LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’É

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse Les fermes maraîchères verticales Équipements jusqu’à maintenant très exceptionnels, les fermes verticales high tech se développent rapidement dans les centres urbains d’Asie, d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale. Pour autant, leur viabilité économique et leur intérêt agronomique, par rapport aux cultures de plein champ ou en serres, sont loin d’être établis. Pourquoi certains acteurs s’engagent-ils dans cette voie ? Quelles sont les solutions techniques mises en œuvre ? Avec quels business models et quelles perspectives d’avenir ? Cette note, basée sur des exemples concrets, apporte des éléments de réponse à ces questions. CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE — n° 141 - Juillet 2019 L’ agriculture urbaine est aujourd’hui promue comme vecteur d’alimentation durable, de qualité de vie et d’animation locale. Le plus souvent, il s’agit de petites activités d’autoproduction et de loisirs (jardins partagés, bacs sur les toits et les balcons, etc.). Activités de niche, ces initiatives sont limitées par le manque de foncier et l’intermittence de l’engagement citoyen. Le contexte artificialisé de la ville (ombre, voirie, pollutions de l’air et du sol, etc.) empêche leur déploiement à grande échelle. Secondairement alimentaire, leur contribution à l’approvisionnement des populations semble vouée à rester marginale. Au-delà de ces cultures à vocation sociale, on s’intéressera ici principalement à l’agriculture urbaine à visée industrielle et productive, et plus particulièrement aux fermes verticales. Avec les avancées liées aux lampes LED, à la robotique et aux technologies de l’information, apparaissent des unités de production en salle sur plusieurs niveaux, à l’emprise au sol réduite, vouées à la culture intensive de végétaux, notamment des salades. Contrairement aux serres, ces fermes high tech se passent de la lumière naturelle et s’affranchissent de l’environnement extérieur (désaisonnalité, déterritorialisation). Leur ambition est forte : produire en masse des denrées de qualité, aux prix du marché, à tout moment, sous tout climat, au plus près des consommateurs et sans recours aux pesticides. Ces fermes indoor restent exceptionnelles, bien peu ayant franchi les trois phases obligées de leur développement : phase de R&D, « caractérisée par la levée des incertitudes majeures (caractéristiques techniques du produit, homologation) »1, celle de pré- industrialisation où sont levés les doutes sur le prix de revient industriel, et phase de régime permanent où les productions sont commercialisées dans les circuits de grande distribution. Ce faisant, elles s’inscrivent encore aujourd’hui dans une économie de « promesses technoscientifiques »2, de startups et de capital- risque. La première partie rappelle quelques éléments historiques et décrit les principaux enjeux liés à ces nouveaux systèmes productifs. La partie suivante dresse un panorama des équipements en fonctionnement à travers le monde. Enfin, la troisième partie, plus prospective, évoque les épreuves de réalité que ces tours maraîchères devront franchir pour se déployer à grande échelle. 1 -  Du mythe de la R&D horticole aux réalisations concrètes Par le passé, de nombreux chercheurs et ingénieurs ont essayé de mettre au point des unités confinées, à petite échelle. La « ferme verticale » s’élabore ainsi, au cours du XXe siècle, comme un défi de R&D, comme un mythe rationnel capable de mobiliser et de « désigner les verrous technologiques à lever sur lesquels orienter l’effort scientifique et les aides publiques »3. Ce programme de travail, qui visait le contrôle des conditions environnementales, comportait aussi une part de croyance et de messianisme. À partir de 1949, dans les pays des deux blocs, des « phytotrons » permettent d’étudier les rapports entre génotype et phénotype. Dès cette époque, les systèmes informatiques jouent un rôle central, donnant aux scientifiques « le contrôle du contrôle »4. De son côté, le complexe militaro-industriel américain développe des « systèmes de support de vie » pour les voyages dans l’espace ou en territoires polaires. Outre les projets de la NASA, pendant la Guerre froide5, General Electric mène un programme de « tomate parfaite » dans les années 1970, resté sans suite6. Les pionniers de la verticalisation avaient des objectifs techniques précis, atteignables grâce aux progrès de la science. Mais ils cherchaient aussi à répondre aux grands enjeux de leur 1. Ponssard J.-P., 1993, « Gérer la recherche- développement comme un défi : quel rôle pour la planification ? », Cahiers d’économie & sociologie rurale, 28. 2. Joly P.-B., 2015, « Le régime des promesses technoscientifiques », dans Audétat M. (dir.), Pourquoi tant de promesses ?, Hermann. 3. Béfort N., 2016, Pour une mésoéconomie de l’émergence de la bioéconomie, université de Reims, p. 59. 4. Munns D., 2015, « The phytotronist and the phenotype », Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences, 50, p. 29-40. 