Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française Autour de la marche d

Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française Autour de la marche des femmes de Grand-Bassam (décembre 1949) Vincent Joly EXTE INTÉGRAL 1Vincent JOLY  2 Liauzu (Cl.), Colonisation : droit d’inventaire, Paris, Colin, 2004, p. 198 et Cooper (F.), Africa (...)  3 Savineau (D.), La famille en AOF et la condition de la femme. Rapport présenté au Gouverneur génér (...) 2Quelle place les femmes occupent-elles dans les combats de la décolonisation ? Cette simple question soulève un problème historiographique car comme le constate Claude Liauzu, elles ont été les « grandes oubliées » des travaux consacrés à la période coloniale. Cette affirmation doit être en partie nuancée mais, il est vrai que les archives coloniales sont la plupart du temps muettes à leur endroit, ce qui montre au passage que le colonisateur a très largement méconnu leur rôle y compris dans les activités économiques alors qu’elles constituent le socle de la production vivrière2. Significativement, une source aussi importante que le rapport de Denise Moran Savineau sur la famille en AOF et la condition de la femme, rédigé à la demande du gouverneur général de l’AOF (Afrique occidentale française) de Coppet en 1937, est resté très longtemps inconnu en dépit de la foisonnante richesse de son information3. Les Africaines et la décolonisation, une histoire en cours  4 Ajayi (A.) et Crowder (M.) (dir.), History of West Africa, II, Londres, Longman, 1976 ; Coquery-Vi (...)  5 Schachter-Morgenthau (R.), Political parties in French-speaking West Africa, Oxford, Clarendon, 19 (...)  6 Campmas (P.), L’Union Soudanaise RDA, 1946-1960, I, Libreville, UNICONTI, s.d. 3Les grandes synthèses d’histoire de l’Afrique de l’Ouest leur réservent une place plus que modeste et ce constat est confirmé dans les travaux qui portent plus particulièrement sur l’histoire politique de la région4. Ainsi, R. Schachter-Morgenthau ne les évoque pratiquement jamais dans son excellent tableau des forces politiques de l’AOF tout comme J.-R. de Benoist dans son étude publiée pourtant vingt ans après5. Les monographies sur les partis politiques ou sur les territoires n’échappent pas non plus à cet oubli. La thèse que P. Campmas a consacrée à l’Union Soudanaise RDA est quasiment muette sur le rôle des femmes dans cette organisation en dépit de la présence de militante aussi importante qu’Awa Keita6.  7 Knibielher (Y.) et Goutalier (R.), La femme au temps des colonies, Paris, Stock, 1985.  8 Coquery-Vidrovitch (C.), Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle(...)  9 Goerg (O.), « Femmes africaines et politique : les colonisées au féminin en Afrique occidentale », (...)  10 Allman (J.), Geiger (S.) et Nakanyike (M.) (dir.), Women in African colonial histories, Bloomingto (...)  11 Hugon (A.) (dir), Histoire des femmes en situation coloniale. Afrique et Asie, XXesiècle, Paris, (...)  12 Dulucq (S.) et Goerg (O.), « Le fait colonial au miroir des colonisées. Femmes, genre et colonisat (...) 4Cependant, on assiste depuis quelques années à un intérêt nouveau qui se manifeste dans l’historiographie francophone et anglophone. Ce sont d’abord les Européennes installées en Afrique qui ont attiré l’attention. Y. Knibiehler et R. Goutalier ont été les premières en France à publier en 1985 un livre important sur La Femme aux colonies7. Dix ans plus tard, on doit à C. Coquery-Vidrovitch une très ambitieuse synthèse sur Les Africaines qui consacre plusieurs chapitres aux relations entre femmes et politiques8. La revue CLIO a publié un numéro entier sur les femmes d’Afrique dans lequel O. Goerg, s’appuyant sur les exemples sierra- leonais et guinéens, aborde la question des rapports à la politique dans une stimulante perspective comparatiste9. En 2002, J. Allman, S. Geiger et N. Musisi ont dirigé un très riche ouvrage collectif consacré à la rencontre entre les Africaines et les colonialismes européens qui aborde dans plusieurs contributions la place et le rôle des femmes dans la résistance anti-coloniale10. Plus récemment, A. Hugon a présenté aux éditions Karthala la publication des actes d’une table ronde organisée à Toulouse en septembre 2002 qui permet de faire le point sur les femmes en situation coloniale11. Dans ce dernier et remarquable travail, S. Dulucq et O. Goerg dressant un bilan des recherches francophones en histoire de l’Afrique subsaharienne depuis 1950, montrent que l’histoire de la famille, de la démographie ou encore l’histoire culturelle au sens large connaissent un véritable renouvellement, ce qui n’est pas le cas de l’histoire politique12.  13 Ageron (Ch.-R.), La décolonisation française, Paris, Colin, 1991 ; Michel (M.), Décolonisations et (...)  14 Stora (B.), « Mémoires comparées : femmes françaises, femmes algériennes. Les écrits de femmes, la (...)  