Pour une cartographie des thèmes et des contextes de réception du Corpus Dionys
Pour une cartographie des thèmes et des contextes de réception du Corpus Dionysiacum dans l’Occident latin L’étude d’un thème vaste et complexe tel que la réception de l’œuvre du pseudo- Denys l’Aréopagite en Occident pendant le Moyen Âge exigerait au moins une thèse de doctorat. L’étude seule de l’historiographie relative à la fortune latine du Corpus Dionysiacum, même limitée aux seules contributions les plus récentes, exigerait davantage de pages que les limites imposées au présent article. Toutefois l’intérêt toujours vif parmi les savants pour les contours de cette réception mérite aujourd’hui une tentative de synthèse, bien que limitée et partielle. De nombreuses contributions ont étés consacrées à plusieurs cas de réception du Corpus dionysien parmi les auteurs latins médiévaux. Pendant les deux dernières décennies, des colloques et des recueils d’essais ont été dédiés spécialement à la réception du pseudo-Denys, ce qui montre tout l’intérêt pour la question et a inauguré une période de renouvellement des études dionysiennes, produisant des progrès impor- tants sur l’état de la question. Ce renouvellement, à partir des années 90 du XXe siècle, a été ouvert par un colloque international qui s’est déroulé en deux temps : la première partie a été organisée par Evanghelos Moutsopoulos à Athènes en 1993 et visait la philo- sophie du pseudo-Denys1 ; la deuxième, organisée par Ysabel de Andia, à Paris en septembre 1994, et intitulée « Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident », touchait aussi, entre autres sujets, la réception de l’œuvre et de la pensée pseudo-dionysiennes2. Parmi les trente-trois contributions publiées dans les actes du colloque de Paris, dont une large partie s’est révélée fondamentale pour le progrès des études dionysiennes, sept ont été consacrées à la réception de Denys en Occident. Quelques années plus tard, un autre colloque, organisé à Sofia 1. Philosophie dionysienne, E. Moutsopoulos éd., Athènes, 1994, Diotima. Epitheoresis philo- sophikes ereunes / Revue de recherche philosophique, 23, 1995, p. 9-142. 2. Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident. Actes du colloque international, Paris, 21-24 septembre 1994, Y. de Andia éd., Paris, 1997. 220 ERNESTO SERGIO MAINOLDI en avril 1999, dans le cadre des colloques annuels de la Société internationale pour l’étude de la philosophie médiévale, se concentrait en particulier sur la réception du pseudo-Denys au Moyen Âge3. Ici, sur les dix-sept contributions, treize étaient consacrées à la réception latine. Ensuite, une série de contributions consacrées à l’Aréopagite et à sa réception étaient publiées en octobre 2008 dans une parution monographique de la revue Modern theology, sous le titre Re-Thinking Dionysius the Areopagite. Ce recueil proposait une mise au point sur l’état des études diony- siennes et remarquait l’actualité d’une reprise de l’intérêt pour le pseudo-Denys, que Sarah Coakley, dans son introduction, définissait comme « current Dionysian revival ». On ne peut qu’être d’accord avec cette remarque, en considérant qu’en 2010 un colloque, organisé à Tours par le Centre d’études supérieurs de la Renaissance, dont les actes viennent de paraître, essayait de faire le point – pour la première fois – sur la réception du pseudo-Denys à la Renaissance4. On ne peut pas non plus oublier de mentionner la parution en 2013 de l’étude monographique de Dominique Poirel consacrée au Commentaire de Hugues de Saint-Victor sur la Hiérarchie céleste du pseudo-Denys, où la réception latine du Corpus aréopagi- tique du IXe au XIIe siècle a été aussi largement abordée5. Enfin, deux essais sur la réception de Denys chez Albert le Grand et Thomas d’Aquin, et un autre qui offre une récapitulation sur la quaestio Dionysiaca6, sont également parus, en 2013, dans un volume, consacré au néoplatonisme chrétien, de Documenti e Studi, revue d’histoire de la philosophie médiévale de la Scuola Normale Superiore de Pisa. Sur la base de ces parutions, nous pourrions donc affirmer avoir à notre dispo- sition une remarquable série d’essais récents consacrés à plusieurs épisodes de la réception du pseudo-Denys dans l’Occident médiéval, et ceci nous inviterait à tracer les lignes d’une synthèse générale. Toutefois, il ne sera pas question de résumer ici les différentes et multiples issues de l’historiographie, ou de chercher à tirer des conclusions à propos des nombreuses perspectives à travers lesquelles le pseudo-Denys a été lu, cité, interprété et utilisé par les auteurs du Moyen Âge 3. Die Dionysius-Rezeption im Mittelalter. Internationales Colloquium in Sofia vom 8. bis 11. April 1999 unter der Schirmherrschaft der Société Internationale pour l’Étude de la Philosophie Médiévale, T. Boiadjiev – G. Kapriev – A. Speer Hrsg., Turnhout, 2000. Dans une contribution d’Edward P. Mahoney publiée dans ce volume sous le titre « Pseudo-Dionysius’s Conception of Metaphysical Hierarchy and Its Influence on Medieval Philosophy », on lit, aux p. 429-430, un bref aperçu sur les études consacrées à la réception du pseudo-Denys avant les années 90 ; on peut aussi mentionner le résumé du status quaestionis dans les prolégomènes du premier volume des Dionysiaca, Ph. Chevalier et al. éd., Brügge, 1937. 