Les deux humanismes par Edgar Morin DANS la civilisation occidentale, l’humanis

Les deux humanismes par Edgar Morin DANS la civilisation occidentale, l’humanisme a pris deux visages antinomiques. Le premier est celui de la quasi-divinisation de l’humain, voué à la maîtrise de la nature. C’est en fait une religion de l’homme se substituant au dieu déchu. Il est l’expression des vertus d’Homo sapiens/faber/œconomicus. L’homme, dans ce sens, est mesure de toute chose, source de toute valeur, but de l’évolution. Il se pose comme sujet du monde et, comme celui-ci est pour lui un monde-objet constitué d’objets, il se veut souverain de l’univers, doté d’un droit illimité sur toute chose, dont le droit illimité à la manipulation(4). C’est dans le mythe de sa raison (Homo sapiens), dans les pouvoirs de sa technique et dans le monopole de la subjectivité qu’il fonde la légitimité absolue de son anthropocentrisme. C’est cette face de l’humanisme qui doit disparaître. Il faut cesser d’exalter l’image barbare, mutilante, imbécile, de l’homme autarcique surnaturel, centre du monde, but de l’évolution, maître de la Nature. (3) L’autre humanisme a été formulé par Montaigne (4)en deux phrases : « Je reconnais en tout homme mon compatriote » ; « On appelle barbares les peuples d’autres civilisations ». Montaigne a pratiqué son humanisme dans la reconnaissance de la pleine humanité des indigènes d’Amérique cruellement conquis et asservis et dans la critique de leurs asservisseurs. Cet humanisme s’est enrichi chez Montesquieu d’une composante éthique, dans le principe que, s’il faut décider entre sa patrie et l’humanité, il faut choisir l’humanité(5). Enfin, cet humanisme devient militant chez les philosophes du XVIIIe siècle et il trouve son expression universaliste dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cet humanisme reconnaît dans son principe la pleine qualité humaine à chaque être de notre espèce ; il reconnaît dans tout être humain une identité commune au-delà des différences ; il sous-entend le principe défini par Emmanuel Kant : appliquer à autrui ce que nous souhaitons pour nous-mêmes. Il sous-entend le principe posé par Friedrich Hegel : tout être humain a besoin d’être reconnu dans sa pleine humanité par autrui. Il demande le respect pour ce qu’on appelle la « dignité » de chaque humain, c’est-à-dire de ne pas lui faire subir de traitement indigne. Cet humanisme sera plus tard nourri par une sève de fraternité et d’amour, vertu évangélique laïcisée. Bien que concernant en principe tous les êtres humains, cet humanisme a été monopolisé par l’homme blanc, adulte, occidental(6). Ont été exclus primitifs, arriérés, infantiles, qui n’ont pas accédé à la dignité d’Homo sapiens. Ceux-là furent traités en objets et asservis, jusqu’à l’époque récente des décolonisations. Nous n’avons pas besoin d’un nouvel humanisme, nous avons besoin d’un humanisme ressourcé et régénéré.(7) L’humanisme portait en lui l’idée de progrès et était porté par elle. Le progrès, depuis Condorcet, était considéré comme Loi à laquelle obéirait l’histoire humaine(8). Il semblait que raison, démocratie, progrès scientifique, progrès technique, progrès économique, progrès moral étaient inséparables. Cette croyance, née en Occident, s’y était maintenue et s’était même propagée dans le monde en dépit des terribles démentis apportés par les totalitarismes et les guerres mondiales du XXe siècle. En 1960, l’Ouest promettait un futur harmonieux, l’Est un futur radieux. Ces deux futurs se sont effondrés peu avant la fin du XXe siècle, remplacés par incertitudes et angoisses, et la foi en le progrès doit être non plus dans un futur de promesses, mais dans un futur de possibilités. Dans ce sens, l’humanisme régénéré se propose la poursuite de l’hominisation en humanisation en y introduisant les impératifs anthropo-éthiques. Let us make man (« Faisons l’homme »). L’humanisme régénéré est essentiellement un humanisme planétaire. L’humanisme antérieur portait en lui un universalisme potentiel. Mais il n’y avait pas cette interdépendance concrète entre tous les humains, devenue communauté de destin, qu’a créée et qu’accroît sans cesse la mondialisation. Comme l’humanité est désormais menacée de périls mortels (multiplication des armes nucléaires et des guerres civiles internationalisées, déchaînement de fanatismes, dégradation accélérée de la biosphère, crises et dérèglements d’une économie dominée par une spéculation financière incontrôlée)(10), la vie de l’espèce humaine et, inséparablement, celle de la biosphère deviennent une valeur primaire, un impératif prioritaire. Nous devons comprendre alors que si nous voulons que l’humanité puisse survive, elle doit se métamorphoser. Karl Jaspers l’avait dit peu après la seconde guerre mondiale : « Si l’humanité veut continuer à vivre, elle doit changer. »(11a) Or, aujourd’hui, le problème primaire de la vie est devenu la priorité d’une nouvelle conscience, qui appelle une métamorphose. L’humanisme régénéré puise consciemment aux sources anthropologiques de l’éthique. Ces sources, présentes dans toute société humaine, sont la solidarité et la responsabilité. La solidarité à l’égard de sa communauté suscite la responsabilité, et la responsabilité suscite la solidarité. Ces sources demeurent présentes, mais en partie taries et asséchées dans notre civilisation, sous l’effet de l’individualisme, de la domination du profit, de la bureaucratisation généralisée.