1 2 AGATHA CHRISTIE LES INDISCRÉTIONS D’HERCULE POIROT After the funeral TRADUI

1 2 AGATHA CHRISTIE LES INDISCRÉTIONS D’HERCULE POIROT After the funeral TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR YVES MASSIP LE MASQUE 3 CHAPITRE PREMIER Le vieux Lanscombe trottinait d’une pièce à l’autre, relevant les stores. De temps en temps, ses yeux chassieux, au regard en vrille, scrutaient la rue. Ils ne tarderaient pas à rentrer des obsèques. Lanscombe se déplaçait plus vite maintenant. Il y avait tant de fenêtres ! Enderby Hall, grande demeure de l’époque victorienne, avait été bâti dans le style gothique. Dans le salon vert, le vieux serviteur leva la tête et considéra, accroché au-dessus du manteau de la cheminée, le portrait du vieux Cornelius Abernethie, pour qui Enderby Hall avait été construit. Sa barbe brune pointait en avant d’une façon agressive et sa main reposait sur un globe terrestre ; que cette attitude répondît au désir du modèle ou qu’elle symbolisât de l’affectation de la part de l’artiste, nul n’aurait pu le dire. Quoi qu’il en fût, le vieux Lanscombe estimait que Cornelius Abernethie était un gentleman d’allure puissante et, au fond de lui-même, il se réjouissait de ne pas avoir eu affaire à lui personnellement. Son gentleman à lui avait été Mr Richard – un bon maître, Mr Richard, emporté bien brusquement. Mais voilà, il ne s’était jamais complètement remis de la mort du jeune Mr Mortimer. Tandis qu’il se hâtait vers la porte de communication et pénétrait dans le Boudoir Blanc, le vieux serviteur hochait la tête. Quel événement terrible ! Quelle catastrophe ! Un jeune homme si solide, si vigoureux et en si bonne santé, s’en aller ainsi ! C’était à n’y pas croire. Et Mr Gordon qui avait été tué pendant la guerre ! Un malheur n’arrive jamais seul, c’est ainsi que vont les choses, de nos jours. Le maître n’avait pu en supporter davantage, et pourtant, il y a une semaine encore, il semblait tout à fait lui-même. 4 Le troisième store du Boudoir Blanc refusait de remonter jusqu’en haut ; à mi-chemin, il se coinçait. À la vérité, c’est que les ressorts étaient fatigués, et les stores eux-mêmes, vieux comme toutes choses dans cette demeure. Mais il ne pourrait réparer le store sans avoir recours à l’escabeau. Malheureusement, Lanscombe n’aimait pas beaucoup grimper sur les escabeaux, cela lui donnait le vertige. Pour le moment, le store resterait comme cela ; c’était, d’ailleurs, sans importance, puisque le Boudoir Blanc ne donnait pas sur le devant de la maison d’où l’on aurait pu en apercevoir les fenêtres lorsque les automobiles rentreraient des obsèques, et la pièce était inoccupée en ce moment. C’était une chambre de dame, mais il y avait bien longtemps qu’aucune femme n’avait résidé à Enderby Hall. Quel dommage que Mr Mortimer ne se soit jamais marié ! Tout le temps en voyage, en Norvège pour la chasse, en Écosse pour la pêche, en Suisse pour les sports d’hiver, au lieu d’épouser quelque gentille jeune dame, élever une famille et rester à la maison. Depuis longtemps, aucun enfant n’avait galopé à Enderby. Par la pensée, Lanscombe se reporta à une époque dont il se souvenait très nettement – plus nettement que des vingt dernières années. Envers ses frères et sœurs, Mr Richard s’était plutôt comporté comme s’il se fût agi de ses enfants. À la mort de son père, il n’avait que vingt-quatre ans. Il prit aussitôt la direction de la maison. Joyeuse maisonnée, en vérité, composée de jeunes gens et de jeunes filles. Les querelles et les batailles ne manquaient pas, au grand désavantage des jeunes maîtresses. De pauvres créatures bien courageuses ! Miss Geraldine surtout, ainsi que Cora, bien que cette dernière fût beaucoup plus jeune. Maintenant, Mr Leo était mort et Miss Laura s’en était allée, elle aussi. Mr Timothy n’était qu’un pitoyable infirme. Quant à Miss Geraldine, elle était morte, quelque part à l’étranger. Mr Gordon avait été tué à la guerre. Quoique Gordon fût l’aîné, le plus fort de tous avait été Mr Richard. Il leur avait survécu, ou presque, puisque Mr Timothy était encore de ce monde, de même que la petite Cora qui avait épousé cette espèce d’artiste déplaisant. Il y avait vingt-cinq ans que Lanscombe ne l’avait 5 pas revue. Elle était jolie à l’époque où elle partit avec ce type, mais c’est à peine s’il l’avait reconnue, tant elle avait grossi et s’habillait de façon extravagante. Oh ! elle s’était bien souvenue de lui : — Mais, c’est Lanscombe ! s’était-elle écriée, l’air ravi de revoir le vieux serviteur. Lorsqu’ils arrivèrent pour assister aux obsèques, ils lui avaient tous fait l’effet d’étrangers minables ! Mrs Leo faisait