villages sont fouillés, les biens et les récoltes des habitants détruits. Les représailles ont été également très brutales sur un plan juridique : les trois députés sont condamnés à mort avant de voir leur peine commuée, le dernier condamné à mort est exécuté en 1954 et les derniers prisonniers ne sont libérés qu’en 1956. 1947 a été suivi d’un fort durcissement du régime colonial instaurant humiliations, soumissions publiques et spoliations économiques. La France joue les dissensions ethniques. La société est profondément bouleversée par de permanentes rumeurs de délations, de trahisons… Obtenue en 1960, l’indépendance est suivie de la « IIè indépendance » en 1972 avec l’instauration de la IIè république par Ratsiraka, mais elle ne parvient pas à effacer totalement ce traumatisme profond de l’histoire et de la construction nationale malgaches. 5 Il n’est pas de notre compétence d’analyser cette trame historique que nous avons largement simplifiée. Nous nous contenterons d’observer une seule des grandes fluctuations de la représentation qui en est donnée, celle du nombre des morts. Le chiffre officiel en a pourtant été proposé par les documents écrits de l’armée française, peu suspects d’exagération. Reprenant la déclaration uploads/Histoire/ erea-17411-pdf.pdf

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  • Publié le Jui 24, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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