J.C. Chabanne - 1999 : « Verbal, paraverbal et non-verbal dans l’interaction hu

J.C. Chabanne - 1999 : « Verbal, paraverbal et non-verbal dans l’interaction humoristique », dans Approches du discours comique, actes de la journée d’étude Adiscom-Corhum (juillet 1995), dir. J.-M. Dufays et L. Rosier. Bruxelles : Mardaga, , coll. «Philosophie et langage », pp. 35-53 Jean-Charles Chabanne Verbal, paraverbal et non-verbal dans l’interaction verbale humoristique Article paru dans Approches du discours comique, actes de la journée d’étude Adiscom-Corhum (juillet 1995), dir. J.-M. Dufays et L. Rosier. Bruxelles : Mardaga, , coll. «Philosophie et langage », 1999, pp. 35-53 Introduction L’approche linguistique de l’humour verbal, conformément à l’épistémologie de la discipline, a souvent abordé l’énoncé humoristique comme un objet statique. Cette approche privilégie délibérément le matériel sémiotique “traditionnel” de la linguistique (phonétique, syntaxe, lexique) et s’appuie sur la manifestation écrite de ce matériel. Des travaux plus récents se sont efforcés d’enrichir le modèle classique en prenant en compte les phénomènes sémiotiques spécifiques de l’énonciation, de l’oral, ou plus largement encore de l’interaction verbale. C’est le cas en particulier de l’approche interactionniste telle qu’elle est présentée par C. Kerbrat- Orecchioni dans Les interactions verbales (1990, 1992, 1994). Cette approche présente un intérêt théorique et méthodologique : en élargissant le point de vue linguistique, elle permet de prendre en compte dans le modèle du processus interprétatif des faits sémiotiques qui jusque là restaient ignorés ou plutôt négligés. C’est ainsi que les ressorts de l’humour verbal ne se limitent pas aux niveaux phonétique, syntaxique et lexical, et que d’autres signaux peuvent très efficacement transformer un énoncé quelconque en énoncé humoristique. Ce point de vue élargi permet de montrer comment le matériel linguistique enregistre les traces d’une activité de coopération permanente entre locuteur et auditoire, coopération indispensable à l’ajustement délicat de l’échange humoristique. Ces traces intéressent tous ceux qui collectent des données en vue de construire des modèles explicatifs socio-psychologiques ou psycho-cognitifs. Le matériel verbal Le matériel verbal n’est pas un donné brut : c’est l’objet que la linguistique s’est construit au cours de sa propre histoire. Bien entendu, les linguistes travaillent à partir d’un matériau empirique, à savoir les signes vocaux ou écrits que produisent les membres d’une même communauté. Mais ce matériau brut est modélisé par la théorie linguistique qui ne retient que certaines données parmi celles qui sont matériellement disponibles. Le modèle linguistique “classique” a élaboré prioritairement trois types d’objets théoriques : au niveau phonologique (constituants élémentaires), au niveau morpho-syntaxique (les règles d’assemblage), au niveau lexical (où se fait le lien avec toutes les disciplines intéressées par la sémantique). 1 J.C. Chabanne - 1999 : « Verbal, paraverbal et non-verbal dans l’interaction humoristique », dans Approches du discours comique, actes de la journée d’étude Adiscom-Corhum (juillet 1995), dir. J.-M. Dufays et L. Rosier. Bruxelles : Mardaga, , coll. «Philosophie et langage », pp. 35-53 Bien entendu cette présentation est rudimentaire. Je voudrais seulement rappeler que ce cadre épistémologique est par conséquent celui de la linguistique de l’humour. L’approche linguistique de l’humourse propose d’identifier les propriétés spécifiques du matériel verbal humoristique : - au niveau des phonèmes, on va décrire tous les procédés humoristiques qui utilisent des identités, des permutations, des ressemblances entre unités phonologiques pour produire ce qu’on appelle généralement les jeux de mots ou les calembours (voir par exemple Vittoz- Canuto 1983 et Attardo 1994, chap.3); - au niveau syntaxique, on va décrire des utilisations humoristiques de l’ambiguïté, des constructions doubles, des segmentations irrégulières, des pseudo-erreurs de construction, etc. - au niveau lexical, on va décrire l’utilisation de la polysémie, du double-sens, d’absurdité, de rupture de registre, etc. Ces trois niveaux constituent le noyau du modèle linguistique : il a été enrichi dans d’autres directions, comme par exemple la dimension énonciative, la dimension pragmatique, la dimension textuelle, la dimension sémantique, etc. Il n’en reste pas moins fondé sur l’observation de faits de langue qui peuvent être enregistrés par l’écrit : ces faits constituent ce qu’on appelle le matériel verbal. Matériel oral/matériel écrit Il faut bien garder à l’esprit que ce matériel n’est pas un produit brut de l’observation, mais qu’il est déjà mis en forme par les procédures d’observation et d’enregistrement des productions verbales. C’est un matériel partiellement construit après sélection et élaboration. On peut donner l’exemple du niveau phonématique : le phonème, dans son sens précis, n’est pas une réalité articulatoire ou acoustique qui puisse être identifiée uniquement par des propriétés intrinsèques. C’est une réalité abstraite définie par des relations différentielles, c’est sur le plan psychologique un schème perceptif et sur le plan