CORPS Diane Barbier DSAA Design Produit 2015 + Corps + Corps + Diane Barbier Mé
CORPS Diane Barbier DSAA Design Produit 2015 + Corps + Corps + Diane Barbier Mémoire de recherche professionnel en Design DSAA Design Produit École Boulle Février 2015 Illustration couverture : Mechanischer Körperfächer, Rebecca Horn, 1972 Avant-propos 5 Avant-propos An 2199. Nous vivons dans des cocons accrochés à d’immenses tours qui nous fournissent de l’air et renouvellent un liquide nutritif nécessaire à notre survie. Tandis que notre corps stagne à l’état végétatif, nos avatars - sortes de projection virtuelle de nous-mêmes - sont projetés dans un univers virtuel similaire en tous points au monde connu du début du millénaire. Les machines, devenues maîtres de la planète, se nourrissent de la quantité d’énergie libérée par nos cellules cérébrales en activité. Désormais cultivés par ces puissances technologiques, inconscients de cette situation, nous pensons nous épanouir dans un monde qui n’est pas réel. Science-fiction ? Futur ? D’une certaine façon, le film Matrix1 de Lana et Andy Wachowski, n’est peut-être pas si loin de la réalité. Nous vivons déjà dans un « technococon »2 à dimension spatiale, sonore, visuelle et tactile : écouteurs aux oreilles, téléphone dans les mains, écrans sous les yeux. Nous nous reposons sur la technologie qui nous protège et nous rassure. Alors que celle-ci nous envahit progressivement, notre rapport au corps n’a cessé de changer au cours du dernier siècle. Cette révo- lution, entamée à la fin du XIXe siècle avec la rationalisation des tâches, la mécanisation et l’automatisation, amène aussi la nais- sance du design. Les principes fonctionnels, tel le taylorisme se répercutent sur la vie des habitants. Catharine Beecher3 est l’une des premières à les transformer pour les appliquer à l’univers domestique : la maison est désormais envisagée comme un lieu automatisé. À cette époque, les machines promettent alors « d’al- léger le travail, de multiplier et de redistribuer les richesses et d’améliorer la vie de tous »4. Belle promesse que Fritz Lang critique 1. Wachowski Lana & Andy, The Matrix, États-Unis & Australie, sorti en mars 1999 2. Expression d’après Damasio Alain, « On a externalisé le corps humain », Téléra- ma.fr, consulté le 17 janvier 2015 3. Beecher Catharine (1800-1878), inventeur de l’« économie domestique » et considérée comme la pionnière de la rationalisation dans la maison 4. Midal Alexandra, Design, Introduction à l’histoire d’une discipline, Paris, Pock- et, 2009, p.18 7 6 Corps + Avant-propos en 1927, dans son film Metropolis1 : lors d’une scène où le protago- niste se rend dans la ville basse où tous les ouvriers s’épuisent au travail pour faire fonctionner les machines qui régissent la ville, la machine M se transforme en Moloch, une divinité monstrueuse qui engloutit les travailleurs sacrifiés. Remplacé par des appareils pour toutes les tâches physiques pénibles, le corps se voit désormais de moins en moins sollicité. Ce désinvestissement au quotidien, l’apparition d’activités de plus en plus sédentaires (ordinateurs, télévisions, jeux vidéos, etc.) et d’aide au transport (voitures, tapis roulants), font naître une forme contemporaine d’hédonisme prônant l’oisiveté et la facilité. Malgré cela, le corps n’a jamais été autant sacralisé : il est au cœur de nos vies. Tatouages, piercing et implants, le corps est person- nalisable, signe de l’individu et de sa différence. La publicité, le cinéma et la mode s’emparent de ce nouveau marché, créant de nouvelles normes sociales. Le paroxysme de ce culte de l’apparence s’incarne dans la figure même des champions sportifs, symboles de la puissance et de la performance, héros de notre société. Ainsi tiraillé entre deux formes paradoxales de bien-être - l’hédo- nisme et la performance -, l’individu cherche à s’augmenter par les technologies. La machine, autrefois bien extérieure à nous, se trouve de plus en plus proche du corps humain, voire s’y insère. Cette alliance de l’homme et de la technique nous fait entrer dans une nouvelle condition humaine soulevant des questions éthiques sur le rapport entre l’individu et son environnement artificiel. Une autre réponse à cette quête de repères pour le corps peut se trouver dans les arts visuels et scéniques. Les échanges constants entre plasticiens, danseurs et chorégraphes, depuis Dada jusqu’au happening et la post-modern dance américaine, montre un corps réel. Accordant le corps et l’effort, la performance, tendance domi- nante de l’art contemporain, s’envisage alors comme acte choré- graphique. 