Les conditions de travail des ouvriers se sont transformées depuis les trente d
Les conditions de travail des ouvriers se sont transformées depuis les trente dernières années, en particulier pour les ouvriers de l’industrie qui faisaient auparavant figure d’emblèmes. Sur fond de réduction des effectifs non qualifiés, de hausse du chômage et de croissance de la précarité d’emploi, les ouvriers doivent aujourd’hui faire preuve d’une plus grande autonomie et répondre à des exigences supérieures. Autrement dit, l’industrie française, en se réorganisant, s’est faite plus sélective et mise maintenant sur les compétences individuelles. Cet article propose une courte synthèse des travaux sur les nouvelles conditions de travail. S elon Marx, l’ouvrier était assujetti au capitaliste en raison d’une relation salariale intrinsèquement biaisée en faveur de ce dernier. C’est pourquoi l’ouvrier était placé au cœur des problèmes de la société industrielle.T outefois, le pivot de l’argumentation concernait moins l’ouvrier en particulier que le salarié en général. Il concernait la société salariale. Cela est apparu de plus en plus clairement avec l’expansion du secteur tertiaire, la hausse du chômage et le dévelop- pement d’emplois à statut précaire. Aussi le débat social qui tournait autour de la question ouvrière s’est-il déplacé (Castel, 1999). Il porte aujourd’hui sur la protection salariale et, plus généralement, la protection sociale ; et, en creux, il s’exprime en termes d’exclusion et de précarité, donnant le sentiment qu’il n’y a plus de question ouvrière. Il reste que la condition ouvrière connaissait dans le même temps de profonds changements : réorganisation du fait d’une capacité d’auto- matisation accrue, déplacement des postes d’atelier vers des occupations liées à l’entretien ou au contrôle des machines, ou encore aux transports des biens en amont et en aval de la fabrication proprement dite, participation à différents cercles d’expression, etc. Les métiers emblématiques de métallo ou de mineur disparaissaient. Les grandes entreprises où se côtoyaient des milliers d’ouvriers et où se forgeaient les bastions du syndicalisme et de la culture ouvrière réduisaient drastiquement leur effectif en délocalisant et en développant la sous-traitance. LES TRANSFORMATIONS DES CONDITIONS DE TRAVAIL DES OUVRIERS Maxime Parodi Cellule de sociologie de l’OFCE Janvier 2004 Revue de l’OFCE 88 Depuis quelques années, les sociologues s’intéressent à nouveau à la condition ouvrière. T out simplement parce que l’ouvrier, loin de disparaître, représente encore un quart de la population active. Sociographie d’un déclin récent Il vaut de mesurer l’ampleur des changements. Depuis la révolution industrielle, le nombre d’ouvriers a été en progression continue. Il n’y a guère qu’au cours des années 1930 que le nombre d’ouvriers a diminué en raison du creux des naissances de la Première Guerre mondiale et de reconversions professionnelles d’ouvriers occupés ou au chômage vers des postes d’employés (Marchand et Thélot, 1991). C’est toutefois l’exception sur deux siècles de croissance durable. Celle-ci a d’abord été le fruit de l’exode rural, même si à partir des années 1920, ce sont les catégories du tertiaire qui en ont le plus bénéficié. Le poids des ouvriers atteint son maximum au milieu des années 1970 : la France compte alors environ 8 millions d’ouvriers, représentant 37 % de la population active. L’importance de l’emploi ouvrier apparaît avec plus d’évidence encore si l’on observe les trajec- toires socioprofessionnelles. On constate alors que 60 % des hommes qui ont commencé à travailler dans les années 1950 et qui étaient encore en emploi en 1989 ont eu une expérience de travail ouvrier. C’est dire, au passage, qu’un ouvrier ne le reste pas forcément puisque, pour cette génération, seuls 30 % sont restés ouvriers tout au long de leur carrière (Chenu, 1993). Depuis 1980, le nombre d’actifs ouvriers diminue au rythme moyen de 50 000 par an. Lors du dernier recensement en 1999, il y avait ainsi 5,9 millions ouvriers auxquels s’ajoutent 1,1 million de chômeurs qui ont exercé un métier d’ouvrier (donc sans tenir compte des jeunes à la recherche d’un premier emploi). Malgré tout, ils forment encore plus du quart de la population active. Ce sont les ouvriers non qualifiés de type industriel qui ont subi l’essentiel de la baisse (graphique). De 1975 à 1995, ils passent de 2,5 millions à 1,1 tandis que les nombres d’ouvriers qualifiés et d’ouvriers non qualifiés de l’artisanat se sont relativement bien maintenus. Les enquêtes Emploi (INSEE) permettent d’observer les évolutions spécialité par spécialité sur la période. S’agissant des ouvriers non qualifiés, la taille de l’échantillon reste largement suffisante pour autoriser une telle précision. Il faut toutefois éviter de se fier aux années d’enquêtes où le questionnaire a été modifié substantiellement, où manifestement la catégorisation est mal