Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine Sur les traces du passé de l’éducati
Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine Sur les traces du passé de l’éducation… | Jean-François Condette, Marguerite Figeac-Monthus 1 Chapitre 21. L’éducation spécialisée, une histoire et un patrimoine à la marge ? Mathias Gardet p. 283-293 Texte intégral Nous ne pouvons que nous féliciter que, dans un ouvrage portant « Sur les traces du passé de l’éducation… », ait été laissée une place à « l’éducation spécialisée », encore faut-il souligner qu’au départ cette réflexion devait se limiter à la question de « l’enseignement spécialisé », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. La différence conceptuelle entre l’un et l’autre terme renvoie de manière générale au problème de la délimitation du champ et du patrimoine de l’éducation tel qu’il est défini dans cet ouvrage. L’objet central des recherches historiques sur l’éducation continue à porter avant tout sur l’école et la didactique 1. La revue Histoire de l’éducation, créée en 1978 par le Service d’histoire de l’éducation au sein de l’INRP, est très fortement centrée sur le monde scolaire et l’enseignement qui y est imparti, comme si l’éducation, la pédagogie se limitaient à ce qui se passe en son sein, intra-muros : programmes, manuels, disciplines, didactique, architectures, performances et évaluations, 2 3 Des enfants « hors la loi » scolaire personnels enseignants, syndicats, élèves, prosopographie des inspecteurs de l’instruction publique, ministère de l’Éducation nationale 2… C’est bien l’école publique qui est sous expertise 3, même si en contrechamp l’école privée constitue un domaine d’études à part entière dans lequel elle se mire, comme à travers un miroir déformant. Or l’éducation spécialisée, malgré sa dénomination en référence directe à l’idée d’éducation, ne saurait se limiter à un « enseignement spécialisé » imparti par des « instituteurs spécialisés » dans « des établissements scolaires spécialisées », tant ce segment instauré timidement en 1909 fait longtemps figure de marginal et prend rapidement l’allure d’un rendez-vous manqué entre le ministère de l’Instruction publique et le secteur en plein foisonnement de la protection de l’enfance. Malgré la référence très précoce à la nécessaire éducation des jeunes pris en charge que ce soit dans le cadre de l’assistance ou de la justice des mineurs, contre toute attente, celle-ci a peu d’accointance avec le projet d’instruction publique et d’éducation péri-scolaire qui émerge avec force à la fin du xixe siècle. Bien qu’un certain nombre de ces enfants soient dans l’âge de l’obligation scolaire, ils se retrouvent très rapidement « hors la loi » scolaire quand ils ne sont pas considérés tout simplement comme non scolarisables, on dit aussi dès le xixe siècle « inéducables 4 ». Reconnus pour leur mission d’assistance, les orphelinats et les colonies pénitentiaires pour jeunes délinquants ont ainsi bénéficié d’une grande bienveillance des pouvoirs publics et semblent même en partie échapper aux querelles virulentes autour de l’éducation, qui agitent laïques républicains et catholiques à la fin du xixe siècle. Alors que les débats font rage à l’extérieur sur le contenu des programmes éducatifs de l’école primaire, ces établissements continuent à gérer en interne avec une grande marge de manœuvre leur enseignement, 4 5 alors même qu’ils accueillent des enfants d’âge scolaire. Ceci malgré les dénonciations parfois cinglantes de leurs pratiques. L’établissement officiel par la IIIe République d’une éducation primaire instaurant en 1880-82 l’obligation scolaire pour tous les enfants de 6 à 13 ans, révèle donc en creux ceux parmi eux qui échappent à ce cadre et à ce modèle du fait de leur placement dans des institutions. Dans une lettre rédigée en 1906 par Léon Bourgeois (ancien ministre de l’Instruction publique mais à l’époque sénateur de la Marne et ministre des Affaires étrangères) adressée à Aristide Briand, nouveau ministre de l’Instruction publique, le premier déclare : « Jusqu’à ce jour, les enfants anormaux se trouvent hors la loi, puisqu’ils ne peuvent être instruits dans des écoles ordinaires et qu’aucune école publique n’est mise à leur disposition 5. » Autrement dit, plus de vingt ans après les lois Jules Ferry, quelques voix, encore bien isolées, semblent prendre conscience de l’existence de toute une cohorte d’enfants qui a échappé à la politique éducative de la IIIe République, non pas du fait de leur mauvaise volonté ou de celle de leurs parents mais plutôt de l’inadaptation du système scolaire. Si l’on retient la définition du « hors-la-loi » proposée par Léon Bourgeois, le nombre d’enfants concernés est beaucoup plus important que ceux étiquetés dans la notion pourtant déjà vaste, parce que floue, d’« anormaux ». À ceux qui présentent des déficiences mentales ou physiques, se joignent les jeunes délinquants et les nombreux enfants placés pour des raisons familiales, que ce soit pour mauvais traitements, carences éducatives ou économiques, maladies ou décès