LES IDÉES PHILOSOPHIQUES ET RELIGIEUSES DE PHILON D'ALEXANDRIE LES IDÉES PHILOS
LES IDÉES PHILOSOPHIQUES ET RELIGIEUSES DE PHILON D'ALEXANDRIE LES IDÉES PHILOSOPHIQtES ET RELIGIEIISES DE PHILON D'ALEXANDRIE PAR ÊMiLE BRÉHIER DOCTEUR ÈS LETTRES PROFESSEUR AGRÉGÉ DE PHILOSOPHIE AU LYCÉE DE LAVAL PARIS LIBRAIBIE ALPHONSE PICARD & FILS 82, RUE BONAPARTE, 82 1908 INTRODUCTION On a beaucoup écrit sur Philon, et le philonisme reste encore pour une g-rande part inexpliqué. Les œuvres de Philon ont eu dès le début de leur histoire une sing-ulière destinée ; elles ont dû leur conservation, alors que tant d'autres ont péri, à l'usag-e constant, qu'en ont fait les apolog-istes chrétiens. Les nombreux fragments que Ton en retrouve encore dans les Florilèg^es et les (( Chaînes », les imitations poussées jusqu'à la servilité d'un saint Ambroise, enfin pour couronner le tout la légende propa- gée par Eusèbe qui fait de Philon un chrétien, sont la preuve du goût que témoignaient pour lui les premiers siècles chrétiens. Cependant ses idées et sa méthode ne jetaient pas de profondes racines dans le judaïsme : la colonie juive alexandrine reste après son époque presque ignorée, tandis qu'en Palestine, puis à Babylone, Texégèse palestinienne se meut dans un cercle d'idées tout différent. C'est pourquoi Philon a d'abord préoccupé les théologiens et les historiens qui cherchent les origines du christianisme. Que l'on ajoute le rapport indéniable de sa théorie du Logos avec celle du quatrième évangile, et l'on verra la signification historique du phi- lonisme dans son rapport à la conception essentielle du christia- nisme de Jean^ celle du Messie-Logos. Les recherches sur Philon se sont peut-être ressenties de ce rapprochement. Pendant tout le XVIII® siècle, et une moitié du xix^, on s'est demandé si et jus- qu'à quel point Philon était chrétien Malgré quelques excellents travaux, la critique oscille entre l'affirmation fantaisiste d'un Kirschbaum, qui voit entre Philon et le christianisme un lien si étroit qu^il fait des œuvres de Philon une invention apocryphe des chrétiens, et la thèse de Carpzov qui refuse de voir dans le logos philonien aucun trait du logos johannique. Dans ces ingénieuses comparaisons, on perd ainsi de vue l'essentiel, qui est d'expliquer l'origine du philonisme par les 11 INTRODUCTION milieux intellectuels dans lesquels il s'est développé. La seconde moitié du xix^ siècle se marque, dans les études philoniennes, par une recherche plus attentive de ce milieu. Ce sont en France les ouvrag-es de Biet, de Bois, et d'Herriot, en Allemagne de nombreuses études de détail sur les débris de la littérature judéo-alexandrine, qui essayent de replacer Philon dans son cadre historique. On cherche d'une part quels liens intellectuels le rattachent encore à la Palestine (Frankel, Ritter, Sieg-fried), et d'autre part quelle est la marque distinctive de son alexan- drinisme. Mais, soit par la pénurie des sources, soit pour toute autre raison, Philon apparaît toujours dans le développement du judaïsme alexandrin comme un isolé. 11 est impossible de recons- tituer une école juive alexandrine, dont les œuvres de Philon nous feraient connaître les travaux et les aspirations. La philo- sophie de rhistoire de la Sag-esse de Salomon ou de la Sibylle, le syncrétisme évhémériste d'Artapan ou d'Eupolème nous font connaître des directions d'esprit bien opposées à celle de Philon. Il y a, comme l'a montré Friedlânder bien des partis différents chez les juifs de la dispersion et le philonisme peut ne représen- ter qu'un parti assez restreint. Mais peut-être faudra-t-il, pour mieux comprendre Philon, étendre ses vues au delà de la colonie juive. Aussi bien a-t-on vu depuis longtemps que le philonisme naît d'une fusion entre l'esprit juif et l'esprit hellénique. Mais encore faut-il bien l'en- tendre. Il n'y a rien dans cette union d'artificiel et de voulu ; Philon qui a reçu une éducation grecque, qui écrit des traités philosophiques sans aucune intervention de la loi (comme le de incorruptibilitate et le de Providentiel)^ ne paraît jamais avoir vu la moindre contradiction entre le g-énie hellénique et le mosaïsme, et, nulle part, il n'éprouve le besoin de les concilier. Il n'y a donc pas, chez lui, fusion de concepts opposés. Où trouverait-on d'ailleurs une philosophie propre au judaïsme ? L'entente paraît se faire moins sur la philosophie elle-même (que Philon accepte tout entière) que sur certains concepts relig-ieux comme ceux du Logos et de la Sag-esse. Des concepts de ce genre ont, en partie du moins, une orig-ine hellénique, mais ils. ont subi, à Alexandrie, une élaboration qui en renouvelle la signi- fication. C'est par cette base commune que le philonisme va I, Der Antichrist, pp. 90-106. INTRODUCTION m rejoindre l'hellénisme. La fusion s'accomplit