C omme l’on sait, l’un des apports de la thèse de Daniel istria est d’avoir éta
C omme l’on sait, l’un des apports de la thèse de Daniel istria est d’avoir établi que, du début du Viiie siècle au plus tard jusqu’au début des années 1090, les quatre ou cinq diocèses antiques entre lesquels était jusqu’alors divisée la Corse avaient été réunis par la Papauté en un seul diocèse « de Corse » ou «de l’île de Corse»1. Cette avancée dans la connaissance de l’histoire religieuse de notre île n’a pas forcément séduit les tenants de la version jusque-là admise d’une conti- nuité sans faille (ou peu s’en faut) entre Antiquité et Moyen-Age. Ainsi olivier Jehasse a-t-il plaidé pour exclure le Viiie siècle de la période du diocèse unique, sans cependant avancer d’arguments probants2. D’autres s’accrochent aux chartes fausses de Montecristo et aux évêques d’Accia, Aléria et Mariana qu’elles citent pour le xe siècle3. or, voici que de l’eau aurait pu être apportée à leurs moulins par l’étude de Corrado zedda intitulée Creazione e gestione dello spazio tir- renico pontificio (fine xi – inizio xii secolo)4. en effet, un passage de cette étude a priori très solidement argumentée attribuerait le rétablis- sement de plusieurs évêchés dans l’île au plus tard au pontificat BsshnC n° 754-755 (2016) 59 ___________ 1 J’en ai utilisé la version imprimée : istriA D., Pouvoirs et fortifications dans le nord de la Corse, xie-xive siècle, Ajaccio, editions AlAin PiAzzolA, 2005, p. 90-102. l’auteur incli- nait alors à placer le siège du diocèse unique à Mariana. Aujourd’hui, il pencherait plutôt pour Aléria, sans exclure un scénario plus complexe avec aller-retour(s) entre les deux sièges. 2 Cf. Arrighi Jean-Marie et JehAsse o., Histoire de la Corse et des Corses, Paris-Ajaccio, Perrin et ColonnA editions, 2008, p. 131, éclairée par la p. 125. Cela étant, o. Jehasse admet un diocèse unique plus tardif : cf. p.164-165. 3 la Corse religieuse que ces faux dépeignent est en fait celle du moment de leur fa- brication, soit le xiiie siècle. 4 Publiée dans CAnCellieri Jean-André (dir.), Tribune des chercheurs. Histoire et archéo- logie médiévales […]. Actes du colloque de Bastia, 24 juin 2011, éDition De lA sshnC, CHD nouvelle collection, n° 4, p. 13-38. LES ÉVÊQUES DE CORSE AU XIE SIÈCLE OU DE LA FRAGILITÉ DU PROGRÈS DE LA CONNAISSANCE HISTORIQUE AlAin Venturini Directeur des Archives de l’Aveyron, ancien directeur des Archives de la Corse-du-Sud (2002-2013). d’Alexandre ii (1061-1073), puisque ce pape aurait adressé en 1063 une unique lettre à plusieurs évêques corses (episcopis Corsice). Ce qui remettrait partiellement en cause les conclusions de D. istria5. l’affirma- tion de C. zedda a commencé à faire école : elle a ainsi été reprise en toute confiance par Damien Broc dans la thèse qu’il a récemment sou- tenue auprès de l’université de Corte6. Bien plus, zedda lui-même en- visage désormais que la réorganisation de l’église de Corse ait pu être entreprise par le saint-siège dès les premières décennies du xie siècle, après la défaite de Mujâhid-al-Amiri7. Malheureusement, tout cela ne repose que sur un véritable passage à vide de Corrado zedda. un égarement fort surprenant chez un cher- cheur dont j’ai pu apprécier par la consultation de plusieurs autres de ses travaux la vaste et précise érudition8, mais un égarement durable qu’il convient de mettre en lumière pour en annuler les effets nocifs. l’affaire se présente d’ailleurs comme un véritable drame classique, res- pectant les trois unités de lieu (doublement : sur le plan historique, la Corse du xie siècle ; sur le plan rédactionnel, tout se situant à la page 20, notes 18 et 19 de l’étude citée), de temps (le pontificat d’Alexandre ii) et d’action (la correspondance active du pontife). Voyons l’action. en fait, elle repose sur deux lettres d’Alexandre ii, toutes deux de l’année 1063. Acte I : la première de ces lettres nous livrerait le nom d’un évêque de Corse, un certain landolfo. J’en donne en pièce justificative n°1 le texte d’après l’édition de l’abbé Migne9, elle-même reprise de celle de BsshnC n° 754-755 (2016) Les évêques de Corse au xie siècle ou de la fragilité du progrès de la connaissance historique AlAin Venturini 60 ___________ 5 Certes, comme la tentative citée à la note 2, cela ne touche pas le « cœur » de la pé- riode délimitée par D. istriA, soit les ixe-xe siècles, mais, à force de chercher à ro- gner par les deux bouts… 6 BroC D., Dynamiques politiques, économiques et sociales dans la Corse médiévale : le Diocèse de Nebbio (xie siècle - c. 1540). histoire. université Pascal Paoli, 2014. Fran- çais. <nnt : 2014Cort0010> <tel-01258829>. Voir p. 35 et 51. 