maîtrisée et où les taux de non classement augmentent fortement. Ceci dit, on peut connaître à peu près les évolutions du nombre d’ouvriers non qualifiés de type industriel par domaine de spécialisation sur quinze ans (tableau). Maxime Parodi 186 Revue de l’OFCE 88 LES TRANSFORMATIONS DES CONDITIONS DE TRAVAIL DES OUVRIERS 187 Revue de l’OFCE 88 Évolution des effectifs d'ouvriers non qualifiés par secteur de 1984 à 1999 Profession Effectif en 1999 Variation de 1984 à 1999 (en %) Ouvriers non qualifiés du travail du cuir 8 534 – 84 Aides mineurs, ouvriers non qualifiés de l'extraction 5 539 – 80 Ouvriers non qualifiés de la confection 34 895 – 76 Ouvriers non qualifiés du textile et de la tannerie-mégisserie 29 276 – 68 Ouvriers non qualifiés travaillant par formage de métal 20 362 – 67 Ouvriers non qualifiés de la métallurgie, du verre, de la céramique et des matériaux de construction 30 752 – 66 Ouvriers non qualifiés du travail du bois 38 386 – 52 Ouvriers non qualifiés des travaux publics et du travail du béton 58 252 – 46 Ouvriers non qualifiés de montage, de contrôle, etc.… en mécanique 120 705 – 40 Ouvriers non qualifiés des industries agricoles et alimentaires 90 024 – 39 Ouvriers non qualifiés de la chimie 79 796 – 35 Ouvriers non qualifiés de l'électricité et de l'électronique 67 277 – 35 Ouvriers non qualifiés de la fabrication des papiers et cartons et des industries lourdes du bois 14 323 – 31 Ouvriers non qualifiés travaillant par enlèvement de métal 33 203 – 29 Ouvriers non qualifiés divers de type industriel et ouvriers mal désignés 89 253 – 22 Manutentionnaires, agent non qualifiés des services d'exploitation des transports 181 914 + 9 Ouvriers du tri, de l'emballage, de l'expédition 183 793 + 18 Sources : Enquêtes emploi 1984 et 1999, INSEE. L'évolution des ouvriers non qualifiés divers ou mal désignés est particulièrement délicate à interpréter : on ne peut savoir ici s'il faut l'imputer aux défauts de la mesure ou à des évolutions réelles. 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 1962 1966 1970 1974 1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 ouvriers qualifiés de type industriel ouvriers qualifiés de type artisanal chauffeurs ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage, des ouvriers non qualifiés de type industriel ouvriers non qualifiés de type artisanal ouvriers agricoles chômeurs ayant exercé un métier d'ouvrier On retrouve ce qui est bien connu : les secteurs traditionnels comme le travail du cuir, la confection, le textile, les mines ou encore la sidérurgie ont subi un net recul des emplois, pour ne pas dire un effondrement. Aucun secteur industriel n’a de toute manière échappé à ce recul quantitatif du fait des restructurations. L’emploi non qualifié se déplace vers de nouveaux domaines et nourrit au passage un chômage de masse. T outefois, depuis 1994 le nombre d’ouvriers non qualifiés stagne plutôt, voire même augmente légèrement, peut-être sous l’effet de la réduction des charges sociales sur les bas salaires. Le déplacement vers des métiers de service est visible puisque seuls les manutentionnaires des services d’exploitation des transports et les ouvriers du tri, de l’emballage et de l’expédition sont en progression. La production en tant que telle devient moins créatrice d’emplois que tout ce qui touche en amont et en aval à la logistique. Ce faisant, la distinction entre ouvrier et employé s’atténue fortement, surtout pour les non qualifiés. D’un côté l’ouvrier s’occupe moins de la production matérielle et doit tenir compte de nouvelles exigences telles celles des fournisseurs ou des clients ; de l’autre de nombreux métiers des services deviennent répétitifs et standardisés lors de l’introduction de nouvelles technologies. L’instabilité des emplois ouvriers a également fortement augmenté depuis les années 1970. Ce sont surtout les travailleurs non qualifiés, qu’ils soient ouvriers ou employés, qui sont concernés par cette insta- bilité (Chardon, 2001). Le recours aux CDD, aux stages et aux contrats Maxime Parodi 188 Revue de l’OFCE 88 Évolution des catégories ouvrières Effectif (en milliers) Sources : INSEE : recensements (1962, 1975, 1982); enquêtes Emploi (1983 à 2002) Ouvriers qualifiés de type industriel Ouvriers qualifiés de type artisanal Chauffeurs Ouvriers non qualifiés de type industriel Ouvriers non qualifiés de type artisanal Ouvriers agricoles Chômeurs ayant exercé un métier d’ouvrier Ouvriers qualifiés de la manutention, magasinage et transports aidés se développe dans tous les secteurs d’emplois non qualifiés ; ils concernent ici les ouvriers non qualifiés de l’industrie (10 % environ dans l’enquête Emploi de mars 2000) et de l’artisanat (12 %) ainsi que les ouvriers agricoles uploads/Industriel/ reof-088-0185 1 .pdf
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- Publié le Jul 15, 2021
- Catégorie Industry / Industr...
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