exception, toutefois ; elle n’était pas comme les autres. Depuis leur mariage, elle et Mr Leo étaient souvent venus à Enderby Hall pour passer quelque temps. Une gentille dame, une vraie dame, voilà ce qu’elle était. Le maître l’aimait beaucoup. Lanscombe se secoua. Quelle idée de rêver au temps jadis alors qu’il avait tant à faire ! * * * Comme Lanscombe passait la tête par la porte de la cuisine, il fut pris à partie par Marjorie, la cuisinière, jeune femme de vingt-sept ans, le désespoir de Lanscombe, car elle ne correspondait en rien à l’idée qu’il se faisait d’une cuisinière accomplie. Elle qualifiait parfois la maison de « vieux mausolée » et se plaignait de la trop grande superficie de la cuisine, de l’arrière-cuisine et de l’office, prétendant qu’il lui fallait une heure pour en faire le tour. Elle était à Enderby Hall depuis deux ans et n’y restait que parce qu’on la payait bien et que Mr Abernethie avait apprécié sa bonne cuisine. Assise à la table, Janet buvait une tasse de thé ; c’était une domestique d’âge mûr qui, bien que souvent en désaccord avec Lanscombe, se rangeait à son avis quand il s’agissait de critiquer la jeune génération telle que l’incarnait Marjorie. Un quatrième personnage, complétant le personnel, venait d’entrer, Mrs Jacks, qui avait beaucoup aimé le service funèbre auquel les domestiques avaient assisté. — C’était vraiment beau, dit-elle avec un reniflement de circonstance, tandis qu’elle remplissait sa tasse. Dix-neuf 6 voitures, l’église pleine à craquer et le chanoine officiant d’admirable façon. Et quelle belle journée pour une telle cérémonie ! Soudain, on entendit un klaxon, puis un bruit de voitures roulant dans la grande allée. Mrs Jacks reposa sa tasse. — Les voilà ! s’écria-t-elle. Une à une, les automobiles remontèrent l’allée. Il en descendit des gens vêtus de noir qui, d’un pas hésitant, traversèrent le hall et pénétrèrent dans le grand salon. Dans la grille en acier de l’âtre brûlait un feu, pour combattre les premiers froids de ces jours d’automne et réchauffer ceux qui venaient d’assister aux obsèques de Richard Abernethie. Lanscombe entra dans la pièce, portant un plateau d’argent. Il offrit à chacun un verre de xérès. Mr Entwhistle, le plus ancien des associés de la vieille et respectable firme « Bollard, Entwhistle, Entwhistle et Bollard’s » se tenait debout, le dos tourné au feu. Il accepta un verre de xérès et considéra l’assistance de son regard pénétrant d’homme de loi. Ne connaissant pas toutes les personnes présentes, il se mit en devoir de ranger chacune d’elles dans telle ou telle catégorie ; les présentations avaient été superficielles et chuchotées avant la cérémonie. Il observa le vieux Lanscombe en premier. « Devient bien tremblant, le pauvre type ! se dit Mr Entwhistle. Je ne serais pas surpris qu’il approchât des quatre-vingt-dix ans ! Un fidèle serviteur, que ce vieux ; les fidèles serviteurs sont si rares de nos jours. Triste époque ! Le pauvre Richard a aussi bien fait de partir avant l’heure ! » Car, pour Mr Entwhistle, qui avait soixante-douze ans, Richard Abernethie disparu à soixante-huit ans était mort prématurément. Depuis deux années, Mr Entwhistle s’était retiré des affaires, ce qui ne l’avait pas empêché, en tant qu’exécuteur testamentaire du défunt, son plus vieux client, de faire le voyage jusqu’à ce comté du nord de l’Angleterre. Il songea ensuite aux dispositions du testament et, de nouveau, observa l’assistance. Mrs Leo. Helen, d’abord. Il la connaissait bien, elle. Une très charmante femme pour qui il éprouvait autant de sympathie 7 que de respect. Il lui jeta un regard approbateur. Le noir lui allait bien et elle avait conservé sa ligne. Il aimait ses traits nettement dessinés, la manière dont ses cheveux gris étaient tirés sur les tempes, ses yeux qui conservaient leur nuance bleu vif. Quel âge pouvait avoir Helen aujourd’hui ? Cinquante et un ans, peut-être cinquante-deux ? Il s’étonnait qu’elle ne se fût jamais remariée après la mort de Leo. Séduisante, elle avait formé, avec son mari, un couple très uni. Ses regards se posèrent sur Mrs Timothy. Il ne l’avait jamais bien connue. Non, le noir ne lui allait pas, à elle. C’était plutôt le gros tweed qui aurait convenu à cette grande femme capable, pleine de bon sens, toujours attachée à son mari, prenant soin de sa santé, trop, même, sans doute. Timothy était-il vraiment très malade ? Mr Entwhistle pensait que uploads/Histoire/ les-indiscretions.pdf

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  • Publié le Jui 18, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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