(11b) L’humanisme doit montrer la nécessité de revitaliser solidarité et responsabilité pour la poursuite de l’hominisation en humanisation, c’est-à-dire pour tout progrès humain.(9) Mais alors que le couple solidarité-responsabilité demeure limité à des communautés restreintes ou closes (famille, patrie), déjà l’humanisme d’un Montaigne et d’un Montesquieu leur donnait un sens humain universel. Toutefois, cet universalisme n’a pu devenir concret qu’avec la communauté de destin planétaire. L’humanisme devenu planétaire demande donc que le couple solidarité-responsabilité, sans cesser de s’exercer dans les communautés existantes, soit amplifié à la communauté de destin planétaire.(11c) Plus encore : l’humanisme doit prendre consciemment en charge la grande aspiration qui traverse toute l’histoire humaine, d’autant plus que les communautés tendent à étouffer les individus, que l’individualisme tend à désintégrer les communautés : épanouir sa personne au sein d’une communauté ; épanouir le Je dans l’épanouissement du Nous. Enfin, la conscience planétaire arrive d’elle-même à l’idée de Terre-patrie(12), comme je l’ai écrit dans le livre du même nom: « Nous voici, humains minuscules, sur la minuscule pellicule de vie entourant la minuscule planète perdue dans le gigantissime univers. Cette planète est pourtant un monde, le nôtre. Cette planète est en même temps notre maison et notre jardin. Nous découvrons les secrets de notre arbre généalogique et de notre carte d’identité terrienne, qui nous font reconnaître notre matrie terrestre au moment où les sociétés éparses sur le globe sont devenues interdépendantes et où se joue collectivement le destin de l’humanité. » La prise de conscience de la communauté de destin terrestre doit être l’événement clé de notre siècle. Nous sommes solidaires dans et de cette planète. Nous sommes des êtres anthropo-bio-physiques, fils de cette planète. C’est notre Terre-patrie. L’accomplissement de l’humanité en Humanité, la nouvelle communauté englobante de la Terre- patrie, la métamorphose de l’humanité sont les faces de la nouvelle aventure humaine souhaitable et possible. Certes l’accumulation des périls, la course du vaisseau spatial Terre, dont les moteurs sont les développements incontrôlés de la science, de la technique, de l’économie, rendent l’issue improbable. Mais improbabilité n’est pas impossibilité. Certes, il semble impossible de changer de voie. Mais toutes les voies nouvelles qu’a connues l’histoire humaine ont été inattendues, filles de déviances qui ont pu s’enraciner, devenir tendances et forces historiques.(13) Tant de transformations semblent nécessaires simultanément, tant de réformes économiques, sociales, personnelles, éthiques. 1. Le texte est plutôt a. un essai éthique et philosophique b. un article polémique c. un texte satirique d. un manifeste politique 2. quel est le sous-titre qui lui convient le mieux ? a. pour une meilleure compréhension du transhumanisme b. pour une révolution sociale et économique c. pour une solidarité et une responsabilité universelles d. pour en finir avec l’humanisme des anciens 3. Vrai ou Faux Edgar Morin est d’accord avec l’humanisme qui place l’homme au centre et aux commandes du monde. Faux. Il faut éliminer l’image de l’homme qui est le centre du monde. 4. comment se définissait l’humanisme de Montaigne ? Il se définissait l’humanisme : l'homme est le centre de l'univers, il est une créature privilégiée, dotée de la raison et de l'intelligence, et conscient de sa supériorité sur les autres créatures L’humanisme est celui qui ne différent pas les peuples 5. Montesquieu était-il plutôt en accord ou plutôt en désaccord avec l’humanisme de Montaigne ? Justifiez votre réponse par une citation Montesquieu était plutôt en accord avec l’humanisme de Montaigne. Justification : Cet humanisme s’est enrichi chez Montesquieu d’une composante éthique, dans le principe que, s’il faut décider entre sa patrie et l’humanité, il faut choisir l’humanité 6. soulignez la proposition correcte a. l’humanisme qui a inspiré la déclaration de 1789 établissait des différences entre les hommes b. l’humanisme qui a inspiré la déclaration de 1789 a dans la réalité été réservé aux hommes blancs c. l’humanisme des Lumières s’adressait explicitement aux non-blancs et aux enfants 7. citez la phrase qui montre qu’Edgar Morin ne souhaite pas inventer un humanisme mais retourner aux origines « Nous n’avons pas besoin d’un nouvel humanisme, nous avons besoin d’un humanisme ressourcé et régénéré. » 8. quelle importante notion Condorcet a-t-il associé à l’humanisme ? C’est le progrès 9. quelle est le rapport entre la uploads/Histoire/ les-deux-humanismes.pdf

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  • Publié le Jui 08, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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