moins dans la pensée claire d'un philosophe que dans les rég-ions obscures de la relij^ion populaire. Nous essayerons de montrer, par l'analyse des idées philosophiques et religieuses de Philon, que les œuvres du juif alexandrin nous révèlent une transformation profonde de la pen- sée grecque, qui s'est accomplie en grande partie en dehors du judaïsme. L^activité intellectuelle de Philon s'exerce, comme l'on sait, pendant les quarante premières années de l'ère chrétienne ; c'est après la mort de Galigula en 4i qu'il écrit un ouvrage qui est probablement son dernier, VAmbassade à Caïus. Nous ne parle- rons pas ici de sa vie dont un seul événement d'ailleurs est bien connu : à plus de soixante ans, Philon fut choisi par ses core- ligionnaires pour aller porter à Rome devant l'empereur Gali- gula les doléances des Juifs contre le gouverneur P'iaccus. Les belles études de Massebieau et de Gohn ont apporté la lumière dans un sujet préliminaire de la plus haute importance pour Tétude du philonisme, le classement des œuvres de Philon. Admettant la triple division en écrits purement philosophiques {de incorruptib. miindi ; quod omnis probus liber ; de providentia ; de animalibus) , écrits d'explication du Pentateuque, et écrits missionnaires et apologétiques {Vie de Moïse apologie des Juifs, et TuoGsTuà (ces deux derniers ne sont connus que par fragments), ils sont arrivés à préciser le classement du second groupe d'écrits qui est le plus important. On y distingue : i*^ le Commentaire allégorique qui commence non par le de opijîcio mundi, mais par le premier livre des Allégories ] il était précédé d'un livre perdu, VHexaméron, qui portait sur la création des six jours; il suit avec quelques interruptions qui proviennent sans doute de la perte des textes, Tordre de la Genèse ; 2^ l'Exposition de la loi qui commence par le de opiJicio, se continue par le Traité sur Abra- ham (il ne comprend pas la Vie de Moïse qui est intercalée dans les éditions entre le de Josepho et le de Decalogo) ; V Les Ques- tions sur la Genèse et sur UExode. Nous avons tenté de montrer, dans la Revue de VHistoire des Religions^ en nous appuyant sur les notes de M. Massebieau \ que VExposition de la Loi est antérieure au Commentaire, et les Questions en partie antérieures et en partie contemporaines. I . Nous saisissons ici l'occasion de remercier la famille de M. Massebieau, qui a mis gracieusement à notre disposition les notes et ébauches d'articles qu'il a laissés sur Philon, sans avoir pu malheureusement les publier. IV INTRODUCTION Les questions d'authenticité sont compliquées pour quelques- uns des traités, mais non pas pour les principaux. On n'a g-uère attaqué, en effet, que des traités philosophiques sur VIncorrup- tibilité^ sur la Liberté du Sage^ sur la Providence et le petit traité sur La vie contemplative. Il n'y a donc pas lieu de se poser dans l'introduction des questions sur l'authenticité qui seront mieux à leur place dans le cours de notre exposé ^ I. Nous citerons, pour les traités parus dans l'édition Cohn-Wendland en renvoyant au parag-raphe ; pour les autres en renvoyant au chapitre et à la pag-ination de Mangey (ou d'Aucher pour les Questions) qui est reproduite dans l'édition Holtze. I. _ MANUSCRITS ET EDITIONS On trouve une histoire complète des manuscrits de Philon dans les prolé- gomènes de l'édition Cobn (Berlin, 1896, I-LXXXIX). Voyez aussi : Fabricius, Bibliotheca gr., IV (743-746). Mai, Nova bibliotheca patrum, VI, 6, p. 67. Tischendorf, Philonea inedita (p. vii-xx). Pitra, Analecta sacra. II, 314. Ces manuscrits dérivent tous d'un modèle commun (Cohn, p. xxxviii) et se rattache à un archétype de la bibliothèque de Pamphile, évêque de Césarée, mort en 307. Un des traités de Philon, le de Posteritate Caini, ne se trouve que dans un seul manuscrit (cod. Vaticanus grsecus, 381 U). Deux traités, quis rerum divinarum hères et de Sacrificiis Abelis et Caini ont été trouvés en outre en 1889 dans un papyrus du vi^ siècle (édités dans Mém. publiés par les membres de la miss, archéol. française au Caire, t IX. 2^ fasc. Paris, 1893). D'après Cohn (p. xlii), ils ont la même source que les manuscrits de Césarée. Une découverte plus importante fut celle de traductions arméniennes d'œuvres de Philon perdues en grec, connues seulement par quelques courts fragments de Procope. Les manuscrits découverts à Lemberg en 1791 sont traduits en latin par Aucher (2 vol. 1822-1826). Gonybeare dans son édition du traité de la Vie contemplative, conservée en grec s'est servi d'une tra- duction arménienne uploads/Histoire/ les-idees-philosophiques-et-religioses-de-philon-d-x27-alexandrie-e-brehier.pdf
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- Publié le Jan 07, 2023
- Catégorie History / Histoire
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