15 Taleb Ibrahimi (K.), « Les Algériennes et la guerre de libération nationale. L’émergence des femme (...)  16 O’Hanlon (R.), « Gender in the British Empire », dans Brown (J. M.) et Louis (W. R.) (dir.), The O (...)  17 Ba Konaré (A.), Dictionnaire de femmes célèbres du Mali (des temps mythico-légendaires au 26 mars (...) 5Il est frappant de constater combien les femmes sont absentes de la littérature qui traite de la décolonisation qu’elle soit militante ou scientifique. Les synthèses sur les derniers moments de la domination coloniale n’évoquent jamais ou presque le rôle des femmes13. Dans les actes du colloque organisé à Aix-en-Provence en 1993 sur les décolonisations européennes, une seule communication, celle de B. Stora sur l’Algérie, aborde cette question14. La guerre d’Algérie est d’ailleurs l’épisode dans lequel la trace des femmes est la plus visible dans l’historiographie francophone récente15. Même si les historiens et les historiennes anglophones se sont beaucoup plus penchés sur ces questions, il existe clairement dans ce domaine un retard important du côté de l’Afrique, notamment par rapport à l’Asie16. Il est ainsi très difficile de retrouver la trace des militantes. Aussi faut-il saluer le précieux Dictionnaire des femmes célèbres du Mali, publié par l’historienne malienne A. Ba Konaré il y a une dizaine d’années, qui offre un véritable outil de travail qu’on aimerait voir généralisé au reste de l’Afrique de l’Ouest17.  18 Callaway (H.), Gender, culture and Empire. European women in colonial Nigeria, Londres, MacMillan, (...)  19 Conklin (A.), « Redefining “Frenchness”. Citizenship, race regeneration and imperial motherhood in (...)  20 Cooper (F.), Decolonization and African society. The labor question in British and French Africa, (...) 6Les travaux des historiens anglo-saxons sur la question du genre dans les empires coloniaux sont plus abondants que du côté français. Les travaux pionniers d’H. Callaway sur les femmes britanniques au Nigeria ont ouvert la voie à une réflexion sur les relations entre femmes et colonialisme18. A. Conklin sur l’AOF, N. Rose Hunt sur le Congo belge, et plus récemment E. Schmidt sur la Guinée offrent des études particulièrement riches sur des thématiques encore peu fouillées chez nous19. F. Cooper dans son excellente étude d’histoire sociale comparée entre les colonies françaises et britanniques d’Afrique, est le premier à accorder une place importante aux femmes dans le travail et dans les conflits sociaux dans la période de l’après-guerre20.  21 Bayart (J.-F.), L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989. 7Les quelques réflexions qui suivent, visent seulement à s’interroger sur la place des femmes dans le processus de décolonisation en AOF telle qu’on peut l’appréhender à l’occasion d’un événement comme la marche des femmes de Grand-Bassam en Côte-d’Ivoire en décembre 1949. Au- delà, on peut aussi se demander si ce mode d’intervention constitue une rupture non seulement dans l’histoire de la décolonisation mais aussi dans un ordre social que par commodité on appelle « traditionnel » et dans lequel les femmes constituent avec les jeunes ce que J.-F. Bayart définit comme les deux catégories « par excellence subordonnées21 ». Colonisation et condition des femmes indigènes  22 Roberts (R.), « The coercion of free market : cotton, peasants and the colonial state in French So (...) 8La période coloniale présente un paradoxe, car elle apparaît d’un côté comme un moment de domination complète sur les sociétés africaines, mais aussi comme un moment d’émancipation relative pour les Africaines. Certes, il ne faut pas oublier que les femmes sont soumises au travail forcé jusqu’en 1937 et que cette émancipation n’est pas nécessairement le fruit d’une politique voulue par le colonisateur. Toutefois, en se généralisant, l’économie coloniale a transformé la répartition sexuelle des tâches et pas uniquement dans les villes. Ainsi, l’introduction du fil de coton importé dans les campagnes soudanaises après la Première Guerre mondiale a permis aux femmes de jouer un rôle nouveau, plus indépendant, dans l’artisanat textile local22.  23 Sœur Marie-André du Sacré-Cœur, La femme noire en Afrique occidentale, Paris, Payot, 1939, p. 262.  24 Goutalier (R.), « Les états généraux du féminisme à l’Exposition coloniale, 30-31 mai 1931 », Revu (...) 9Malgré sa volonté de ne pas bousculer l’ordre social existant, le colonisateur intervient précocement d’abord dans les relations matrimoniales. Déjà en 1920, le gouverneur de Haute-Volta, Hesling, avait dénoncé le sort des jeunes filles « reléguées au rang des animaux dont le maître dispose à son gré par le fait de son seul pouvoir23 ». Derrière uploads/Histoire/ femmes-et-decolonisation-en-afrique-occidentale-francaise.pdf

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  • Publié le Apv 13, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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