DISCOURS PRONONCÉ A L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE DANS LA DISCUSSION DU PROJET DE CO
DISCOURS PRONONCÉ A L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE DANS LA DISCUSSION DU PROJET DE CONSTITUTION (12 SEPTEMBRE 1848), SUR LA QUESTIOX DU DROIT AU TRAVAIL 1. Vous n'attendez pas de moi, si je ne me trompe, que je réponde à la dernière partie du discours que vous venez d'entendre. Elle contient l'énonciation d'un système complet et compliqué auquel je n'ai pas mission d'opposer un'autre système. Mon but, dans ce moment, est uniquement de discuter l'amendement en faveur duquel, ou plutôt à propos duquel l'orateur précédent vient de parler. Quel est cet amendement? quelle est sa portée? quelle est sa tendance, suivant moi fatale? C'est cela que j'ai à exa- miner. Un mot d'abord sur le travail de la Commission. La Commission, comme vous l'a dit le précédent orateur, t L'objet du débatétaitun amendement de M.Mathieu (dela Drôme) au paragraphe8 du préambulede la constitution.(V. Moniteurdu 13 mai1848.)Lesorateurs inscrits pourl'amendement, c'est-à-dire pour le droit au travail, étaientMM. Peltier,Ledru-Rollin, Crémieux, Victor Considerant, Billault,etc. Les orateurscontre Tocqueville, Duvergier de Hauranne, Thiers,Dufaure, etc.CefutM.Ledru-Rollin quirépondit à Tocqueville. L'amendement futrejetépar396voix contre 187.(Moniteur du 15 septembre 1848.) DISCOURSPRONONCÉ A L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.557 a eu, en effet, deux rédactions, mais au fond elle n'a eu et ne continue à avoir qu'une seule pensée. Elle avait d'abord eu une première formule. Les paroles qui ont été prononcées à cette tribune et ailleurs, et mieux que les paroles, les faits lui ont démontré que cette formule était une expression in- complète et dangereuse de sa pensée elle y a renoncé, non pas à la pensée, mais à la forme. Cette formule est reprise. C'est en face d'elle que nous nous trouvons en ce moment placés. 'On met les deux rédactions en présence; soit. Comparons l'une à l'autre à la lumière nouvelle des faits Par sa dernière rédaction, la Commission se borne à im- poser à la société le devoir de venir en aide, soit par le tra- vail, soit par le secours proprement dit et dans les mesures de ses ressources, à toutes les misères en disant cela, la commission a voulu, sans doute, imposer à l'État un devoir plus étendu, plus sacré que celui qu'il s'était imposé jusqu'à présent mais elle n'a pas voulu faire une chose absolument nouvelle elle a voulu accroître, consacrer, régulariser la cha- rité publique, elle n'a pas voulu faire autre chose que la charité publique. L'amendement, au contraire, fait autre chose, et bien plus l'amendement, avec le sens que les paroles qui ont été prononcées et surtout les faits récents lui donnent, l'amendement qui accorde à chaque homme en particulier le droit général, absolu, irrésistible, au travail, cet amendement mène nécessairement à l'une de ces consé- quences ou l'État entreprendra de donner à tous les tra- vailleurs qui se présenteront à lui l'emploi qui leur manque, et alors il est entraîné peu à peu à se faire industriel; et comme il est l'entrepreneur d'industrie qu'on rencontre partout, le seul qui ne puisse refuser le travail, -etcelui qui d'ordinaire impose la moindre tâche, il est invinciblement conduit à se faire le principal, et bientôt, en quelque sorte, l'unique entrepreneur de l'industrie. Unefois arrivé là, l'impôt n'est plus le moyen de faire fonctionner la machine du gouverne- DISCOURS 558 ment, mais le grand moyen d'alimenter l'industrie. Accu- mulant ainsi dans ses mains tous les capitaux des particu- liers, l'État devient enfin le propriétaire unique de toutes choses. Or, cela c'est le communisme. (Sensation.) Si, au contraire, l'État veut échapper à la nécessité fatale dont je viens de parler, s'il veut, non plus par lui-même et par ses propres ressources, donner du travail à tous les ou- vriers qui se présentent, mais veiller à ce qu'ils en trouvent toujours chez les particuliers, il est entraîné fatalement à tenter cette réglementation de l'industrie qu'adoptait, si je ne me trompe, dans son système, l'honorable préopinant. Il est obligé de faire en sorte qu'il n'y ait pas de chômage cela le mène forcément à distribuer les travailleurs de ma- nière à ce qu'ils ne se fassent pas concurrence, à régler les salaires, tantôt à modérer la production, tantôt à l'accélérer, en un mot, à le faire le grand et unique organisateur du travail. (Mouvement.) Ainsi, bien qu'au premier abord la rédaction de la-Com- mission et celle de l'amendement semblent se toucher, ces deux rédactions mènent à des résultats très-contraires ce sont comme deux routes qui, partant d'abord du même point, finissent par être séparées par un espace immense l'une