E ´ crire l’histoire d’une discipline a ` identite ´ souple La protohistoire a

E ´ crire l’histoire d’une discipline a ` identite ´ souple La protohistoire a ` partir de la France de l’entre-deux-guerres Philippe BOISSINOT UNE SYNTHE ` SE HISTORIOGRAPHIQUE QUI N’EN EST PAS UNE Quiconque tenterait d’entreprendre l’histoire de la Protohistoire ne pourrait que constater la singularite ´ de sa ta ˆ che. En se cherchant des pre ´ de ´ - cesseurs, il ne trouverait gue ` re que Raymond Lantier (1886-1980) qui fu ˆ t une figure incontournable de l’arche ´ ologie franc ¸ aise avant le milieu du XXe sie ` cle, occupant des postes de responsabilite ´ dans la recherche et l’e ´ dition arche ´ o- logique 1. Mais la lecture de son article sur « Un sie ` cle d’arche ´ ologie proto- historique » 2, publie ´ a ` l’occasion du centenaire de l’Association franc ¸ aise d’arche ´ ologie ce ´ le ´ bre ´ a ` Paris en 1934, et le seul sur cette question, risque fort de le de ´ cevoir. Examinons pourquoi. Le savant n’est pas en cause. Conservateur adjoint du Muse ´ e des anti- quite ´ s nationales en 1926, avant d’en occuper la direction 7 ans plus tard pour succe ´ der a ` Salomon Reinach, tout en donnant des cours d’Antiquite ´ s natio- nales et de Pre ´ histoire a ` l’E ´ cole du Louvre, il est parfaitement renseigne ´ pour e ´ voquer « cette pe ´ riode » – les guillemets sont la ` pour souligner les proble ` mes sur lesquels nous reviendrons. Lantier est un chercheur laborieux, qui a fait un peu de terrain, notamment en Espagne en collaboration avec l’abbe ´ H. Breuil, avec un gou ˆ t prononce ´ pour les inventaires ; il est surtout familier des ta ˆ ches administratives, exerce ´ es un moment en Tunisie apre ` s l’expe ´ rience ibe ´ rique, avec la faculte ´ de synthe ` se de celui qui a tout lu, qui lui permet de passer sans artifices du Pale ´ olithique au premier Moyen A ˆ ge. C’est encore un homme de devoir, a ` qui l’on doit, avec J. Marx et M. Mauss, la publication des œuvres posthumes de son maıˆtre Henri Hubert 3, un des rares « protohistoriens » de l’entre-deux-guerres, et plus tard, la poursuite des re ´ pertoires plus classiques 1. Turcan 1994 ; Gran-Aymerich 2001. 2. Lantier 1935. 3. Brun 2000 ; Olivier 2000. ecrire_passe_10127 - 20.5.2010 - 09:33 - page 333 commence ´ s par E. Espe ´ randieu sur les bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine. On peut supposer que l’amitie ´ l’a e ´ galement conduit, dans cet article du congre ` s de Paris, a ` prendre la suite du propos de Breuil, pale ´ olithicien au caracte ` re bien trempe ´ qui ne voulait pas perdre son temps dans l’e ´ vocation de temps ne ´ olithiques de ´ pourvus (ou presque) d’expressions artistiques 4. La Protohistoire (franc ¸ aise), plus exactement l’arche ´ologie protohisto- rique, e ´ voque ´ e par Lantier en 1934 commence en effet de ` s le Ne ´ olithique ; et cela, sans aucune justification, l’auteur ne s’embarrassant gue ` re de discussions terminologiques. Ce choix se trouve en partie explique ´ dans un expose ´ ante ´ - rieur fait au Centre International de Synthe `se ou ` il a e ´ te ´ question d’ance ˆ tres directs a ` propos des populations ne ´ olithiques, proximite ´ qui n’est pas celle des hommes du Pale ´ olithique 5. De manie ` re plus attendue, la Protohistoire s’ache ` ve avec la conque ˆ te romaine, laquelle n’est jamais ve ´ ritablement aborde ´ e, me ˆ me dans l’article suivant sur la pe ´ riode gallo-romaine 6, ou ` ne compte que ce qui est vraiment « utile » au chercheur. De ´ crire un sie ` cle de recherches, c’est avant tout faire le bilan des de ´ couvertes qui inte ´ ressent cette pe ´ riode (Ne ´ olithique et A ˆ ges des me ´ taux) dans le cadre e ´ trique ´ du territoire national, se livrer a ` la petite comptabilite ´ de ce qui a e ´ te ´ fait et de ce qui reste a ` faire. Chaque phe ´ nome ` ne, qu’il soit lie ´ a ` des monuments ou des mobiliers particuliers, y attend son illustration dans ce qui n’est rien d’autre qu’un re ´ ceptacle, ou ` tout