1 Commentaire corrigé d’un texte de Pascal Nous ne nous tenons jamais au temps
1 Commentaire corrigé d’un texte de Pascal Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige ; et, s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. Blaise PASCAL 1. L’idée principale de ce texte est une thèse extrêmement pessimiste : l’être humain est incapable d’être heureux. Cette thèse, qui n’apparaît explicitement qu’à la fin de l’extrait, est argumentée de la manière suivante. Tout d’abord, Pascal expose l’argument général : nous autres êtres humains ne vivons jamais vraiment dans le présent. Nous laissons notre pensée se projeter vers des temps qui n’existent plus ou pas encore : le passé et l’avenir. Ensuite, Pascal explique (et justifie) cet argument. Si nous nous détournons du présent, c’est pour deux raisons. La première, c’est qu’il nous « blesse » habituellement. La seconde, c’est que nous sommes incapables de profiter vraiment des fois où le présent nous est agréable : nous voyons que ce présent devient du passé et nous essayons de le prolonger dans l’avenir. Pour terminer, Pascal résume son argumentation en expliquant que toutes nos pensées sont tournées vers l’avenir. Si nous pensons au présent – et même au passé – c’est dans le but de réaliser un objectif à venir. Il résulte de tout cela que nous ne pouvons pas être heureux, puisque toutes nos actions sont tournées vers un bonheur futur, et que nous ne profitons jamais du moment présent. Le texte se termine donc par la thèse que Pascal voulait démontrer. Après avoir présenté l’idée principale et l’argumentation de l’auteur de manière globale, tâchons maintenant de comprendre en profondeur trois passages particulièrement importants ou difficiles. Comme nous allons le voir, ces trois passages correspondent à chaque fois à une étape de l’argumentation. 2. Le premier passage que nous allons expliquer (« si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres ») est au début du texte. Il s’inscrit dans l’argument général exposé par Pascal pour justifier sa thèse. Cet argument consiste à dire que l’homme ne vit pas dans le présent. Or, il s’agit là d’une « imprudence ». Cette idée peut sembler étrange, car la prudence est généralement définie comme le fait de penser à l’avenir au lieu de jouir 2 du moment présent sans penser aux conséquences. En quoi le fait de ne pas vivre dans le présent est-il imprudent ? Pour comprendre cette idée, il nous faut à la fois nous référer à la fin du texte et à la suite de la phrase. D’abord, comme nous l’avons vu, la dernière phrase du texte explique que l’homme est incapable d’être heureux parce qu’il se projette dans l’avenir au lieu de profiter du moment présent. L’imprudence consiste donc ici à agir contrairement à son objectif (qui est d’être heureux). Par ailleurs, la suite de la phrase est éclairante. Si nous sommes imprudents, c’est parce que « nous errons dans des temps qui ne sont point nôtres ». Dans le verbe « errer », on retrouve la même racine que dans « erreur ». Ici, « errer », c’est être perdu, égaré. Nous cherchons le bonheur là où il n’est pas. Par la pensée, nous fuyons le présent et nous nous projetons vers le passé et vers l’avenir. Reste à comprendre en quoi ces temps « ne sont point nôtres ». Cette expression peut s’expliquer de trois manières. On peut d’abord dire que nous – qui existons – n’avons pas à nous projeter dans des temps qui n’existent plus ou qui n’existent pas encore. On peut également faire remarquer que le présent est le seul temps où nous puissions agir. Nous ne pouvons pas changer le passé. Quant à l’avenir, nous avons une certaine influence sur lui, sans doute, mais nous n’agissons pas directement sur lui. Nous agissons sur des choses présentes, et cette action aura certaines conséquences dans l’avenir. Enfin, le passé et l’avenir sont en grande partie inconnus de nous. Nous avons oublié une bonne part de notre passé et le souvenir que nous en avons est souvent déformé par nos désirs et nos regrets. Quant à l’avenir, il ne se passera pas exactement comme nous l’avons prévu. Peut-être même sera-t-il complètement différent. Comme le dit Pascal, un peu plus loin, il est « un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver ». Nous échafaudons des projets pour l’avenir alors que nous serons peut-être morts avant de pouvoir les réaliser. Si le premier alinéa du texte parle autant du passé que de l’avenir, c’est surtout sur ce dernier qu’insistent les dernières lignes : « le seul avenir est notre fin ». Pour comprendre cette expression, revenons en arrière. Un peu plus haut, Pascal a expliqué que nous souffrons du fait que le présent est éphémère (si du moins il est agréable). C’est pourquoi nous nous efforçons de le prolonger autant que possible. Et pour ce faire, nous allons agir dans le présent, en nous basant sur notre expérience du passé. De cette manière, notre action présente et notre connaissance du passé sont un moyen permettant de profiter à l’avenir de moments agréables. L’avenir est notre fin, au sens où il est notre but, notre objectif : c’est en fonction d’un plaisir à venir que nous agissons, au lieu de profiter du plaisir présent. Nos actions ne sont pas à elles-mêmes leur propre but : elles servent à préparer d’autres actions, qui elles-mêmes… et ainsi de suite à l’infini. La conséquence logique de cette manière de faire, c’est que nous sommes toujours tendus vers ce qui n’existe pas encore : « Ainsi, nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ». L’espoir peut être une vertu s’il nous incite à attendre patiemment un bonheur réel, ou à agir pour atteindre ce bonheur. Mais si nous passons notre temps à espérer, sans jamais tourner notre conscience vers le moment présent – le seul qui existe – alors notre objectif ne sera jamais réalisé. Nous ne vivons pas, c’est-à-dire que notre conscience n’est pas tournée vers ce que nous sommes en train de vivre : elle est focalisée sur une vie imaginaire. Et c’est pourquoi Pascal conclut son texte en affirmant qu’il est inévitable que nous ne soyons jamais heureux. Le seul bonheur que nous pouvons connaître, c’est un bonheur illusoire : celui que nous imaginons dans un avenir qui ne viendra jamais. 3 3. Ainsi, comme on vient de le voir, Pascal semble considérer que le bonheur est inaccessible à l’être humain. Même si nous savons que nous nous rendons malheureux, même si nous avons conscience qu’il nous faudrait profiter du temps présent, nous ne pouvons pas nous empêcher de faire notre propre malheur. Cela semble lié à la nature de nos désirs et à la nature du temps. Nos désirs cherchent à posséder ce qui nous fait plaisir, alors que le temps, lui, est un écoulement perpétuel. Si nous vivons un moment agréable, nous désirons le capturer, le posséder comme une chose matérielle pour en jouir autant que nous voudrons. Mais le moment présent devient immédiatement du passé. Comme dit Pascal : « nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompts ». Nous voudrions figer le temps, mais cela est impossible – d’où nos efforts pour prolonger indéfiniment nos moments agréables. Par exemple, nous allons travailler pour gagner davantage d’argent, de manière à pouvoir partir plus longtemps en vacances. Mais pendant cette période de travail, notre esprit n’est pas concentré sur ce qu’il vit : il se projette vers les vacances. Et quand les vacances arrivent, on s’aperçoit que chaque jour file à toute allure et on se met déjà à penser à la fin de cette période de « bonheur », en se disant qu’on sera plus détendu aux prochaines vacances et qu’on pourra davantage les apprécier. On peut cependant se demander si l’être humain est vraiment uploads/Histoire/ commentaire-corrige-texte-de-pascal.pdf
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- Publié le Mai 23, 2022
- Catégorie History / Histoire
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