« Les Dames galantes » au fil  des mots TROISIESME DISCOURS. SUR LA BEAUTÉ DE L

« Les Dames galantes » au fil  des mots TROISIESME DISCOURS. SUR LA BEAUTÉ DE LA BELLE JAMBE ET LA VERTU QU’ELLE A.  Entre plusieurs belles beautez que j’ay veu loüer quelques fois parmy nous autres cour- tisans, et autant propres à attirer à l’amour1, c’est qu’on estime fort une belle jambe à2 une belle dame ; dont j’ay veu plusieurs dames en avoir gloire3, et soin de les avoir et entrete- nir belles. Entre autres, j’ay oüy raconter d’une trés-grande princesse de par le monde, que j’ay cogneu4, laquelle aymoit une de ses dames5 par dessus toutes les siennes, et la favorisoit par dessus les autres, seulement parce qu’elle luy tiroit ses chausses6 si bien ten- duës, et en accommodoit la greve7, et mettoit si proprement8 la jarretiere, et mieux que toute autre ; mesme9 luy fit de bons biens. Et par ainsi, sur cette curiosité10 qu’elle avoit d’entretenir sa jambe ainsi belle, faut penser que ce n’estoit pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon11 ou sa robbe, mais pour en faire parade quelquesfois avec de beaux calle- sons de toille d’or et d’argent, ou d’autre estoffe, trés-proprement et mignonnement faits, qu’elle portoit d’ordinaire : car l’on ne se plaist point tant en soy que l’on n’en veuille faire part à d’autres de la veuë et du reste12. Cette dame aussi ne se pouvoit pas excuser en disant que c’estoit pour plaire à son mary, comme la pluspart d’elles le disent, et mesmes les vieilles, quand elles se font si pim- pantes et gorgiases13, encores qu’elles soyent vieilles ; mais cette-cy estoit veufve. Il est vray que du temps de son mary elle faisoit de mesme, et pour ce ne voulut discontinüer par amprés, l’ayant perdu. 1 « et tout aussi capables de susciter l’amour » » 2 « chez » 3 « (attrait) dont j’ai vu de nombreuses dames être fières » 4 (nous écririons que j’ai connue) À en croire la tradition commentariale, il s’agirait de Catherine de Médicis. 5 « une de ses suivantes » 6 « ses bas » — bas-de-chausses est attesté depuis 1538 (Brantôme, Sur les couronnels de l’infanterie de France, parle des advanturiers de guerre de jadis qui « portoient leurs bas de chausses à la ceinture »), la forme elliptique bas depuis 1552. 7 « et en habillait la jambe (ou le mollet) » 8 « convenablement » 9  « surtout » ; à nouveau 7 lignes plus bas « mesmes les vieilles » 10 « étant donné ce soin particulier » 020 11 « juppe de dessous » (jupon « jupe de dessous, généralement en lingerie, portée par les femmes » n’est pas attesté avant 1680, chez Richelet) 12 É. Vaucheret : « De la jouissance » 13 pimpant « qui manifeste de l’élégance, de la fraîcheur, le goût ou le désir de plaire » (TLFi), apparu comme adjectif v. 1500, semble le participe présent d’un verbe pimper « parer, orner, attifer » (voir l’occitan), attesté seulement depuis 1578, mais peut-être est-ce un cas de dérivation inverse : Il francese conosce pimpant (fam.) « azzimato, in ghingheri », se pimpelotter (pop.) « gingillarsi » ; nell’ Oudin sotto pimpant « gentile, ben alla via, apparente », pimpenauder « collepolare » (dime- narsi), se pimplocher « imbellettarsi », pimper « sfoggiare, sbracciare » ; il portoghese a pimpar « fi- gurare, ostentare, godere » : pimper è stato spiegato come variante nasalizzata di piper « rinfron- zolare », ma in pimper può essere entrato *PIMP-, di cui sopra. Angelico Prati, Archivio glottologico italiano, 34, 1942, p. 60. La 1re attestation de pimper se trouve bien dans Les Premieres oevvres amovrevſes de Jean de Boyssières [1555-v.1584], Des Hvmevrs de la Femme : « Ses pas ſont meſurez, ſes leures ſont pimpees », mais Fernand Fleuret et Louis Perceau (1922) comprennent « souriantes ». Boyssières étant Montferrandin, on peut aller voir ce qu’un voisin, Eugène Pelletier de Chambure [1813-1897], pense de la question et qu’il expose dans son Glossaire du Morvan (1878), p. 656 (sous PIMPEURNELLE) : il verse, avec raison me semble-t-il, pimpesouée au dossier et penche pour un radical *PI(M)P- ; mais l’ensemble reste vague. On comprend que la solution choisie soit, en général, une origine onomatopéique, ce qui n’engage pas à grand-chose et ne débouche sur rien. Gorgias « d’une élégance affectée » renforce le trait déjà noté à propos de pimpant : la volonté de se faire remarquer en cherchant à plaire.  