5. Wheeler R.M., 2017, « Agriculture for space: People and places paving the way », Open Agriculture, 2-1, p. 14-32. 6. Boards G.E., 1981, « The engineered tomato », Electronics & Power, march, p. 206. 2 ■ CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 141 - Juillet 2019 époque. Ainsi, le souhait de lutter contre la faim dans le monde est présent, dès la fin des années 1920, avec l’effervescence autour des travaux de W. F. Gericke sur l’hydroponie. Lors de l’exposition horticole de 1964, O. Ruthner présente une tour maraîchère de 41 mètres qui connaît un grand retentissement. Cet ingénieur tente de contourner la difficulté de l’empilement des cultures avec un système de rotation vers le soleil complété par des lumières artificielles. La FAO en évalue alors l’utilité dans les régions fragiles7, puis ces travaux sont perdus de vue avec la révision des prévisions démographiques et la période de Détente. De façon plus surprenante, pour une lignée de futurologues et d’architectes sensibles aux dégradations environnementales, intensifier l’agriculture hors-sol en contexte urbain devait permettre de rendre les campagnes à la nature. L’association entre fermes verticales et land sparing (économie de terres) est explicite chez l’écologue D. Despommiers, qui popularise le concept de vertical farm à l’orée des années 20108. Mais on la trouve, avant lui, dans la science-fiction des années 19509, puis chez M. Takatsuji, qui conçoit les premières plant factories pour Hitachi dans les années 197010. Les actuelles unités de production confinées ont en commun, avec les serres, de s’inscrire dans cette histoire de l’agriculture dite « en environnement contrôlé »11. Dans les deux cas, des « recettes d’éclairage » jouent sur la quantité, la durée et l’intensité de radiation lumineuse, capteurs et systèmes d’information permettant de réguler chaque paramètre de croissance pour approcher le « potentiel agronomique » de la plante. Dans les serres en verre, le ratio rouge/bleu, qui commande le développement et l’architecture du végétal, est optimisé avec des filtres et des éclairages complémentaires, en fonction d’objectifs précis (compacité, ramification, couleur du feuillage, teneur en huiles essentielles, etc.)12. Cependant, les serres restent tributaires de la variabilité climatique (température, hygrométrie), et la partie non- contrôlable de l’ensoleillement efface certains bénéfices des éclairages complémentaires. Dès lors, un argument agronomique fort, en faveur des fermes verticales, est qu’il est plus simple de se passer complètement de l’éclairage naturel. Les diodes électroluminescentes (LED) le permettent, dont le coût a beaucoup diminué ces dernières années et qui produisent peu de chaleur. Les questions de rendement, et plus généralement celle de la maîtrise du cycle végétatif, se posent dès qu’on considère ces productions. Les communiqués des entreprises impliquées dans ces modes de production invitent à l’optimisme, certaines se prévalant de productions 120 fois supérieures à la culture de pleine terre (Agricool, production de fraises), voire 350 fois supérieures (Aerofarms, légumes- feuilles). Certaines publications scientifiques vont dans le même sens13. L’interprétation de ces chiffres doit toutefois tenir compte du nombre de cycles et d’étages de l’installation : 10 cycles de laitue sur 10 étages (configuration haute), au lieu d’un seul en pleine terre (hypothèse basse), donnent déjà une production multipliée par 100 sur un an, à quoi s’ajoute une prime de rendement à l’hydroponie, liée à la meilleure absorption des nutriments. De façon générale, les études sur le sujet font état de niveaux de production proches de ceux obtenus avec les itinéraires techniques habituels, plutôt que d’un grand saut de productivité. On ne dispose pas d’analyse de cycle de vie complète, mais des chercheurs ont couplé des modèles de croissance de la laitue avec des modèles climatiques en serre et en bâtiment, pour évaluer les résultats sous différentes latitudes14. Le même type d’analyse a été mené à partir de données enregistrées sur deux sites expérimentaux de Chiba15. Si la maîtrise des rejets dans l’environnement semble réelle, le recyclage des nutriments dans le cadre de boucles (comme en aquaponie) reste marginal. Le système réduit l’utilisation des ressources non remplaçables (phosphore, eau, foncier), mais l’utilisation de LED soulève la question de l’épuisement des terres rares, et toutes les études pointent du doigt la forte consommation d’électricité. Enfin, les défenseurs des fermes verticales insistent sur leur dimension pro- environnementale. Ainsi, Plenty insiste sur les nouvelles technologies utilisées pour mettre au point des modèles de croissance (LED, caméras infrarouges, etc.) et sur le recours au biocontrôle (coccinelles). Agricool mentionne la pollinisation de ses fraisiers par uploads/Industriel/ analyse-ferme-maraicheres.pdf

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