théorique un concept. On pourrait endire autant du “mot” : l’unité lexicale ne s’isole pas d’elle-même, mais résulte d’une procédure d’analyse. Le sens qu’on lui attribue n’est pas une propriété de l’unité elle-même, mais bien du lexique comme système de relations sémantiques. Etc. Plus précisément encore, ce matériel verbal est sélectif. En effet, il existe deux manifestations matérielles du langage articulé extrêmement diffférentes : l’écrit et l’oral. Le matériel verbal qu’utilise la linguistique de l’humour est très largement indépendant de son mode de manifestation. Il est ce qui apparaît commun à l’écrit et à l’oral : il est constitué de tous les éléments de l’énoncé oral qui peuvent être transcrits par écrit. Une conséquence de la neutralisation des différences entre écrit et oral est celle-ci : si un énoncé oral possède des propriétés structurelles remarquables, celles-ci sont considérées comme inaltérées par la transcription. Inversement, les propriétés remarquables d’un énoncé écrit ne sont pas altérées par son oralisation. Cette équivalence postulée a une importance pour l’étude linguistique de l’humour. Pour des raisons pratiques, essentiellement parce que les travaux scientifiques sont diffusés par la voie de l’écrit, et aussi parce qu’il est plus aisé de travailler sur des transcriptions que sur des enregistrements audio ou vidéo, les travaux de linguistique de l’humour ont essentiellement utilisé le matériel verbal sous sa forme écrite, 2 J.C. Chabanne - 1999 : « Verbal, paraverbal et non-verbal dans l’interaction humoristique », dans Approches du discours comique, actes de la journée d’étude Adiscom-Corhum (juillet 1995), dir. J.-M. Dufays et L. Rosier. Bruxelles : Mardaga, , coll. «Philosophie et langage », pp. 35-53 même quand il s’agissait d’étudier des phénomènes essentiellement articulatoires et acoustiques (comme les calembours). Nous voudrions montrer que l’utilisation dominante de transcriptions écrites des énonciations humoristiques a pour effet, volontaire ou involontaire, de laisser dans l’ombre un certain nombre de phénomènes linguistiques importants, qui accompagnent la production d’humour ou, mieux encore, qui la constituent1. Ces phénomènes ne sont présents qu’à l’oral : mais n’est-ce pas à l’oral que nous faisons le plus souvent l’expérience de l’humour verbal ? Il semble bien que la plupart des formes de l’humour verbal étudiées par les linguistes (en particulier les blagues, les histoires drôles, les plaisanteries, les jeux de mots) existent originellement à l’oral, et que leur transcription n’est que secondaire. L’efficacité humoristique de tels énoncés semble atteindre son maximum en situation d’interlocution directe. Or, la manifestation orale du langage articulé présente des phénomènes propres, que l’écrit ne note pas, dont on peut se demander quel est le rôle dans la réussite de l’interaction verbale humoristique. Le matériel paraverbal2 Nous allons ici étudier de plus près la différence entre manifestation écrite et manifestation orale de l’humour verbal. Le passage de l’oral à l’écrit n’est pas simplement un changement de support physique, mais il a aussi des conséquences méthodologiques, dans la mesure où une partie des phénomènes présents lors d’une énonciation orale sont absents de l’écrit. Dans le domaine qui nous intéresse, on peut montrer que ces phénomènes jouent un rôle dans la production et la gestion de l’effet humoristique des énonciations. On peut même dire qu’étant donné le degré de complexité des processus en jeu, l’humour verbal sollicite des signaux linguistiques d’une grande finesse, qui peuvent passer inaperçus dans la communication orale ordinaire, soit parce qu’ils sont secondaires, soit parce qu’ils sont redoublés par d’autres. Dans la communication orale, la production de signaux vocaux discrets (les phonèmes) est accompagnée d’autres signaux que la transcription écrite n’enregistre pas, ou qu’elle n’enregistre que très indirectement. C’est l’ensemble de ces signaux accompagnant l’articulation du matériel verbal qu’on appelle le matériel paraverbal. Une distinction rudimentaire entre verbal et paraverbal pourrait être celle-ci : le verbal serait ce qu’une transcription écrite conserve des phénomènes langagiers; le paraverbal serait ce que seul un enregistrement au magnétophone pourrait enregistrer, mais que l’écrit ne retient pas3. Les phénomènes que nous désignons par le terme de paraverbal sont nombreux et hétérogènes. Le domaine du paraverbal recouvre en particulier les phénomènes suivants (C. Kerbrat-Orecchioni 1990 : 137 et 1994 : 16-17) : - la prosodie qui concerne tous les phénomènes de “quantité, de ton, d’accent, de contour intonatif”, etc., et qui résulte principalement des variations de la fréquence fondamentale de la phonation (hauteur), de son intensité et de sa durée (Dubois et al. 1994, 385); - le débit, c’est-à-dire la vitesse d’élocution; - les différentes pauses (moment d’interruption de l’articulation) dont la longueur et la position peuvent être fonctionnelles (“jointure”) ou sémantiquement signifiantes; - les “différentes caractéristiques de la voix” (hauteur, timbre, intensité, etc.); 3 J.C. Chabanne uploads/Industriel/ verb-para-non-verb.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager