École Boulle Philosophical Readings XI.1 (2019), pp. 26-32. Paris, France DOI:
École Boulle Philosophical Readings XI.1 (2019), pp. 26-32. Paris, France DOI: 10.5281/zenodo.2527738 e-mail : vettier.lou@gmail.com Biodesign, comment penser la production avec le vivant ? Lou Vettier Abstract: Today, a new kind of design is emerging. Bio- design, indeed, refers to the use of living matter as a tech- nology, when living organisms are essential components of the technology. These projects try to improve or up- grade technology or to make it evolve in a more sustaina- ble way. Biotechnology is the use of living matter and or- ganisms to develop or make products, to create new pos- sibilities, new technologies. But what happens when tech- nology meets living matter to create one entity ? This ar- ticle questions the ethical impacts of such projects through an overview of several projects in biodesign. Keywords: Biodesign; synthetic biology; biotechnology; living matter; ethics. 1. Design et éthique, un lien historique Le design est une discipline hybride, à la croisée de la po- litique, de la sociologie, de l’art et de l’ingénierie. Le de- sign est une discipline qui invente pour prendre part à des transformations au sein de la société. C’est là une de ses premières ambitions éthiques : comprendre les dysfonc- tionnements de l’environnement dans lequel il s’inscrit pour y proposer des alternatives. Comme outil d’é- laboration d’un monde idéal, le design écoute les émo- tions, les valeurs, les angoisses, les malaises, les décep- tions et tente d’y apporter des réponses. Le designer, créa- teur d’objets, d’espaces, d’images, se doit donc de remet- tre sans cesse en question le sens de ses productions et les pratiques ordinaires pour pouvoir apporter des réponses à des problèmes du quotidien. Le développement du design s’est toujours fait en parallè- le d’une réflexion éthique sur la production et l’industrialisation qui l’accompagnent. Alexandra Midal, docteure en histoire du design et commissaire d’exposition, attribue le premier emploi du mot « design » (en tant que véritable discipline et non en tant que verbe désignant une intention ou une réalisation), à Henry Cole en 18491. Henry Cole (1808-1882) a commencé sa carriè- re en tant que fonctionnaire anglais comme Conservateur de chroniques médiévales. A cette époque, l’industrie an- glaise est en pleine dynamique et a plusieurs longueurs d’avance sur les autres pays2. Henry Cole suit de près les objets industriels et « s’inquiète de voir l’homme pris dans l’engrenage de la machine3 ». Dans le Journal of Design qu’il crée en 1849, il entreprend de former et ré- former la production, dans une ambition à la fois éthique et esthétique. Il s’y indigne de la mauvaise qualité et du mauvais goût des productions réalisées par une mécanisa- tion excessive. Son contemporain, William Morris, consi- déré comme l’un des pionniers des arts décoratifs Art & Kraft et faisant partie des fondateurs de l’Art & Kraft, revendique lui aussi une réflexion sur la conduite de l’industrie mais également une prise en compte de la condition de l’ouvrier au sein du processus de fabrica- tion4. Il reprochait ainsi à l’in-dustrialisation de produire des ouvrages « médiocres », dégradant l’homme à la fois moralement et esthétiquement. Le développement du de- sign a donc été possible par des personnalités garantes d’une production d’objets dotée d’une éthique prônant des valeurs de production et de consommation. Plus d’un siècle et demi plus tard, le rapport qu’entretient l’éthique avec le design est toujours une question primordiale. S’il n’existe pas de « charte éthique du design », chaque designer étant libre de fixer ses prin- cipes moraux et d’inscrire ses productions de design dans des problématiques actuelles ; les enjeux éthiques sont cependant inhérents à la pratique du designer. Au- jourd’hui, d’un point de vue écologique, notre production industrielle a atteint un stade critique. La volonté d’établir de nouveaux écosystèmes et de rechercher des modèles de développement durable entraîne donc des réflexions sur d’autres façons de produire et de consommer. Des enjeux de durabilité s’invitent notamment au cœur des projets de design et se placent désormais en amont de la création de nouvelles technologies. Les enjeux de cette prise de cons- cience ont largement contribué à ouvrir le champ du de- sign au registre de l’éthique. Dans l’histoire du design, nombreux sont les designers qui se sont placés en marge d’une production de masse, d’une logique marketing et industrielle destinée à répon- dre à une consommation effrénée (comme Bruno Munari, Andrea Branzi, Victor Papanek…). Ce que ces designers veulent transmettre, c’est une vision plus utopiste, un de- sign qui souhaite faire changer les choses, les comporte- ments, les mentalités. En somme, un design qui question- ne l’utopie pour essayer de l’ancrer dans le monde réel. En refusant de se laisser influencer par les tendances du marché pour affirmer une éthique propre, ils revendiquent une prise de position par rapport à leurs principes moraux. Victor Papanek (1923 – 1998) designer, professeur et phi- losophe du design, a par exemple toujours impulsé une éthique dans sa production de designer. Il a remis en BIODESIGN, COMMENT PENSER LA PRODUCTION AVEC LE VIVANT ? 