Histoire des émotions dirigée par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et George

Histoire des émotions dirigée par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello 1. De l’Antiquité aux Lumières Volume dirigé par Georges Vigarello 2. Des Lumières à la fin du xixe siècle Volume dirigé par Alain Corbin 3. De la fin du fin du xixe siècle à nos jours Volume dirigé par Jean-Jacques Courtine Des mêmes auteurs Histoire du corps 1. De la Renaissance aux Lumières 2. De la Révolution à la Grande Guerre 3. Les mutations du regard. Le xxe siècle Seuil, « L’univers historique », 2005 et 2006 et « Points Histoire », n° 447, 448, 449, 2011 Histoire de la virilité 1. L’invention de la virilité. De l’Antiquité aux Lumières 2. Le triomphe de la virilité. Le xixe siècle 3. La virilité en crise ? xxe-xxie siècle Seuil, « L’univers historique », 2011 et « Points Histoire », n° 501, 502, 503, 2015 Histoire des émotions sous la direction de Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello 3. De la fin du xixe siècle à nos jours Volume dirigé par Jean-Jacques Courtine Avec Bruno Nassim Aboudrar, Stéphane Audouin-Rouzeau, Antoine de Baecque, Ludivine Bantigny, Éric Baratay, Yaara Benger Alaluf, Christophe Bident, Christian Bromberger, Esteban Bourg, Anne Carol, Jacqueline Carroy, Pierre-Henri Castel, Jean-Jacques Courtine, Stéphanie Dupouy, Ute Frevert, Sarah Gensburger, Claudine Haroche, Eva Illouz, Claire Langhamer, Nicolas Mariot, Charles-François Mathis, Olivier Mongin, Dominique Ottavi, Michel Peraldi, Jan Plamper, Richard Rechtman, Bertrand Taithe, Christophe Triau, Sylvain Venayre Éditions du Seuil Ce livre est initialement paru en 2017 dans une version illustrée dans la collection « L’Univers historique ». Les textes de Yaara Benger Alaluf et Eva Illouz, de Claire Langhamer, de Jan Plamper ont été traduits de l’anglais par Aurélien Blanchard. Le texte d’Ute Frevert a été traduit de l’allemand par Jean-Louis Schlegel. isbn 978-2-7578-8565-9 (isbn 978-2-02-117737-4, 1re publication) © Éditions du Seuil, 2017 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Introduction L’empire de l’émotion Peur, joie, dégoût, tristesse, colère, surprise ; honte, envie, amour, empathie… D’où proviennent, comment se sont for- mées, comment se sont structurées et reliées les unes aux autres ces composantes essentielles de l’univers de nos affects ? C’est à partir des dernières décennies du xixe siècle que le volume qu’on vient d’ouvrir tente de répondre à de telles questions. 1880… Le siècle qui s’achève a inventé l’homme sen- sible ; il a entendu gronder des clameurs guerrières et reten- tir les élans révolutionnaires. C’est cependant une ère nouvelle qui s’ouvre dans les toutes dernières années du xixe siècle : elle voit l’émergence de formes inédites d’observation et de réflexion sur les émotions humaines, qui vont placer celles-ci au centre de la vie individuelle, politique et sociale. En 1872, Charles Darwin publie son Expression des émo- tions chez l’homme et les animaux. L’impact du livre en fait sans nul doute le véritable coup d’envoi d’une science des émotions, même si Thomas Brown ou Charles Bell en avait préparé l’avènement au cours du siècle. Darwin y affirme le caractère universel des émotions, propose une classification élémentaire de ces dernières et les relie à des formes typiques d’expression corporelle. En 1884, William James, fondateur de la psychologie américaine, pose la question inaugurale : « What is an emotion? » Il y répond, dans son essai éponyme, en inscrivant les émotions dans les modifications du corps biologique. Cet ensemble de traits, admis ou réfutés, vont contribuer à structurer la pensée des émotions dans le champ de la psychologie pour le siècle à venir. Mais il y a bien plus que cela, en ces dernières années du xixe siècle : d’autres préoccupations voient le jour, qui concernent cette fois les émotions politiques. En 1895, Gustave Le Bon publie La Psychologie des foules. La ques- tion des émotions est au cœur même de ses préoccupations, et, pourrait-on ajouter, de ses craintes. Car c’est bien de la pré- valence des émotions dans la vie publique qu’il s’inquiète, de leur volatilité, de l’inquiétante contagion grâce à laquelle elles se propagent dans le champ politique. Que l’effervescence qui parcourt les communautés humaines soit conçue comme une menace chez Le Bon, ou bien qu’elle serve quelques années plus tard à comprendre pour Gabriel Tarde l’émergence des publics ou pour Durkheim les formes élémentaires de la vie religieuse, ces ouvrages où s’inventent les sciences sociales font de la propagation des affects dans la vie politique et sociale une question cruciale au moment où se constituent les sociétés de masse. Ils ne sont pas les seuls à s’en préoccuper. Si