4. Le Pseudo-Denys à la Renaissance. Actes du colloque de Tours, 27-29 mai 2010, Ch. Trottmann – S. Toussaint éd., Paris, 2014. 5. D. POIREL, Des symboles et des anges : Hugues de Saint-Victor et le réveil dionysien du XIIe siècle, Turnhout, 2103. 6. P. PODOLAK, « Platonismo, teologia cristiana e fioritura apocrifa alle soglie dell’età bizantina: il caso dello ps. Dionigi Areopagita », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 24, 2013, p. 1-30. LA RÉCEPTION DU CORPVS DIONYSIACVM EN OCCIDENT 221 latin : notre but sera de proposer une esquisse générale sur la circulation médiévale des grands thèmes dionysiens, et, à partir de là, de mettre en évidence les points les plus remarquables, ou bien problématiques, de cette réception, dans l’esprit de contribuer à une future reconstruction de plus grande portée et surtout plus détaillée. I. – TRADUCTIONS ET COMMENTAIRES DU PSEUDO-DENYS DU MOYEN ÂGE À LA RENAISSANCE Le nombre de traductions latines de Denys témoigne sans doute d’une fortune tout à fait étonnante. On compte sept traductions intégrales du Corpus, réalisées entre le IXe et le XVIe siècle : Hilduin de Saint-Denis l’a traduit en 832, suivi par Jean Scot Érigène, qui l’a retraduit dans une première version entre 862 et 866, et dans une seconde, améliorée, peu d’années après ; Jean Sarrazin a traduit le Corpus en 1167, en révisant la version érigénienne. Un siècle plus tard, en 1235, ce sera le tour de Robert Grosseteste, puis encore d’Ambrogio Traversari en 1436, de Marsilio Ficino en 1492 et enfin, en 1536, de Joachim Périon. Angelo Colozio réalisa l’editio princeps du texte grec à Florence en 1516. Une deuxième édition du texte grec sera accomplie par Guillaume Morel (1562), et celle-ci servira de base à quatre autres traductions latines, parues entre 1615 et 1634, tandis qu’à partir du panégyrique de Michel Syncelle, trois autres traductions latines paraî- tront entre 1546 et 1662. Aux sept traductions médiévales et renaissantes, il faut donc ajouter sept autres versions latines réalisées au XVIIe siècle7. L’apparition de l’imprimerie ne faisait que multiplier cet intérêt extraordinaire : entre la fin du XVe et le XIXe siècle, le Corpus Dionysiacum a été l’objet de cent quarante éditions. Pour le seul XVIe siècle, on en compte quatre-vingt-onze, presque une par an. En plus des traductions, il faut compter un grand nombre de commentaires, qu’ils portent sur le Corpus entier, ou, plus souvent, sur l’une des œuvres qui le composent ; le premier essai d’interprétation d’une œuvre pseudo-dionysienne étant constitué par les Expositiones in Ierarchiam coelestem de Jean Scot Érigène, œuvre qui a aussi servi à la préparation de la deuxième version du Corpus par le même maître irlandais8. Après Érigène, il faudra attendre deux siècles pour voir se renouveler l’intérêt pour le texte dionysien. En effet, aux Xe et XIe siècles, on n’enregistre aucun commentaire dionysien, et on ne connaît que très peu de citations du Corpus ; c’est justement cette période que Dominique Poirel a définie, 7. W. P. GRESWELL, Memoirs of Angelus Politianus, Actius Sincerus Sannazarius, Petrus Bembus, Hieronymus Fracastorius, Marcus Antonius Flaminius, and the Amalthei: translations from their poetical works: and notes and observations concerning other literary characters of the fifteenth and sixteenth centuries, Manchester – London, 1801, p. 444. 8. E. S. MAINOLDI, « Iohannes Scottus Eriugena », dans La trasmissione dei testi latini del medioevo. Mediaeval Latin Texts and their Transmission (Te.Tra. 2), P. Chiesa – L. Castaldi edd., Firenze, 2005, p. 219-227. 222 ERNESTO SERGIO MAINOLDI par rapport à Denys, comme celle du « sommeil dionysien9 ». Au tournant du XIIe siècle, le renouvellement des études qui éclatera dans cette période donnera vie aussi à une renaissance de l’intérêt pour le Corpus dionysien, comme le montre une fleurissante exégèse, qui compte dans sa liste le Commentaire sur les noms divins par Guillaume de Lucques, un élève de Gilbert de Poitiers, qui commenta à son tour la Hiérarchie ecclésiastique (ce commentaire est aujourd’hui perdu) ; le commentaire sur la Hiérarchie céleste du bénédictin Hervé de Bourgdieu ; la contribution de Jean Sarazin, qui vers le milieu du siècle allait réviser la traduc- tion érigénienne du uploads/Histoire/ mainoldi-2016e-pour-une-cartographie-des-themes-et-des-contextes-de-reception-du-corpus-dionysiacum-dans-l-x27-occident-latin.pdf
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- Publié le Mai 13, 2022
- Catégorie History / Histoire
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