Jean-Marc Siroën, Développement économique et développement social 47 ANNEXE AN

Jean-Marc Siroën, Développement économique et développement social 47 ANNEXE ANALYTIQUE 1) Les effets statiques de l’exploitation du travail sur le commerce international. Le modèle générique du commerce international raisonne à partir d’une économie qui dispose d’un volume connu et fixe de facteurs ce qui, compte tenu des techniques de production disponibles (à rendements constants), permet de tracer une courbe des possibilités de production. Ce raisonnement en termes de dotations implique que l’offre de facteurs soit exogène et inélastique. Le prix des biens finals détermine la rémunération des facteurs (théorème de Samuelson) compte tenu du comportement de maximisation des profits des entrepreneurs. Les facteurs s’allouent alors de telle manière que ce salaire d’équilibre soit égal à la productivité marginale du travail. Un salaire minimum situé au-dessus du salaire d’équilibre provoquerait l’apparition d’un sous-emploi et impliquerait l’élasticité parfaite de l’offre de travail (BRECHER, 1974). Cette approche est asymétrique puisque l’inélasticité supposée de l’offre de travail rend physiquement impossible le suremploi. Le salaire minimum ne peut donc être envisagé qu’au-dessus de la productivité marginale. Cette démarche, proposée notamment par BRECHER (1974) pour les pays industriels, exportateurs de biens intensifs en capital, n’est pourtant pas adaptée pour traiter de la clause sociale. Certes, d’un point de vue positif, le caractère exogène de l’offre de travail permet a priori d’introduire n’importe quelle législation sociale dans l’analyse. Néanmoins, le point de vue normatif, qui doit être privilégié ici, implique l’endogénéisation du volume de travail de « plein emploi ». A défaut, toute contrainte supplémentaire sur l’offre de travail -par exemple, l’interdiction du travail des enfants- implique l’affaiblissement des capacités de production, le déplacement vers l’origine de la courbe des possibilités de production et la contraction du bien-être national. De ce point de vue, la politique la plus favorable à la production serait celle qui utiliserait tout le travail disponible, femmes, enfants, vieillards, malades, etc. ! La surabondance du travail conduirait alors à maintenir des processus de production très peu capitalistiques et donc à productivité marginale du travail faible, validant, ex post, le niveau des salaires courants. Ne pas s’interroger sur la pertinence de la valeur donnée au volume de (plein) emploi introduite de manière exogène dans le modèle, risque donc d’aboutir à des résultats tautologiques. Cette confusion entre le normatif et le positif peut être partiellement levée dans la mesure où la théorie du commerce international propose implicitement certains critères pour évaluer le volume « optimal » de plein emploi. En effet, le postulat d’inélasticité globale de l’offre de travail n'est justifié que par l’hypothèse préalable de marchés parfaitement concurrentiels. Localement, l’élasticité de l’offre de travail doit alors exprimer la capacité d’arbitrage des travailleurs entre les différents types d'emplois proposés. Le fait que tous les travailleurs soient prêts à travailler quel que soit le salaire proposé (inélasticité globale) ne doit pas les empêcher de choisir leur employeur (élasticité locale). Ce type d’arbitrage est nécessaire pour révéler le salaire d’équilibre à partir duquel raisonnent les modèles de commerce international. Or, ce fonctionnement concurrentiel du marché du travail n’est pas compatible avec n’importe quel niveau d’offre de travail. Le travail forcé, la discrimination, le travail d’enfants (trop jeunes pour exercer leur arbitrage et souvent assujettis à l’autorité des parents ou des employeurs) sont des pratiques qui influencent positivement le volume du travail mais qui empêchent le fonctionnement concurrentiel du marché. Localement, ces situations L’incidence d’une clause sociale 48 de dépendance et d’assujettissement rendent alors l’offre de travail insensible aux prix. Cette inélasticité doit alors être interprétée, selon l’analyse micro-économique traditionnelle, comme un indicateur du pouvoir de monopsone des employeurs. Remarquons que, dans les cas visés par la clause sociale, la situation non concurrentielle n’a pas à être démontrée. Elle l’est per se du fait même de l’absence de pouvoir d’arbitrage des employés. Les situations de monopsone doivent être distinguées des situations de sous développement à la Lewis (1954) qui se caractérisent par l’existence d’une main d’oeuvre abondante à productivité marginale très faible ce qui, contrairement au modèle du commerce international, se traduit par une forte élasticité globale de l’offre de travail. Toutefois, l’analyse montre que les pays intermédiaires, voire industrialisés qui ont, en principe, échappé à ce type de situation, maintiennent des pratiques incompatibles avec les normes fondamentales : travail des enfants, surexploitation de travailleurs clandestins. Dans ces cas, la pression sur les salaires permet aux employeurs de