Du merchandising des fabricants au merchandising des distributeurs, ou le brico

Du merchandising des fabricants au merchandising des distributeurs, ou le bricolage collectif d’un dispositif de gestion du march´ e Sandrine Barrey To cite this version: Sandrine Barrey. Du merchandising des fabricants au merchandising des distributeurs, ou le bricolage collectif d’un dispositif de gestion du march´ e. Economies et Soci´ et´ es, D´ eveloppement, croissance et progr` es - Presses de l’ISMEA - Paris, 2005, pp. 625-648. <hal-00798626> HAL Id: hal-00798626 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00798626 Submitted on 9 Mar 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. 1 Du merchandising des fabricants au merchandising des distributeurs, ou le bricolage collectif d’un dispositif de gestion du marché Sandrine Barrey1 Cet article restitue la genèse d’un dispositif de gestion du marché — le merchandising— visant à favoriser la rencontre entre l’offre et la demande par le biais d’un agencement contrôlé des produits sur le lieu de vente. Il décrit les conditions d’émergence de ce dispositif ainsi que l’évolution des rapports entre distributeurs et fabricants autour de la maîtrise de sa mise en œuvre. L’auteur montre enfin les processus par lesquels le merchandising a fini par se stabiliser autour d’une définition commune aux multiples professionnels du marché, tous à la recherche de nouveaux débouchés pour leurs activités. Mots clés : This paper shows the genesis of a market management device - the merchandising - which aims to favour the encounter between offer and demand through the bias of a controled arrangement of products in the salling place. The paper describes the raising conditions of this device, as well as the evolutions of links between distributors and manufacturers around the control of its set. The author finally shows the processes through which the merchandising has finally stabilised itself around a definition commonly agreed between the multiples market professionals, all looking for new prospects for their activities. Keywords : Code JEL: 1. Je tiens vivement à remercier les lecteurs anonymes pour les critiques et suggestions apportées à la première version de ce texte. Les analyses et les arguments développés ici n’engagent toutefois que l’auteur. 2 La socio-économie du travail tend depuis peu à étendre son regard de l’organisation et du travail à l’intérieur des institutions vers les procédures et les activités qu’elles mettent en œuvre pour « mettre en forme leur environnement ». L’étude des « professionnels du marché » dont le métier consiste à construire, organiser et maîtriser les échanges marchands nous invite à un tel élargissement (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000). Tandis que la figure abstraite du marché modélisée par les économistes passe sous silence les outils que les agents mobilisent pour organiser la rencontre entre l’offre et la demande, nous suggérons que c’est une approche concrète des marchés qui permet de saisir les différentes modalités de fonctionnement des échanges marchands. Cette démarche n’est pas nouvelle puisque de nombreuses contributions en sciences économiques et en sociologie visent à écarter le prix comme opérateur mécanique de la coordination marchande et à faire émerger d’autres opérateurs qui sont alors qualifiés de non marchands, comme la confiance (Baudry, 1994 ; Karpik, 1996) ; la réputation (Kreps, 1990) ; les conventions (Salais et Thévenot, 1986 ; Orléan, 1994) ; les réseaux sociaux et les relations interpersonnelles (Granovetter, 2000) ; etc. Si ces contributions ont considérablement enrichi la compréhension du fonctionnement des marchés concrets, il nous semble pourtant qu’en insistant sur la part sociale de la construction des échanges économiques, elles ne font qu’enrichir la croyance selon laquelle le cœur de la coordination marchande est un phénomène purement économique, réservé de fait aux économistes. Aussi, plutôt que de réifier le grand partage entre les objets qui relèveraient de la science économique et ceux qui relèveraient de la sociologie, nous proposons d’appréhender dans cet article un outil de gestion concourrant à la régulation des marchés dans la grande distribution, tout en attaquant de front les technicités et la part de rationalité qui sous-tiennent cette modalité particulière de la coordination marchande. Le merchandising est un instrument de gestion dont les distributeurs ont progressivement acquis la maîtrise pour favoriser la rencontre entre l’offre et la demande par le biais d’un agencement contrôlé des produits sur le lieu de vente. C’est aux conditions d’émergence de ce dispositif ainsi qu’à l’évolution des rapports entre distributeurs et fabricants autour de la maîtrise de sa mise en œuvre que nous nous intéresserons ici. L’enjeu de cette maîtrise est considérable : du contrôle de la phase finale de la mise en marché des produits au sein des grandes surfaces dépend à la fois la captation de la clientèle et le contrôle de l’appropriation d’une partie de la rentabilité. Aussi l’article propose dans un premier temps d’analyser les conditions d’émergence du merchandising, les forces qui sous-tendent ses transformations techniques, ainsi que l’évolution de la division du travail entre fabricants et distributeurs autour de son contrôle. