Sociétés contemporaines Deux formes de freinage dans un atelier de mécanique :
Sociétés contemporaines Deux formes de freinage dans un atelier de mécanique : respecter les quotas et tirer au flanc. Précédé d'une présentation de J.P Briand et J.M Chapoulie Donald Roy Résumé RÉSUMÉ: Quand on examine l’activité de production des ouvriers de l’industrie dans le cadre d’une observation participante, on s’aperçoit que faire traîner le travail ne relève pas nécessairement de l’inaction comme l’ont pensé un certain nombre de chercheurs qui ont étudié ce sujet. L’examen attentif et minutieux des diverses manières d’en faire le moins possible, dans un atelier de construction mécanique où l’on était payé aux pièces, a montré que le respect par un groupe d’un plafond de production n’était qu’un moyen parmi d’autres dans la panoplie dont disposaient les ouvriers pour limiter le rendement, et que le groupe s’employait à limiter la production à longueur de journée. Abstract DONALD ROY Quota Restriction and Goldbricking in a Machine Shop When the production behavior of industrial workers is examined by participant observation, it is seen that loafing on the job may not be the simple line of inactivity that some students of the subject have thought it. Close scrutiny of the particulars of " soldiering" in one piecework machine shop revealed that group adherence to a " bogey" was but one of several kinds of output restriction in the repertoire of machine operatives ant that the work group was restricting production day in and day out. Citer ce document / Cite this document : Roy Donald. Deux formes de freinage dans un atelier de mécanique : respecter les quotas et tirer au flanc. Précédé d'une présentation de J.P Briand et J.M Chapoulie. In: Sociétés contemporaines N°40, 2000. pp. 29-56; doi : https://doi.org/10.3406/socco.2000.1812 https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_2000_num_40_1_1812 Fichier pdf généré le 03/04/2018 J . - P . B R I A N D , J . - M . C H A P O U L I E Sociétés Contemporaines (2000) n° 40 (p. 29-31) 29 QUOTA RESTRICTION AND GOLDBRICKING IN A MACHINE SHOP PRESENTATION DE LA TRADUCTION Les trois articles tirés par Donald Roy (1911-1980) de sa thèse de Ph. D. sont restés, aux États-Unis et ailleurs, des classiques de la sociologie du travail, toujours cités et jamais remplacés par des travaux plus récents sur les mêmes thèmes. Dans le contexte de l’immédiate après-guerre, Roy, un étudiant de l’Université de Chicago, avait pris un emploi d’ouvrier sur machine pour payer ses études. À la suggestion d’Everett Hughes, il commença à prendre des notes sur ce qu’il faisait et ce que fai- saient ses camarades de travail, dans l’atelier et au dehors. Il trouva ainsi un sujet pour une thèse qu’il soutint en 1952. Au cours de la seconde partie de sa carrière, Roy étudia l’implantation du syndicalisme chez les ouvriers du Sud des États-Unis, procédant toujours selon la même démarche d’observation prolongée. Ses notes de terrain, pour l’ensemble des recherches menées par Roy, ont été conservées à Duke University, où Roy passa la totalité de sa carrière d’enseignant. Elles révèlent ce que laissent pressentir les articles publiés : Roy fut un chercheur de terrain exceptionnel par la minutie et la finesse de ses observations. Les archives de Duke ont conservé le manuscrit d’un ouvrage sur la syndicalisation ouvrière dans le Sud, qui était presque achevé en 1980. L’article dont on trouvera ici une traduction est le premier et le plus connu de ceux que publia Roy. Il fait partie d’un projet de publication d’un recueil de Roy en français. Roy s’attache à décrire les comportements et les relations de travail dans un ate- lier du point de vue des ouvriers dont il partagea l’expérience : il part des catégories des ouvriers eux-mêmes, il reprend souvent leurs expressions pour mener ses pro- pres analyses, et ne donne comme informations sur les autres services que celles qui leur – et donc lui – étaient accessibles (par le contact direct ou par ouï-dire). Même dans sa thèse 1, Roy ne donne guère de précisions sur la nature des pro- duits finaux de son entreprise et de son atelier. Tout au plus cite-t-il un document de 1. Roy Donald : Restriction of Output in a Piecework Machine Shop, thèse de Ph. D. de sociologie, University of Chicago, 1952. J . - P . B R I A N D , J . - M . C H A P O U L I E 30 Geer Company (un