27 Sources de matières premières - Chapitre 1 - Les modèles ethnoarchéologiques

27 Sources de matières premières - Chapitre 1 - Les modèles ethnoarchéologiques de Nouvelle-Guinée PREMIÈRE PARTIE Jade Grandes haches alpines du Néolithique européen Ve et IVe millénaires av. J.-C. Résumé : A un moment de l’histoire de la recherche archéologi- que où le comparatisme strict est passé de mode, les exemples ethnographiques actuels de Nouvelle-Guinée s’avèrent de très grande importance théorique pour com- prendre, sur le vivant, ce qu’a pu être et représenter une hache de pierre polie. En s’appuyant sur les résultats de vingt-et-une missions en Nouvelle-Guinée, les auteurs proposent un panorama de différentes interprétations sociales, où l’on voit un outil efficace pour les défrichements être utilisé à d’autres fins, non techniques celles-là, hors des échanges marchands : l’accumulation de richesses, le paiement des compensa- tions pour les mariages et pour les morts, l’affichage des grands hommes, le fondement religieux des dons et les rituels de communication avec les esprits. Ainsi les pro- ducteurs de lames pour les haches et les herminettes se considèrent surtout comme des spécialistes de rituels puissants pour travailler des matières premières issues des Créatures Primordiales à l’origine du monde. C’est finalement cette charge sociale et religieuse qui donne alors toute sa valeur à des lames polies qui participent directement à la reproduction matérielle et idéelle des agriculteurs en ambiance forestière. De tels exemples ethnographiques actuels permettent ainsi de réfléchir différemment au statut des outillages de pierre polie du Néolithique et constituent de puis- sants modèles interprétatifs à tester sur des situations passées. Abstract : At a time in the history of archaeological research when the use of ethnographic analogy in its strict sense is out of fashion, the ethnographic examples from present-day New Guinea have considerable importance for archaeolo- gical theory in helping us to understand, from living people, what a polished stone axehead might represent. In using the results of their 21 years of fieldwork in New Guinea, the authors set forth a panorama of different social interpretations of polished stone axeheads, showing how a tool ostensibly for clearing the forest could be used for other, non-utilitarian purposes, and not just in the sphere of commerce : for the accumulation of wealth, for marriage and death payments, for demonstrating the status of im- portant men, for gift exchange and for rituals connected with communicating with the spirit world. Thus, the peo- ple who manufacture these axeheads are regarded above all as powerful ritual specialists, allowed to work with raw materials that were formed at the beginning of the world by Primordial Beings. It is this social and religious signifi- cance that lends axeheads their special value, as objects that participate in the material and ideological reproduction of these communities of forest farmers. Such modern ethnographic examples as these encou- rage us to reconsider the status and significance of Neo- lithic polished stone tools, and offer us powerful models to test against the remains of the past. (translation : Alison Sheridan) Chapitre 1 Les modèles ethnoarchéologiques de Nouvelle-Guinée Ethnoarchaeological models from New Guinea Anne-Marie Pétrequin et Pierre Pétrequin L es études scientifiques sur les lames de pierre polie qui équipent herminettes et haches pendant le Néo- lithique sont aujourd’hui orientées selon plusieurs direc- tions de recherche, rarement menées de front. La première orientation est, semble-t-il, celle des minéra- logistes qui s’attachent à déterminer les roches d’où ont été tirées ces haches, en utilisant souvent un large spec- tre de techniques et d’appareillages issus de la géologie et de la pétrographie ; le but est d’identifier l’origine des gîtes exploités et de reconstituer des transferts théori- ques de matière première et d’artefacts en ligne droite, depuis les affleurements potentiels jusqu’aux utilisateurs les plus lointains. Dans cette spécialité issue des Scien- ces naturelles (mais où la vie sociale a été gommée), la chronologie et le classement typologique des industries en pierre polie occupent peu de place, comme s’il pouvait avoir existé une sorte de tradition des modalités d’extrac- tion, de mise en forme, de circulation et d’utilisation des haches pendant des périodes très longues du Néolithi- que, pendant parfois plusieurs milliers d’années sans que des évolutions sensibles aient pu se faire jour. Une deuxième orientation, à notre sens, est celle que privilégient les fonctionnalistes, c’est-à-dire les préhisto- riens qui focalisent leurs recherches sur les techniques, au sens élémentaire d’une plus ou moins grande effica- cité des outils sur la matière première. De ces travaux, on retiendra les conditions d’extraction, les processus de taille, bouchardage, sciage, la reconstitution des em- manchements et l’étude des traces d’utilisation. Cette orientation de recherche tend à donner le plus grand rôle à l’observation des stigmates et des séquences opéra- toires, pour une évaluation des techniques et des savoir- faire mis en œuvre pour la production et l’utilisation d’une hache de pierre. Les aspects chronologiques et sociaux de la production, des échanges et de l’utilisation des outillages semblent, dans la plupart des cas, être mainte- nus à l’arrière-plan ou parfois même considérés comme définitivement inaccessibles au préhistorien. En schéma- tisant, on pourrait dire que cet axe de recherche est cal- qué sur celui des Sciences de l’ingénieur. 