André-Yves Bourgès L’hagiographie bretonne au bas Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles)
André-Yves Bourgès L’hagiographie bretonne au bas Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles) Essai de critique chronologique des sources Mémoire de Diplôme d’Études Approfondies d’Histoire réalisé sous la direction de M. Jean-Loup Lemaître ÉPHÉ, IVe Section, Paris, 1998 1 Attention, la mise en page originale n’a pu être conservée 2 Introduction Les cadres géographique et chronologique et le sujet même de nos recherches, dont le mémoire que nous soutenons aujourd’hui constitue la première étape, ne prêtent pas, ou que peu à discussion : l’hagiographie bretonne au bas Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles) s’entend évidemment comme un approfondissement de notre connaissance des textes littéraires écrits en Bretagne et relatifs à des saints intéressant la Bretagne, à une époque où ce vocable désignait sans ambiguïté le grand fief ducal1 relevant désormais directement du royaume de France2, mais jouissant à l’égard de ce dernier d’une autonomie politique croissante, en sorte qu’il devait être finalement reconnu de tous, y compris de son suzerain, comme un véritable État. A cet État correspondait un territoire circonscrit par des limites stables, lesquelles devaient perdurer administrativement jusqu'à la fin de l’Ancien Régime, au delà même de la survie de l’État breton ; ces limites sont d’ailleurs aujourd’hui encore celles de l’entité que certains auteurs appellent la « Bretagne historique » et qui est formée de l’actuelle région Bretagne augmentée du département de la Loire-Atlantique. L’hagiographie bretonne au bas Moyen Âge : une littérature de « digest » ? Pourquoi nous a-t-il semblé qu’une telle contribution à l’histoire de la littérature hagiographique bretonne était nécessaire ? Parce que, malgré l’important développement des travaux qu’elle suscite, cette littérature est encore mal connue, singulièrement dans ses manifestations les plus tardives : les hagiographes des temps carolingiens et de la période romane ont été en effet relayés au bas Moyen Âge par des abréviateurs, des adaptateurs, voire des traducteurs, dont les différents travaux n’ont pas 1 Jusqu’en 1297 et l’érection officielle de la Bretagne en duché-pairie du royaume de France, la chancellerie royale a souvent préféré gratifier le détenteur de cette principauté du seul titre de comte ; en Bretagne, on trouve aussi ce dernier titre porté concurremment, sinon indistinctement, avec celui de duc et ce depuis les débuts de la féodalité. Antérieurement, certains souverains bretons ont même été décorés du titre royal ou du moins se sont qualifiés rois : Judicaël aux temps mérovingiens, Salomon à l’époque carolingienne, tous deux sanctifiés par la vox populi, sont assez célèbres ; le dernier à avoir porté le titre de roi paraît avoir été Geoffroy qui a régné entre 992 et 1008. 2 A l’époque féodale, la Bretagne était considérée comme un arrière-fief du royaume, relevant d’abord du duc de Normandie : l’explication en est que les titulaires de l’honor confié par les souverains carolingiens aux Normands ont exercé longtemps une domination de fait sur le pays voisin, domination entérinée par le pouvoir royal ; cette domination n’a pas toujours présenté les mêmes caractéristiques, mais en tout état de cause, elle s’était renforcée à l’époque de l’empire Plantagenêt (seconde moitié du XIIe siècle), avant que la confiscation de la Normandie par Philippe Auguste n’enlève à Jean sans Terre et à ses successeurs la suzeraineté sur la Bretagne et ne la transmette directement au roi de France. 3 toujours été pris suffisamment en considération par la critique moderne ; cet état de fait est le plus souvent présenté comme la conséquence du médiocre intérêt littéraire et historique d’une production hagiographique par ailleurs largement tributaire de celles qui l'avaient précédée. Ainsi l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’hagiographie armoricaine médiévale, B. Merdrignac, a notamment cherché, dans plusieurs travaux spécifiquement consacrés aux lectiones des bréviaires bretons des XVe et XVIe siècles, à comprendre et à éclairer le sens caché des « sélections, omissions, voire modifications » dans le traitement tardif de la biographie des différents saints concernés ; il n’en a pas moins souligné, de façon un peu restrictive, que « par définition, les bréviaires abrègent les vitae des saints bretons composées à l'époque romane »3. L’hagiographie bretonne au bas Moyen Âge : une littérature perdue ? Dès lors comment expliquer cette éventuelle stérilisation de la production hagiographique en Bretagne au bas Moyen Âge, alors que la même époque était ailleurs celle d’une intense prolifération de ce genre littéraire ? Certes, la guerre de succession dynastique entre les maisons de Blois et de Montfort ne fut sans doute pas la période la plus propice à la rédaction de tels ouvrages. Mais qu’en a-t-il été pendant