1. Lang Fritz, Metropolis, Allemagne, sorti en janvier 1927 Métropolis, Fritx Lang, 1927 8 Corps + L’art du corps en mouvement, sa représentation et sa mise en action sont des terrains d’inspiration pour le design. Car loin d’annihiler l’augmentation du corps, il s’agit pour le designer de trouver le juste équilibre entre technophobie et technophilie pour réconcilier le corps et l’effort. Mais les techniques liées à l’augmentation du corps peuvent-elles contribuer à résoudre cette contradiction sociétale entre hédo- nisme et performance ? En cherchant à analyser de manière historique et anthropologique l’origine des rapports contemporains que nous entretenons avec notre corps, il sera alors possible de comprendre la délicate posi- tion du designer envers le corps augmenté, pour enfin envisager des solutions différentes de concevoir notre existence corporelle. 11 Sommaire Avant-propos I. Entre hédonisme et culte du corps : les ambiguïtés de la modernité 1. Du corps souffrance au corps jouissance - perspective historique 2. L’activité corporelle comme productrice de sens 3. La dictature de la performance II. Entre nature et culture : la délicate position du designer 1. De la réparation à l’augmentation 2. Le Quantified Self : vers une redéfinition du genre humain 3. Pharmakon : la technologie remède et poison 4. Le design : vers d’autres alternatives? III. Rendre visible l’effort 1. Les technologies au service du corps 2. Le geste, expression de soi 3. La danse et les arts visuels, laboratoires pour le design 4. Pistes de projet : Le geste lisible et éphémère Laisser une trace : la choré-graphie Création d’espace Conclusion Bibliographie Remerciements 3 15 17 19 21 25 28 34 38 42 47 71 75 76 78 82 86 91 97 103 I Entre hédonisme et culte du corps ambiguïtés de la modernité 17 Entre hédonisme et culte du corps : les ambiguïtés de la modernité Du corps souffrance au corps jouissance - perspective historique Le corps fut longtemps un mystère, associé à la souffrance et à la mort : épidémie, intoxication, accident, infection, mort-nés, etc. La vie humaine était courte, quelques décennies à peine, marquée par l’effort physique quotidien et la douleur qui en résulte. Inscrits dans une conception géocentriste, l’individu et son corps étaient considérés comme un tout, un ensemble unique, déterminé par des limites naturelles indépassables. Au siècle des Lumières, les hommes commencent à se rendre « maîtres et possesseurs de la nature », selon la formule anticipa- trice de Descartes. Il ajoute ensuite « pas seulement pour l’inven- tion d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans peine des fruits de la terre [...], mais principalement aussi pour la conser- vation de la santé »1. Depuis, les progrès de la médecine ont permis d’expliquer, de comprendre, de soigner et de s’approprier ce corps. À l’image de notre environnement, celui-ci n’est plus considéré comme un contenant fini, au centre de l’univers, mais comme un instrument dont les rouages peuvent être modifiés et améliorés. La nature - le corps - est ainsi manipulée par la science moderne qui la recrée, qui la ré-imagine. Ces évolutions ont permis de rendre le quotidien moins pénible et d’obtenir un corps plus performant. Cette progression biologique a profondément affecté nos modes de vie : ainsi l’espérance de vie s’est allongée, l’homme se projetant à long ou très long terme. De même, l’automatisation des outils de production et le développe- ment des transports soulagent et dégagent du temps. Plus particu- lièrement, les lois de la Nature ne représentent plus une barrière pour les ambitions de l’homme : l’individu se forme lui-même, par lui-même et s’affranchit de la finitude du corps. Débarrassé des risques de mort précoce et des contraintes de la souffrance 1. Descartes René, Discours de la méthode, VI, in Œuvres et lettres, Paris, Galli- mard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1953, p.168 19 18 Corps + Entre hédonisme et culte du corps : les ambiguïtés de la modernité quotidienne, l’homme accède à une nouvelle liberté et une nouvelle disponibilité. Ce temps gagné est désormais mis à profit dans la recherche du plaisir, « ce qui était voué à souffrir, à mériter et à pardonner est voué à jouir, durer et à oublier »1. Véritable révolution civilisation- nelle, chacun est désormais sur terre pour profiter du mieux qu’il peut, pour « se faire plaisir ». Être, c’est vivre bien. Dès le XVIIIe siècle, Talleyrand avait déjà théorisé cette évolution sociale par cette maxime : « Chaque journée qui n’est pas consacrée au plaisir est perdue ». Cette pensée, davantage liée à l’esprit libertin de l’époque, se voit concrétisée avec la révolution industrielle un siècle plus tard, en offrant aux hommes les moyens de tirer plaisir de nombreux moments de l’existence. L’entrée dans le XXIe siècle a ainsi été marquée par une culture qui tend vers un idéal d’effort zéro. La société uploads/Industriel/ memoire-diane-barbier.pdf
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- Publié le Aoû 01, 2022
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