maintenir des rémunérations faibles dans les secteurs où la productivité marginale justifierait des salaires plus élevés. Cet écart ne peut être maintenu que par de fortes segmentations du marché du travail ou du marché des biens (barrières à l’entrée ou droit social dérogatoire dans des zones franches). De nombreux observateurs ont noté que les secteurs industriels ou exportateurs rémunéraient mieux le travail que les secteurs traditionnels. Néanmoins, ce constat ne fait que révéler la segmentation des marchés du travail et les distorsions introduites par l’absence de lois sociales uniformes. L’analyse ci-dessous repose sur la présentation néoclassique de la spécialisation en équilibre général. S’il présente de sérieuses limites, c’est néanmoins autour de son interprétation que se construisent les arguments (voir l’annexe analytique de OCDE, 1996). Le niveau de « bien-être » est apprécié par une courbe d’indifférence collective qui représente le degré de satisfaction procuré par la consommation globale. Un déplacement de cette courbe vers le haut signifie un accroissement de bien-être collectif qui est compatible avec la dégradation de la situation de certains groupes. Les fonctions de consommation sont homothétiques ce qui permet de situer les points d’équilibre sur une droite (OS). Deux secteurs (deux produits) sont considérés : l’un est intensif en travail peu qualifié qui constitue le facteur relativement abondant ; l’autre est intensif dans les autres facteurs (capital, travail qualifié, etc.) considérés comme rares. Le niveau de production « concurrentiel » se situe sur la courbe des possibilités de production TT’ dont la position dépend de la quantité et de la nature des facteurs disponibles ainsi que des fonctions de production (et, notamment, de l’élasticité de substitution entre les facteurs). Sous l’hypothèse du « petit » pays, le prix est donné par le marché mondial. Le modèle ne considère que le prix relatif des biens. Graphiquement, c’est la pente, et non la position, des droites représentatives qui indique ce prix relatif (un durcissement de la pente implique ainsi la hausse du prix du bien représenté en abscisse, c'est-à-dire, ici, le bien exportable intensif en travail). La situation de référence est celle d’une économie parfaitement concurrentielle. Le prix des biens est égal à leur coût marginal et les facteurs de production sont rémunérés à leur productivité marginale. Cette situation implique que la droite de prix représente également le « coût d’opportunité » ou le « coût social » des biens produits. Jean-Marc Siroën, Développement économique et développement social 49 Le niveau de production est déterminé par le point de tangence entre une droite de prix [1] donnée et la courbe TT’ des possibilités de production (point A) déduites des dotations en facteurs et des fonctions de production. Le niveau de consommation est donné par les coordonnées de A’’. A’A’’ et A’A représentent respectivement le volume des importations et des exportations. Les échanges sont équilibrés. Dans les faits, le non respect de certaines normes sociales fondamentales écarte le système économique de cette référence et exerce plusieurs effets contradictoires. - L’effet le plus assuré est la baisse de la rémunération relative du travail ce qui avantage le secteur qui emploie le plus intensément ce facteur. L‘exploitation du travail a donc pour effet de dissocier le coût social de la production de son coût réel ce qui signifie une séparation des deux types de prix : le prix du bien tel qu’il est donné par le marché et le coût d’opportunité de ce bien. - L’effet le moins assuré concerne l’influence sur la quantité et la productivité des facteurs et donc sur la position et la forme de la nouvelle courbe des possibilités de production. En principe, le travail des enfants ou le travail forcé doit permettre l’augmentation des ressources disponibles en travail et donc déplacer la courbe des possibilités de production. D’après le théorème de Rybczinsky, l’augmentation de la quantité de travail devrait provoquer une réallocation des ressources en faveur du secteur exportateur, intensif en travail. La part du commerce extérieur dans la production nationale devrait donc augmenter. Néanmoins, une partie de ce travail se substitue au travail des adultes. Par ailleurs, le recours à ces facteurs marginaux tend à accroître le pouvoir de monopsone des employeurs qui peut les conduire à restreindre l’emploi pour peser sur les conditions de travail. Enfin, la productivité de la main d’oeuvre marginale est, a priori, plus faible que celle de travailleurs adultes libres. Dans une situation avec « exploitation du travail » (rémunération non concurrentielle), nous supposons (hypothèse défavorable à la clause sociale) que les effets expansifs sur le volume de l’emploi l’emportent sur les effets dépressifs ce qui fait reposer l’analyse sur une nouvelle courbe passant par B située au-delà de la courbe de référence. En corollaire, cet accroissement de l’offre de uploads/Industriel/ siroeen-clause-sociale.pdf

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