l’immédiat après-guerre où l’on s’efforçait de rebâtir rapidement les monuments endommagés ou détruits à la suite d’actions militaires, en particulier les édifices religieux ; puis, pendant l’Âge d’Or du duché qui, tout au long du XVe siècle, en même temps que le développement économique et l'indépendance politique de la Bretagne, a favorisé la création dans les différents domaines de la vie culturelle ? Et surtout qu’en avait-il été avant ce conflit, dans le contexte de la floraison littéraire du XIIIe et du début du XIVe siècle, dont le poète du Livre des Faits d'Arthur se fait l’écho sous le règne du duc Arthur II ? La question mérite d'autant plus d'être posée que, dès le premier tiers du XVIIe siècle, on se trouve en présence, avec Les Vies des saints de la Bretagne Armorique publiées en 1636 par un dominicain originaire de Morlaix, le P. Albert le Grand, d'un corpus hagiographique (en français) riche de quelques quatre-vingts légendes ; le nombre de saints mentionnés est d’ailleurs plus important car nombre d'entre eux n'ont pas droit à un article spécifique et ne font que « traverser » les biographies de leurs confrères en sainteté. Près d’un tiers de ces textes se rapporte à des saints dont les légendes ne sont justement connues que par l'ouvrage en question, 3 B. Merdrignac, « Les origines bretonnes dans les leçons des bréviaires », p. 296. 4 ou bien encore à des novi sancti. Quant aux autres biographies données par l’hagiographe morlaisien, elles contiennent souvent des épisodes qui ne figuraient pas dans les vitae anciennes des saints concernés ; et parfois même des informations qui entrent en contradiction avec ces vitae. Sauf à supposer que tous les éléments nouveaux ou surajoutés de ce corpus documentaire sont les fruits de l'imagination d’Albert Le Grand — ce qui constitue le meilleur moyen, mais pas le plus honnête, d'évacuer la question que nous nous posons — il faut donc qu'il y ait eu, antérieurement à l'oeuvre de ce dernier, un ensemble de traditions écrites et orales, plus ou moins différenciées de celles qui avaient été transmises par les vitae des temps carolingiens et de la période romane. D’ailleurs le dominicain a fait consciencieusement état, pour chacune des légendes réunies par ses soins, des sources auxquelles il a puisé, sources écrites le plus souvent et parfois sources orales ; les sources écrites sont de deux ordres : 1°) sources déjà imprimées et assez largement diffusées à l'époque d'Albert Le Grand, généralement conservées de nos jours, donc relativement bien connues et répertoriées ; 2°) sources manuscrites et qui, pour la plupart, le sont demeurées, contenues dans un petit nombre de manuscrits que souvent nous n’avons plus : ainsi la plupart des « légendaires » (comme il les désignait) qui lui ont servi ont depuis disparu. En outre, contrairement à l’opinion ordinairement répandue, cette disparition avait débuté largement avant l’époque de la Révolution française et il faut sans doute en attribuer la responsabilité première au clergé lui-même : nous revenons sur les circonstances et les conséquences de la perte des manuscrits hagiographiques bretons à l’occasion de l’examen critique des sources. Pertinence du cadre chronologique La pertinence du cadre chronologique que nous avons retenu est largement avérée puisque cette époque a précisément constitué en Bretagne un vrai « moyen âge », période de transition entre deux étapes de l’histoire d’une civilisation. Non seulement, de façon spécifique, la Bretagne ducale a connu durant toute cette période le développement, puis le renforcement au sortir d’une longue et douloureuse guerre de succession dynastique, d’un État monarchique de type français, sous la houlette de princes eux-mêmes porteurs, de par leur origine capétienne, de cette conception « nationale » de l’État ; de fait, la Bretagne ducale a été ainsi dotée très tôt d’institutions stables dans le cadre d’un État moderne et assez fortement centralisé, qui ont beaucoup favorisé le développement économique. Mais encore il s’est agi d’une période de transition très importante entre deux modèles d’organisation politique et culturelle des relations sociales : d’une part la féodalité, de l’autre l’Ancien Régime. Dans le premier cas, une société 5 imprégnée au plus profond d’elle-même par une religiosité dont l’hagiographie constituait justement l’un des fondements essentiels ; dans le second, une organisation sociale où, tout en demeurant centraux, les rapports entre les fidèles et leur religion avaient enfin acquis la distance nécessaire à une approche plus moderne de l’activité humaine, comme peut aisément en rendre compte l’évolution globale des attitudes mentales. Or, la spécificité et le paradoxe bretons résident précisément dans le fait que uploads/Histoire/ lhagiographie-bretonne-au-bas-moyen-age-pdf.pdf
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- Publié le Apv 21, 2021
- Catégorie History / Histoire
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