28 Sources de matières premières - Chapitre 1 - Les modèles ethnoarchéologiques de Nouvelle-Guinée PREMIÈRE PARTIE Les typologues tendent à suivre une troisième voie, celle du classement des formes, de la chronologie et des rap- ports spatiaux avec les assemblages d’artefacts dans le cadre de cultures archéologiques en perpétuelle évolu- tion, selon des rythmes temporels plus ou moins rapides. L’accent est alors mis sur la notion d’instabilité, de rééqui- librage permanent et de transformation des assemblages culturels, selon des processus complexes qu’abordent de front les Sciences humaines pour tenter de recons- tituer certains des fonctionnements sociaux sur lesquels repose l’Histoire. L’outil de pierre polie, comme tous les autres artefacts d’ailleurs, devient alors un signe décrit et interprété comme marqueur de phénomènes de société. On objectera, bien sûr, que ces différentes approches de- vraient être nécessairement complémentaires, pour éclai- rer tour à tour les différentes facettes qu’offre un outil à lame de pierre polie. On voit en effet assez mal comment on pourrait sciemment exclure l’un ou l’autre de ces points de vue, ou bien privilégier l’un d’entre eux au détriment des autres, même si la complexité des techniques et des méthodes scientifiques sollicitées tend à accentuer les spécialisations étroites dans les recherches archéolo- giques. Mais l’histoire de la recherche montre qu’en fait l’association pluridisciplinaire reste encore une exception à ce jour (en dépit d’un vocabulaire convenu), avec des spé- cialistes qui défendent des points de vue très différents et parfois même à tendance dominatrice ou hégémonique. Derrière ces spécialisations choisies ou imposées, il n’est, semble-t-il, qu’un dénominateur commun : la relative fai- blesse des hypothèses interprétatives de situations pas- sées, que l’on parle des modalités de production (qui, où, comment, pourquoi ?), des transferts à longue distance (comment, dans quel but, pourquoi ?) ou de l’utilisation des haches de pierre (outil technique, signe social et pour- quoi ?). Bien sûr, il y a longtemps que tous les chercheurs tentent de faire la distinction entre des haches utilisées pour l’abattage des arbres et le travail du bois ; et des lames magnifiquement polies qui sont classées parmi les objets de « prestige », « cérémoniels » ou « rituels », des termes assez vagues et de faible valeur heuristique dans leur définition actuelle. De plus, les fondements de cette distinction conventionnelle entre utilitaire et non utilitaire, entre fonctionnel et non fonctionnel ne sont pas toujours clairs et pourraient simplement participer à notre tendan- ce d’hommes « occidentaux » à raisonner par oppositions binaires simples plutôt qu’à affronter des systèmes plus complexes, pourtant bien attestés dans le fonctionne- ment de nos propres sociétés, mais que nous avons du mal à appréhender, peut-être en raison de leur proximité et de leur banalité même. En d’autres termes, il n’est pas interdit de penser que les chercheurs (dont nous som- mes) tendraient à simplifier leurs études et leurs interpré- tations en se fondant (inconsciemment) sur une certaine idée du « bon sens » de l’homme « moderne », ce qui équivaudrait à juger de situations passées uniquement à l’aune des valeurs (idéelles) de nos propres sociétés. Si le fait était avéré, il s’agirait tout simplement d’une parfaite attitude ethnocentrique et univoque, qui pourrait nuire à la qualité des recherches et des raisonnements, faute de recul et d’expérience multiculturelle de la complexité. En d’autres termes, nos approches scientifiques actuelles pourraient reposer sur un comparatisme ethnographique étroit, de surcroît limité à nos propres sociétés occidentales, où certains mythes dominants et politiquement corrects (le positivisme, le matérialisme, la technologie, la scien- ce, le progrès, le développement durable...) ont la vie par- ticulièrement dure (Pétrequin et Pétrequin 1992). Bien longtemps après les ethnologues eux-mêmes, plusieurs théoriciens de la New Archaeology se sont tournés vers des situations ethnographiques actuelles pour construire des modèles prédictifs et tester sur le passé d’autres théories interprétatives, à la recherche de tendances générales sous- jacentes aux fonctionnements des sociétés agricoles. Pour notre propos sur les haches de pierre polie, rappelons uploads/Industriel/ les-modeles-ethnoarcheologiques-de-nouve-pdf 1 .pdf

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