7 zeDDA C., « lo spazio tirrenico e la sede apostolica nel Medioevo tra revisione storio- grafica e nuove prospettive di ricerca », dans les Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge [en ligne], 127-1, 2015, mis en ligne le 9 février 2015, consulté le 23 avril 2016. url : http://mefrm.revues.org/2506. cf. paragraphe 39. 8 Par exemple : zeDDA C. et PinnA raimondo, « la nascita dei giudicati. Proposta per lo scioglimento di un enigma storiografico », publié dans l’Archivio Storico Giuridico Sardo di Sassari, n.s. 12 (2007) ; zeDDA C., « i rapporti commerciali fra la sardegna e il Mediterraneo dal xiii al xV secolo. Continuità e mutamenti », publié dans la même revue. Articles consultés l’un et l’autre sous forme électronique : http://www.archivio- giuridico.it/Archivio_12/zedda_Pinna.pdf et Archivio_12/zedda.pdf. 9 Migne Jacques Paul (éd.), Patrologia latina, t. CxlVi, 1853, col. 1402, lettre n° Cxii. Mansi10. l’une et l’autre la dataient simplement du pontificat d’Alexan- dre ii, soit 1061-1073, mais elle a été attribuée précisément à l’année 1063 par samuel loewenfeld dans sa contribution à la seconde édition des Regesta Pontificum Romanorum11. Même un latiniste très moyen se convaincra sans peine qu’il n’y a pas, dans le texte, trace d’un évêque autre que saint Basile. en fait, le pape se penche sur le cas d’un laïc nommé landolfo, Corse, lequel, étant malade à en mourir et se remémorant ses péchés, a voulu se faire moine et n’a pas hésité, pour extorquer le consentement de son épouse, à menacer celle-ci de la tuer. Ayant revêtu l’habit monastique sans le consentement d’un abbé, il a gagné un monastère. Puis, une fois guéri, convaincu par les plaintes de sa femme et le désarroi de sa famille, il est rentré chez lui et a fini par réintégrer le lit conjugal. Alexandre lui expose qu’un homme marié ne peut entrer dans un monastère sans que son épouse ne gagne pour sa part un monastère féminin ou bien, restant dans le siècle, accepte de vivre dans la continence. sans consentement mutuel, le pape ne sau- rait leur imposer de se séparer. Acte II : le quiproquo ne s’arrête cependant pas là. Corrado zedda attribue ensuite à ce pseudo-évêque corse landolfo des détails proso- pographiques qui appartiennent sans conteste à l’évêque landolfo de Pise (avant 1077-1079) : il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’article de Cinzio Violante qu’il cite12 ! Acte III : la lettre aux « évêques de Corse ». Je donne également en pièce justificative n° 2 l’édition procurée en 1885 par samuel loewen- feld13. Comme la précédente, cette lettre est datée de 1063 et plus pré- cisément de la fin de l’année (1063 ex. = 1063 exeunte). un examen plus approfondi permet de constater que nous n’avons pas affaire à une lettre adressée aux « évêques de Corse » mais à une partie au moins BsshnC n° 754-755 (2016) Les évêques de Corse au xie siècle ou de la fragilité du progrès de la connaissance historique AlAin Venturini 61 ___________ 10 MAnsi Joannes Dominicus (éd.), Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, xix, Venetiis [Venise], 1774, col. 951. 11 loewenFelD s. (éd.), Ab anno DCCCLxxxii usque ad annum MCxCviii, dans JAFFé Philippus (éd.) et wAttenBACh guilelmus (dir.), Regesta Pontificum Romanorum ab condita ecclesia ad annum post Christum natum MCxCviii, t. i, lipsiae [leipzig], 1885, p. 572, n° 4520. Je citerai désormais cet instrument de travail sous la forme abrégée JAFFé-loewenFelD. 12 ViolAnte C., « le concessioni pontificie alla Chiesa di Pisa riguardanti la Corsica alla fine del secolo xi », dans le Bullettino dell’istituto Storico italiano per il Medioevo e Archivio Muratoriano, lxxV, 1963, p. 43-56, à la p. 43. 13 loewenFelD s. (éd.), Epistolae romanorum pontificum ineditae, lipsiae [leipzig], 1885, p. 44, lettre n° 84. cf. JAFFé-loewenFelD, p. 573, n° 4534. de ceux qui viennent d’élire comme évêque le prêtre giovanni (Jo- hannes) : je vais revenir sur ce point ci-dessous. Dans le premier para- graphe transcrit par le compilateur du xiie siècle, le pape rappelle un principe général ; dans le second, il applique celui-ci au cas particulier de giovanni. l’absence d’indication de siège ne permet pas de douter que ce dernier fût un évêque « de Corse ». Je pense que soit l’adresse de la lettre n’en est pas une : ce serait plutôt une brève analyse ou un titre au demeurant incomplet, « [De e]piscopis Corsice ». soit, il s’agit d’une adresse refaite en fonction de la uploads/Histoire/ les-eveques-de-corse-au-xie-siecle.pdf
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- Publié le Mai 08, 2022
- Catégorie History / Histoire
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