aboutit à une extension de la charité publique au bout de l'autre, qu'aperçoit-on? Le socialisme. (Marques d'assen- timent.) Ne nous le dissimulons pas, on ne gagne rien à ajourner des discussions dont le principe existe au fond même de la société, et qui, tôt ou tard, apparaissent d'une manière ou d'une autre, tantôt par des paroles et tantôt par des actes, à la surface. Ce dont il s'agit aujourd'hui, ce qui se trouve à l'insu peut-être de son auteur, mais ce que je voisdu moins pour mon compte, avec la clarté du jour qui m'éclaire, au fond de l'amendement de l'honorable M. Mathieu, c'est le socialisme. (Sensation prolongée. Murmures à gau- che.) PRONONCÉ A L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE. 539 Oui, messieurs, il faut que tôt ou tard cette question du socialisme, que tout le monde redoute et que personne, jus- qu'à présent, n'ose traiter, arrive enfin à cette tribune; il faut que cette Assemblée la tranche, il faut que nous déchar- gions le pays du poids que cette pensée du socialisme fait peser, pour ainsi dire, sur sa poitrine; il faut que, à propos de cet amendement, et c'est principalement pour cela, je le confesse, que je suis monté à cette tribune, la question du socialisme soit tranchée; il faut qu'on sache, que l'Assem- blée nationale sache, que la France tout entière sache si la révolution de Février est ou non une révolution socialiste. (Très-bien!) On le dit, on le répète combien de fois, derrière les barricades de juin, n'ai-je point entendu sortir ce cri Vive la république démocratique et SOCIALE ? Qu'entend-on par ces mots? il s'agit de le savoir; il s'agit surtout que l'As- semblée nationale le dise. (Agitation à gauche.) L'Assemblée peut croire que mon intention n'est pas d'examiner devant elle les différents systèmes qui, tous, peuvent être compris sous ce même mot, le socialisme. Je veux seulement tâcher de reconnaître, en peu de mots, quels sont les traits caractéristiques qui se retrouvent dans tous ces systèmes et voir si c'est cette chose qui porte cette physionomie et ces traits que la révolution de Février a voulue. Si je ne me trompe, messieurs, le premier trait caracté- ristique de tous les systèmes qui portent le nom de socia- lisme, est un appel énergique, continu, immodéré, aux passions matérielles de l'homme. (Marques d'approbation.) C'est ainsi que les uns ont dit « qu'il s'agissait de réha- biliter la chair » que les autres ont dit « qu'il fallait que le travail, même le plus dur, ne fût pas seulement utile, mais agréable » que d'autres ont dit qu'il fallait « que les hom- mes fussent rétribués,' non pas en proportion de leur mé- rite, mais en proportion de leurs besoins » et enfin, que DISCOURS 540 le dernier des socialistes dont je veuille parler est venu vous dire ici que le but du système socialiste et, suivant lui, le but de la révolution de Février, avait été de procurer à tout le monde une consommation illimitée. J'ai donc raison de dire, messieurs, que le trait caracté- ristique et général de toutes les écoles socialistes est un appel énergique et continu aux passions matérielles de l'homme. Il y en a un second, c'est une attaque tantôt directe, tan- tôt indirecte, mais toujours continue, aux principes mêmes de la propriété individuelle. Depuis le premier socialiste qui disait, il y a cinquante ans, que Lapropriété était l'origine de tous les maux de cemonde, jusqu'à ce socialiste que nous avons entendu à cette tribune et qui, moins charitable que le premier, passant de la propriété au propriétaire, nous disait que lapropriété était un vol, tous les socialistes, tous, j'ose le dire, attaquent d'une manière ou directe ou indi- recte la propriété individuelle. (C'est vrai c'est vrai ) Je ne prétends pas dire que tous l'attaquent de cette manière franche, et, permettez-moi de le dire, un peu brutale, qu'a adoptée un de nos collègues; mais je dis que tous, par des moyens plus ou moins détournés, s'ils ne la détruisent pas, la transforment, la diminuent, la gênent, la limitent, et en font autre chose que la propriété individuelle que nous con- naissons et qu'on connaît depuis le commencement du monde. (Marques très-vives d'assentiment.) Voici le troisième et dernier trait, celui qui caractérise surtout à mes yeux les socialistes de toutes les couleurs, de toutes les écoles, c'est une défiance profonde de la liberté, de la raison humaine c'est un profond mépris pour l'indi- vidu pris en lui-même, à l'état d'homme ce qui les carac- térise tous, c'est une tentative continue, variée, incessante, pour mutiler, pour écourter, pour gêner la liberté humaine de uploads/Industriel/ tocqueville-discours-du-12-septembre-1848.pdf
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- Publié le Dec 21, 2022
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