peut e ˆ tre mis en ordre. Apre ` s tout, que pouvait-on attendre d’autre de la part d’un administrateur qui connaıˆt bien ses dossiers, mais qui manque singulie ` rement de hauteur de vue, s’attachant surtout a ` reconnaıˆtre la part de ´ volue aux organismes officiels dans telle ou telle trou- vaille, pour mieux le ´ gife ´ rer par la suite ? Finalement, il ne s’agit de rien d’autre ici que de trancher dans le vaste domaine des Antiquite ´ s nationales qui posse ` de depuis 1905, avec Camille Jullian, sa chaire au Colle ` ge de France ainsi que quelques enseignements a ` l’E ´ cole du Louvre et dans trois universite ´ s de province (Toulouse, Poitiers, Montpellier). Son histoire avait de ´ ja ` e ´ te ´ e ´ crite par S. Reinach en 1898, et republie ´ e dans le recueil Amalthe ´e 7, quelques anne ´ es avant le congre ` s de Paris ; elle venait d’e ˆ tre comple ´ te ´ e par A. Grenier dans le cinquie ` me volume du Manuel d’arche ´ologie initie ´ par J. De ´ chelette, en se focalisant sur la pe ´ riode gallo-romaine 8. Me ˆ me si la le ´ gitimite ´ de leurs entreprises s’exprime e ´ galement avec les ciseaux de la reconnaissance, de l’utilitaire et du souhaitable, des efforts de compre ´ hension historique y sont sensibles : ainsi, par exemple, le de ´ veloppement d’une arche ´ ologie nationale est mis en relation avec l’acme ´ du 334 Pre ´histoire et protohistoire 4. Breuil 1935. 5. Lantier 1931. 6. Blanchet 1935. 7. Reinach 1898 et 1930-1931. 8. Grenier 1931. ecrire_passe_10127 - 20.5.2010 - 09:33 - page 334 patriotisme au moment de la Re ´ volution, en re ´ sonance avec le mouvement romantique qui se passionne pour les Barbares. Reinach qui tente une His- toire de l’arche ´ologie de la Gaule accorde une place notable a ` la Pre ´ histoire et a ` Boucher de Perthes, lequel « conserve l’honneur d’e ˆ tre le pe ` re d’une science nouvelle ». Pour Grenier, cette discipline n’est cite ´ e que pour vanter sa doc- trine unifie ´ e, son programme ge ´ ne ´ ral, son organisation (socie ´ te ´ s, congre ` s, me ´ thodes), l’influence de ses maıˆtres, l’exact inverse de ce qu’est l’arche ´ ologie gallo-romaine de l’entre-deux-guerres. La contribution de l’un de ces maıˆtres 9 au congre ` s de Paris dit a ` peu pre ` s la me ˆ me chose, en e ´ voquant les de ´ couvertes de ´ cisives et leurs manie ` res d’engendrer de nouvelles conceptions. A ` la diffe ´ - rence de la Pre ´ histoire, qui est a ` la fois une pe ´ riode et une doctrine, la Protohistoire ne gagne rien de cette scission du bloc « Antiquite ´ s nationales ». On le voit bien dans l’article de Lantier ou ` aucun concept, aucune re ´ flexion me ´ thodologique n’e ´ merge de cette « amputation ». La Protohistoire de Lan- tier – bien que le terme exact ne soit pas employe ´ – n’est autre que la Pre ´ histoire re ´ cente de Breuil, un reste en quelque sorte... Le grand absent des articles du congre ` s est certainement Joseph De ´ che- lette (1862-1914). Bien qu’il n’ait gue ` re affiche ´ le qualificatif de « protohisto- rique », lui pre ´ fe ´ rant celui plus de ´ suet de « celtique », chacun reconnaıˆtra de nos jours sa contribution me ´ thodologique essentielle aux pe ´ riodes qui nous inte ´ ressent. R. Lantier ne le cite pourtant qu’a ` propos du Ne ´ olithique pour signaler ses classements de ´ passe ´ s. Il n’a pas vu les me ´ thodes typologiques, comparatives et cartographiques exemplaires de l’arche ´ ologue roannais, et n’e ´ tait peut-e ˆ tre pas convaincu par la ne ´ cessite ´ d’un cadre extra-national pour la compre ´ hension des temps protohistoriques. Sans doute aussi, en homme ordonne ´ , n’a-t-il pas appre ´ cie ´ que l’extension de cette pe ´ riode puisse e ˆ tre fluctuante, au gre ´ des concordances chronologiques avec un Orient mieux date ´ 10. De ´ cide ´ ment, uploads/Histoire/ 8-boissinot-article5.pdf

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  • Publié le Jui 16, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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