nous nous déplaçons à présent d’Europe en Amérique, nous voyons là encore les contagions émotionnelles intriguer et passionner les Américains, mais dans la sphère économique et financière cette fois, en particulier lorsqu’elles dégénèrent en paniques boursières dont les épidémies secouent Wall Street en 1893 et 1907. Ces crises émotionnelles ont des effets littéraires : plus de trois cents romans y seront consacrés entre 1870 et 1920. C’est que les questions, ici ou là, demeurent les mêmes : à l’aube des sociétés de masse, en une période de bouleversements politiques, sociaux et économiques majeurs, partout semble s’exercer l’emprise de l’émotion, sur les individus comme sur les masses. Car le constat n’en reste pas là : l’Europe comme l’Amérique voient l’éruption sou- daine d’étranges pathologies mentales, aux contours flous et aux symptômes indistincts, American nervousness ici, Histoire des émotions 8 neurasthénie là. D’obscurs mouvements de l’âme échappent de plus en plus nettement au contrôle du sujet : la psychana- lyse naissante saura y reconnaître l’origine inconsciente des affects. La longue tradition qui soumettait depuis toujours les excès des passions au contrôle de la raison manifeste à l’évi- dence, au tournant du xxe siècle, des signes d’épuisement. Ce troisième volume s’efforce de retracer le destin des émo- tions depuis lors. Entreprise complexe que celle qui voudrait saisir les mutations des régimes affectifs des sociétés occiden- tales dans l’ampleur des bouleversements du siècle qui vient de s’achever, à travers la fureur des combats, la dépression des crises économiques, l’anxiété des guerres froides et des conflits larvés, l’incertitude des accélérations et des boulever- sements technologiques, l’univers inquiétant de la mondialisa- tion néolibérale. En résulte une histoire liquide et fragmentée, rebelle aux classifications traditionnelles qui veulent voir dans l’émotion, le sentiment, l’affect des espèces psychologiques étrangères les unes aux autres, et qui catégorisent notre monde intérieur en types disjoints. L’écriture de l’histoire des émo- tions témoigne bien au contraire de l’extrême fluidité de telles catégories, qui changent avec les lieux et le temps. C’est donc une position parfaitement assumée dans ce volume : le terme d’« émotion » tel qu’il est entendu ici couvre largement le continent des affects, des sentiments et des cultures sensibles. Ainsi : doit-on séparer la peur de l’anxiété, ou montrer plutôt qu’on ne saurait mieux les définir que par leur propriété de se métamorphoser l’une dans l’autre dans des moments histo- riques déterminés ? Faut-il vraiment disjoindre la mélan colie antique, les formes anciennes de la tristesse, la dépression contemporaine, ou y déceler une longue généalogie des moments d’abattement dans la vie subjective ? On s’accorde généralement à voir disparaître au cours du xxe siècle les modes traditionnels d’administration de la honte. Sommes- nous bien sûrs cependant que des formes diffuses d’humi- liation n’en ont pas pris le relais ? Qu’ont donc conservé ou perdu de leurs origines sensibles les régimes affectifs qui sont Introduction 9 aujourd’hui les nôtres, dans une société de masse et d’indi- vidus isolés ? L’idée de la fluidité de notre univers émotionnel, la néces- sité de le saisir dans sa dimension généalogique aussi bien que dans le détail de sa quotidienneté la plus ordinaire, à la manière d’une « histoire vue d’en bas » (a history from below), se situent ainsi au cœur même de ce troisième volume. Tout autant que s’y trouve le constat que, d’un début de siècle à l’autre, les émotions ont étendu leur empire, occupé une position de plus en plus centrale dans la vie psychique des individus comme dans l’existence sociale de leurs commu- nautés. Et ce, selon trois modalités essentielles, dont on trou- vera les traces disséminées dans l’ensemble des textes qui suivent : celle du trauma, tant la période historique que couvre ce volume a été celle d’une brutalisation extrême de la part sensible des individus qui la vécurent ; celle du contrôle, lorsque dans le monde politique et dans celui de la produc- tion économique des formes de manipulation émotionnelle inusitées ont vu le jour ; celle d’une autonomisation sensible des individus enfin, quand des contraintes psychologiques anciennes se sont peu à peu effacées pour laisser la place à des formes de ressenti se déplaçant vers d’autres horizons : intimités et compassions inédites mais tout autant indiffé- rences, soucis et peurs jusqu’alors inconnus. Afin uploads/Histoire/ extrait-extrait-0.pdf

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  • Publié le Sep 23, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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