27 question les conséquences du design industriel tel qu’il lui a été enseigné, en protestant contre les impacts liés aux systèmes de production dans lesquels évolue le design de son époque. A travers ses textes comme ses objets, il met en question le design sous l’angle de l’éthique et l’écologie, pour dénoncer les effets de l’industrie sur le système. Dans Design pour un monde réel, écrit en 1971, il se place en pionner de l’écologie et du recyclage et de- mande aux designers d’assumer leurs responsabilités : Dans toute pollution, les designers ont leur part de responsabili- té. […] Tant que le designer s’occupera de confectionner de futi- les « jouets pour adultes » […], il n’aura pas raison d’être. [Le designer doit désormais avoir] un sens aigu des responsabilités morales et sociales5. Sa vision du design s’est également incarnée dans ses ob- jets, comme la Tin Can Radio, produite en 1965 pour l’UNESCO de Bali6. Créée à partir d’une boite de jus de fruit de récupération, Victor Papanek a réussi à faire une radio pour 9 centimes. Si cet objet a choqué ses pairs par son manque d’esthétisme, il incarne cependant la volonté de faire coïncider des valeurs morales et une éthique avec des impératifs de production. Dans la continuité des philosophies de ces designers atypiques, les designers d’aujourd’hui se doivent de se remettre toujours en question ainsi que de réfléchir aux moyens de production avec lesquels ils évoluent, pour re- vendiquer une éthique de production. Le design est une discipline de la forme. C’est une in- terprétation matérielle d’une réflexion immatérielle : cha- que objet de design, espace, image ou vêtement est d’abord pensé, imaginé à partir d’un scénario, d’une tech- nologie ou d’un besoin humain. Les contextes de création en design résultent de l’observation d’utilisations quoti- diennes d’objets ou bien d’anticipation et d’imagination d’interactions futures. Le rôle d’un designer est donc de transposer des usages, des envies dans des formes et des objets qui sauront les incarner. Le design s’exprime en objets, en espace, en images, et est destiné à être manipulé et utilisé. Il fait partie de notre culture matérielle quoti- dienne, il se ressent. C’est donc naturellement qu’il ques- tionne et laisse imaginer des possibles, des « autrements » et est donc à même d’engager des débats éthiques. Andréa Branzi, architecte et designer radical italien dans les an- nées 70, résume ainsi la fonction du design : « Le desi- gner est un inventeur de scénarios et stratégies. Ainsi, le projet doit s’exercer sur les territoires de l’imaginaire, créer de nouveaux récits, de nouvelles fictions, qui vien- dront augmenter l’épaisseur du réel7 ». Par ses qualités de prospection et d’anticipation, le designer introduit donc de nouveaux usages dans la vie quotidienne, permettant de remettre en question notre rapport traditionnel aux ob- jets et de questionner notre éthique de production. 2. Vers un nouveau type de production, le biodesign L’exposition En vie Alive – Aux frontières du design, montée par Carole Collet en 2013 à la Fondation EDF à Paris, a largement contribué à faire connaître le monde du design avec le vivant, le biodesign, en France. Ayant pour ambition de montrer cette « révolution tranquille qui se produit sous l’œil du microscope, loin de notre quotidien8 ». Carole Collet a réuni et mis en scène différents projets proposant des alternatives à la production industrielle ou artisanale actuelle tout en s’interrogeant sur un nouveau rapport à la biologie et au vivant. A travers des projets de design qui s’inspirent de la nature et qui mettent en valeur une nature reprogrammée, hybridée ou fantasmée, l’exposition interrogeait de nou- veaux moyens de création avec le vivant. Parmi eux, le projet Vessel #19 de Tomáš Libertíny laisse songeur. Le designer a réalisé un vase « slow tech », créé par 60 000 abeilles en deux mois, à rebours de la production indus- trielle cadencée et effrénée. En insérant une structure de base dans une ruche dessinée au préalable, le designer surveille la construction lente de la ruche, uploads/Industriel/ 4-vettier 1 .pdf
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- Publié le Jui 28, 2022
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