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux processus par lesquels le merchandising a fini par se stabiliser autour d’une définition commune aux multiples professionnels du marché, tous à la recherche de nouveaux débouchés pour leurs activités. Le développement du merchandising s’est déroulé sur une courte période (une vingtaine d’années seulement), mais paradoxalement les transformations en cours ont été très denses. Retracer cette évolution suppose de s’intéresser à l’outillage progressif et additif de la relation marchande. Pour retracer cette genèse, la méthode a consisté à s’appuyer sur 3 le dépouillement d’une revue professionnelle destinée aux distributeurs : Points de Vente. La date de sa première parution (1962) correspond aux premières démarches merchandising des fabricants. Les exemples concrets de leurs mises en œuvre dans les grandes surfaces ainsi que les prises de positions exprimées dans la revue par les professionnels de l’offre permet ainsi de suivre l’arrivée du merchandising dans le secteur de la distribution et ses appropriations/transformations successives par les professionnels du marché. Les autres revues professionnelles (LSA, Linéaires, etc.) ainsi que les manuels de gestion ont fait l’objet de dépouillements plus ponctuels, pour préciser ou compléter certaines données. D’autres informations éclairant cette histoire sont extraites d’entretiens menés auprès de professionnels de la grande distribution qui ont vécu dans leur activité professionnelle les transformations en cours. Enfin, l’analyse d’un cas singulier de mise en œuvre d’outils merchandising par un grand fabricant (France-Glaces Findus) met au jour les efforts déployés par une entreprise pour « prendre ses marques » sur le marché, en effectuant un travail de « mise en contexte » (Latour, 1992) pour faire avancer ses propres affaires. 1. La mainmise sur le merchandising : un enjeu « au raz » des linéaires La notion de merchandising apparaît pour la première fois aux Etats-Unis dans des manuels tentant de formaliser certaines pratiques (Douglas, 1918 ; Copeland, 1927). En France, cette formalisation fut beaucoup plus tardive, même si les principes fondateurs de cette science de gestion ont été appliqués en France bien avant que le terme anglo-saxon ne vienne englober un ensemble de techniques aujourd’hui formalisées et modernisées. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir avec E. Zola (1984) et E. Thil (1966) des commerçants « modernes » du 19ème siècle, dont Aristide Boucicaut — fondateur du Bon Marché — constitue sans doute encore la figure emblématique. Cet artiste de la mise en scène des marchandises sur le lieu de vente avait, entre autres, déjà pressenti l’intérêt d’entasser les marchandises pour créer un effet de masse (Zola, op. cit., p. 91) ou encore de « noyer » des produits sans grande attractivité — comme les châles en été — au milieu de rayons beaucoup plus vivants pour dynamiser leur vente (Thil, op. cit., p. 30). Curieusement, la pratique du merchandising a d’abord concerné les entreprises de fabrication plutôt que celles de distribution. Les leaders du marché français, tels que l’Oréal et Gervais-Danone, furent en effet les premiers à entreprendre une action merchandising dès le début des années soixante (Seret, 1985). C’est en analysant les caractéristiques d’une nouvelle forme de vente, le libre-service, que nous comprendrons les raisons pour lesquelles les fabricants furent les premiers à s’intéresser à ce nouveau mode de gestion. 1.1. Le merchandising : une initiative des fabricants Le libre-service se caractérise par l’exposition de toutes les marchandises à l’œil du client. En outre, les acheteurs peuvent accéder très librement à tous les produits, et les choisir sans qu’une intervention humaine ne vienne s’interposer et canaliser ce choix. Bien sûr, l’activité publicitaire et les efforts des fabricants pour conditionner leurs biens (Strasser, 1989 ; Cochoy, 2002) constituent autant de « vendeurs silencieux » (Pidlitch, 1963). Mais ces médiations une fois contournées par les méthodes marchandes modernes, les fabricants ne pouvaient plus uploads/Industriel/ barrey-merchandising.pdf

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