d’un des parents. Force est de constater en effet les nombreuses similitudes dans le régime éducatif de ces internats tel qu’il est planifié tant pour les arriérés, pour les orphelins que pour les jeunes délinquants, quand ils ne se retrouvent pas dans les mêmes murs. La réflexion du directeur de l’Assistance publique, Henri Monod, émise à la fin du xixe siècle, reste en grande partie valable jusque dans l’entre-deux-guerres : « La loi de 1886 arme le gouvernement à l’égard des écoles libres ; la loi de 1892 arme le gouvernement à l’égard des manufactures qui emploient des enfants ; aucune loi ne l’arme à l’égard des orphelinats, des ouvroirs, des asiles 6. » C’est ce qu’avait aussi pointé Jean-Charles Rouit, rédacteur de la notice « orphelinat », dans la première version du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire coordonné par Ferdinand Buisson. Reprenant les arguments de la vaste enquête effectuée en 1882 par Théophile Roussel 7, l’article souligne que plus de la moitié des établissements recensés sont sans aucune situation légale, c’est-à-dire tolérés ou ignorés par l’autorité publique et que l’éducation qui y est impartie échappe à peu près entièrement à la dite autorité, l’inspection de l’État étant souvent remplacée par celle du clergé diocésain 8. La scolarité effective des jeunes traduits en Justice est tout aussi aléatoire, malgré le constat qu’ils sont encore nombreux à être enfermés entre 6 et 13 ans dans les prisons ordinaires 9 mais aussi à être placés dans les institutions para-pénitentiaires privées ou publiques. En 1880, sur l’effectif total des colonies pénitentiaires publiques et privées, qui est de 7 215 colons, il est estimé l’existence de 2 580 mineurs de moins de 12 ans (soit 36 %) et 2 384 mineurs de 14 ans (soit 33 %) 10. Si une instruction primaire est théoriquement prévue, et même une classification par âge un moment envisagée, l’éparpillement de ces jeunes enfants dans les différentes structures, qui entraîne une prise en charge indifférenciée avec les mineurs n’étant plus d’âge scolaire, en rend l’application difficile. Un constat d’autant plus paradoxal qu’une grande partie des directeurs de prisons, comme l’a montré Christian Carlier, sont issus des métiers de l’enseignement 11. Seul l’internat approprié de Chanteloup, installé dans une ferme annexe de la colonie pénitentiaire agricole de Saint-Hilaire, maintient cette spécificité sur le long terme 12. 6 7 Le détachement de quelques instituteurs et même la présence d’un corps d’instituteurs pénitentiaires dans ces établissements sont certes parfois mentionnés, mais le phénomène est tellement marginal qu’il n’avait fait l’objet jusqu’à ces dernières années encore d’aucune étude sérieuse 13. Les emplois du temps presque minutés en vigueur dans ces divers internats paraissent en tout cas laisser peu de plage horaire pour cette activité scolaire. Les inspecteurs primaires, quant à eux, ont fait preuve d’un grand aveuglement à l’égard de ces collectifs d’enfants, bien que l’article 43 de la loi du 30 octobre 1886 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire, rappelle que : « Sont assujetties aux mêmes conditions [que les écoles privées], relativement au programme, au personnel et aux inspections, les écoles ouvertes dans les hôpitaux, hospices, colonies agricoles, ouvroirs, orphelinats, maisons de pénitence, de refuge ou autres établissements analogues administrés par des particuliers. Les administrateurs ou directeurs pourront être passibles des peines édictées par les articles 40 et 42 de la présente loi [c’est à dire amendes, fermeture autoritaire de l’école, suspension des instituteurs, voire peine d’emprisonnement]. » Par ailleurs, l’analyse des débats des deux congrès internationaux d’Assistance, qui se tiennent à Paris en 1889 et 1900, révèle dans le domaine de la bienfaisance des alliances surprenantes entre adversaires farouches qui s’affrontent sur le terrain scolaire 14. Ce silence des acteurs se répercute sur la production historiographique pourtant abondante tant sur l’institution scolaire que sur les institutions de placement et d’enfermement. La question du respect de l’obligation scolaire pour les jeunes placés de 6-13 ans et du contenu des enseignements qui y sont impartis est comme minorée derrière la thématique plus large de l’éducation correctionnelle basée sur un enseignement moral, religieux et professionnel préconisé indistinctement pour l’ensemble des pupilles et des colons accueillis jusqu’à leur majorité (20 ans 8 Une politique anticléricale plus pragmatique accomplis) ! Cette omission dans les travaux scientifiques conduit même à faire l’impasse sur l’analyse des choix de l’âge de minorité pénale longuement débattu et finalement fixé pour les uploads/Histoire/ maison-des-sciences-de-l-x27-homme-d-x27-aquitaine-sur-les-traces-du-passe-de-l-x27-education.pdf
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Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 06, 2023
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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