pseudonyme), daté de 1945, qui donne cette liste : des moteurs, des produits destinés à la maintenance du matériel ferroviaire, des engins de forage, des wagons de chemin de fer avec essieux à écartement variable, des valets indus- triels. Burawoy, qui a réalisé en 1974 une enquête dans la même entreprise, entre- temps rachetée par un groupe, retrace l’historique des productions 2. L’entreprise, née en 1881, a commencé par fabriquer du matériel ferroviaire, puis elle s’est lancée dans les moteurs d’automobiles et spécialisée dans les moteurs de camions et de ca- nots de sauvetage ; au début de la deuxième guerre mondiale, ses productions se sont étendues aux chariots-élévateurs et aux moteurs de tanks et d’avions. (On peut supposer que les « jacks » évoqués plusieurs fois dans le texte de Roy sont des vé- rins pour ces chariots-élévateurs, engins de forage, etc. ; c’est la traduction adoptée ici, plutôt que cric, autre sens de « jack ».) Roy ne rappelle pas non plus ici que les relations de travail sont marquées par certaines particularités dues à la période de guerre. Les ouvriers ne peuvent pas faci- lement quitter leur emploi ; les syndicats s’engagent à ne pas déclencher de grèves ; en contrepartie, les salaires sont augmentés, la sécurité d’emploi des syndicalistes est garantie, et les cotisations syndicales sont prélevées automatiquement par l’entreprise sur la feuille de paie des ouvriers, pour être reversée au syndicat – au- quel pratiquement tous les ouvriers sont affiliés. Les traducteurs se sont efforcés de rester fidèles aux expressions empruntées par Roy au langage qui avait cours parmi les ouvriers entre eux ou dans leurs échanges avec les « services » qui organisent et surveillent le travail. On a ainsi traduit par « opérateur » le terme « operator » qui désigne spécifiquement les ouvriers sur ma- chine individuelle de l’atelier où travaille Roy. On a systématiquement respecté aus- si les termes qui rendent compte des opérations compliquées de la comptabilité in- terne du travail : « to earn » et « earning », traduits par « gain » et « gagner » (qu’il s’agisse d’un gain effectif ou potentiel, dont l’article étudie les relations dans l’expérience des ouvriers) ; « to turn in » et « turn in », traduits par « rendre » et « rendement », désignant les pièces produites et acceptées par les contrôleurs, enre- gistrées au compte de l’ouvrier, par opposition aux pièces « produites » (dont certai- nes à retoucher ou mises en réserve) ; « piecework », traduit par « travail aux piè- ces ». Enfin, on a traduit par « s’en sortir » le terme familier « (to) make out » cons- tamment utilisé dans les propos des ouvriers cités par Roy. On peut remarquer toutefois que certains des termes principaux utilisés par Roy dans ses analyses ne se trouvent pas dans les citations. Il en va ainsi pour un terme issu de l’argot militaire comme « goldbricking », traduit par « tirer au flanc ». Il en va de même pour quelques expressions consacrées de la sociologie du travail comme « output restriction » (limitation de la production, ou du rendement) ou, plus signifi- catif encore, pour « quota » et « quota restriction ». Non seulement cette dernière expression n’apparaît pas dans les citations, comme on peut s’y attendre, mais même le terme « quota » n’est pas employé par les ouvriers. Ce terme – comme celui de « bogey », employé deux fois par Roy comme un strict équivalent – est établi comme une catégorie d’analyse au moins depuis l’enquête dirigée par Mayo sur la 2. Burawoy, Michael : Manufacturing Consent : Changes in the Labor Process under the Monopoly Capitalism. Chicago and London, The University of Chicago Press, 1979. Cf. p. 35-39 ; le docu- ment de Geer cité est reproduit p. 36-37. P R E S E N A T I O N D E L A T R A D U C T I O N 31 Western Electric à Hawthorne – ce que Roy n’ignore évidemment pas, comme on le voit dans l’article 3. Quant à l’expression « quota restriction », que nous avons tra- duite par « respect d’un quota », elle ne désigne pas une limitation par rapport à un quota défini par ailleurs, mais la fixation par les ouvriers eux-mêmes d’un quota que chacun d’entre eux doit « respecter ». Jean-Pierre BRIAND, Jean-Michel uploads/Industriel/ td-st-s3-bis-roy.pdf
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- Publié le Jan 25, 2022
- Catégorie Industry / Industr...
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