J’ay cogneu force belles, honnestes dames et filles, qui sont autant curieuses de14 tenir ainsi precieuses et propres et gentilles leurs belles jambes ; aussi elles en ont raison : car il y gist plus de lasciveté qu’on ne pense. J’ay oüy parler d’une trés-grande dame, du temps du roy François, et trés-belle, laquelle s’estant rompu15 une jambe, et se l’estant faitte rabiller16, elle trouva17 qu’elle n’estoit pas bien, et estoit demeurée toute torte18 ; elle fut si resoluë qu’elle se la fit rompre une autre fois19 au rabilleur20, pour la remettre en son point21, comme auparavant, et la rendre aussi belle et aussi droite. Il y en eut quelqu’une22 qui s’en esbahit fort ; mais à celle23 une autre belle dame fort entenduë24 fit response et luy dit : « A ce que je vois, vous ne sçavez pas quelle vertu25 amoureuse porte en soy une belle jambe. » 14 « qui veillent avec autant de soin à, qui sont si soucieuses de » 15 « brisé, fracturé » 16 « remettre [un membre fracturé] » ‖  habiller et rhabiller doivent leur h à habit (fausse étymologie), alors que le sens de départ est « préparer une bille de bois » (portion de tronc d’arbre débitée à la scie et non équarrie) 17  « s’aperçut, constata » 18 « tordue » ‖ Le lat. torquēre (devenu *torcĕre) avait comme supin tortum et comme participe passé tortus ; ce dernier a abouti à tort/tors, torte/torse : rue Torte, colonne torse. 19 « une seconde fois » (autre pour « second(e) » est un latinisme) 20 (prononcé rabilleux) r(h)abiller c’est « réparer, raccommoder, arranger, remettre en état » (on va voir un peu plus loin une dame qui manœuvre pour que l’homme sur lequel elle a jeté son dévolu la voie rabiller sa jarretiere); 1549 rabilleur « celui qui remet en état », 1573 (TLFi indique 1575 chez Ambroise Paré) r’habilleur « rebouteux » [Jacques Dalechamps, Chirurgie françoise, p. 704 : Aucuns r’habilleurs, du temps d’Albucraſis, oignoyent les tentes {fais- ceaux de charpie} auec du beurre, & les changeoyẽt tous les iours] RHABILLEUR. Nom que l’on donne, dans le Voironnais, aux chirurgiens de campagne qui s’occupent exclusivement de remettre les fractures. On appelle également ainsi toute personne occupée à quelque raccommodage. Expression du XVIe siècle. Dans le manuscrit de la Vénerie du roi Henri III (1584), on voit qu’il y avait un rhabilleur des toiles employées pour la chasse. Hyacinthe Gariel, Bibliothèque historique et littéraire du Dauphiné, IV (1864), p. 214, citant le Dictionnaire de Nicolas Charbot [1645-1722]. « On disait le rhabilleur d’horloges de la même manière que le rhabilleur-rebouteux réparait le corps humain. Et chez le meunier opérait aussi le rhabilleur de meules ! » Robert Bouiller, Le Musée Alice Taverne (2003). Pour le rhabilleur de meules, voir Métiers et savoir-faire de toujours (2005), de Marius Gibelin et Michel Polacco, p. 138. Il y avait aussi, sur la Loire, des charpentiers en bateaux appelés rabilleux de bateaux (Françoise de Person, Bateliers sur la Loire : XVIIe-XVIIIe siècles, 1994.) Dans « Les Ballieux des ordures du monde » (1609), dans Variétés historiques et littéraires, III (1855), d’É. Fournier, le narrateur déplore l’existence de Tant de faineans par la rue… De chicaneurs, de patelins, De trompeurs, de maistre [sic] Gonnins, De r’habilleurs de pucellages, De faiseurs de faux mariages… Évêque de Worcester, puis de Salisbury, John Earle [v.1601-1665] fit paraître en 1628 une Micro-cosmographie (sur le modèle des Caractères de Théophraste, mis à la mode par la traduction de Casaubon en 1592). L’ouvrage devint « Le Vice ridicule et la Vertu loüée, par Monſieur DYMOCKE Anglois » (Louvain, 1671), adaptation très libre de l’original ; on y trouve le portrait-charge d’un operateur (charlatan) : Il loge chez quelque Apoticaire dans les Faux bourgs, qui le fait paſſer pour un habille homme, & avec lequel il partage moitié par moetié [sic]. Il a de l’intelligence avec toutes les ſage femmes de la ville : mais ſur tout les nourrices & les jeunes femmes des marchans qui voudroient bien eſtre groſſes, ſont ſes Idolatres. Il eſt un plus mauvais rabilleux d’os qu’un faiſeur de Dez, & en a plus aveuglez que la petite verolle. Au sens de « celui qui remet les os disloqués » on disait aussi renoueur : ...ilz s’en venoient de l’ostel d’un renoueur nommé Saintpiq, demourant à Loge Fougereuse ou païs de Poictou, de faire habiler ung cheval blecé en aucuns de ses membres (Doc. Poitou G., t.9, uploads/Histoire/ les-dames-galantes-au-fil-des-mots-020.pdf

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  • Publié le Mai 11, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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