1 Territoire, règles et normes : étude de cas de trois processus de constructio

1 Territoire, règles et normes : étude de cas de trois processus de construction territoriale1 Par Dossa AGUEMON, doctorant, UCL-Mons 1. Territoires et la question des règles et des normes « Le processus de fabrication de territoire par les acteurs qui s’y identifient, à une échelle définie non pas par une instance administrative mais par un projet porté par des acteurs s’impose comme une réalité solide qui remplace de plus en plus les régulations étatiques pour « gouverner » la mutation des espaces, et notamment des espaces ruraux ». (Mollard, 2007 et Pecqueur, cités par Jean, 2008 : 11). La forme « territoire » est bien une modalité émergente d’organisation des acteurs qui interfère puissamment dans les évolutions de la globalisation planétaire (Mollard, 2007 et Pecqueur, cités par Jean, 2008 : 11). Ceci remet en cause la conception du territoire comme variable dépendante chère à De Matteis et Governa (2005 cités par Ingallina, 2009 : 9) et habilite le territoire comme facteur de changements non seulement à l’échelle locale mais aussi supralocale. A ce propos, Ingallina (2009 : 10) enseigne que « Les rapports entre les différents sujets sociaux et les règles qui les gèrent sont modelés essentiellement sur la territorialité entendue comme rapport dynamique entre composantes sociales (économie, culture, institutions, pouvoirs) et les côtés matériel et immatériel propres des territoires où l’on vit et où l’on produit ». La question qui se pose dès lors est de savoir de quelle manière le processus de construction territoriale est producteur de règles et normes et vis-versa ? Ce qui pose la problématique des liens entre territoire et l’effet structurant de celle-ci sur les échelles suprra. Le présent papier essaie d’apporter quelques réponses à ce questionnement à partir de données empruntées à la littérature. Pour y parvenir, nous nous appuyons principalement sur trois études de processus de construction territoriale. La première concerne la région de Grenoble avec Bernard Pecqueur (2005), la seconde nous est offerte par Fabienne Leloup (2010) dans son analyse de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, et la troisième porte sur les arrangements territoriaux portant sur les pêcheries dans la région du Maine avec Acheson et Gardner (2004). Certes, ce nombre pourrait être jugé réduit. Ce qui pourrait limiter la portée des résultats. Mais de par leur nature, ces trois cas sont suffisamment représentatifs des situations possibles. En effet, nous sommes en présence d’’un processus de construction territoriale à l’intérieur de frontières nationales (cas de Grenoble), d’un cas transfrontalier (cas de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai) qui tous deux ont en commun un caractère terrestre alors que le troisième cas porte sur une aire marine. En outre, à la différence des deux premiers le cas analysé par Acheson et Gardner peut être qualifié de territoire de travail, ce qui soutend à priori des enjeux spécifiques. 1 Analyse réalisée dans le cadre d’un séminaire sur le thème ‘’ Territoire, règles et normes’’, organisé par l’Ecole Doctoral en Développement, année académique 2011-2012. 2 Après un bref rappel des concepts et du paradigme de développement territorial, nous analysons la capacité de changement du territoire à travers la production de règles et normes. Nous procédons ensuite à une analyse comparative des trois dynamiques de construction territoriale. Ce qui nous a permis, au-delà de la diversité des perspectives avec laquelle celles-ci ont été abordées par les auteurs précités, de dégager quelques éléments transversaux et d’émettre quelques hypothèses. Nous soulevons enfin le problème d’empilement des territoires et celui des mécanismes de sa gestion, aspects qui nous semblent peu analysés dans la littérature - et – proposons une grille d’analyse en rapport avec notre travail de thèse. Cela dit, la littérature ayant servi de base au présent papier demeure néanmoins partielle. La plupart de nos opinions sont donc essentiellement provisoires et à prendre par conséquent avec des pincettes. 2. Concepts de territoires, règles et normes D’après Pecqueur (2000), « Le territoire est avant tout un construit d’acteurs en vue de résoudre un problème productif ». Mais le monde est plein de mobilisations d’acteurs autour de problèmes de nature autres que productif. Cela veut-il dire que de tels processus ne débouchent pas sur des dynamiques de territoires ? Cette conception Pecqueurienne du territoire nous semble à cet égard restrictive. Certes, il existe un lien sans doute fort entre d’éventuels problèmes non productifs et la production elle-même. Mais postuler que le territoire n’a pour objet direct que la production demeure restrictive. La conception de Boiffin cité par Jean, 2008 : 3). « …. Le territoire est un espace d’interaction entre activités et groupes sociaux, et ce sont ces interactions qui lui confèrent son identité et le différencient par rapport à d’autres espaces (….) la notion de territoire dans son acceptation la plus complète englobe à la fois des ressources, le cadre de vie, les activités, les acteurs, leurs interrelations, la conscience qu’ils ont d’appartenir à une même entité de développement, enfin des projets2 qu’ils conçoivent et mettent en œuvre collectivement pour assurer cette dynamique » ou encore celle de Guidou (2000) « les territoires ne sont plus des cadres où les choses se passent, mais où les choses s’inventent » ; tous deux repris par Jean, 2008 : 3-6) nous semble plus englobante et mieux adaptée à l’analyse des liens entre territoires, règles et normes. Peu importe autour de quoi la dynamique de construction sociale est engagée. A cet égard, Pecqueur propose d’ailleurs une autre conception plus englobante du territoire « Le territoire résulte d’un processus de discrimination, c’est la conjonction d’un espace commun abstrait construit par des groupes et d’un espace physique lorsque ce dernier contribue à l’élaboration de la ressource qui fonde le « dedans » par rapport au « dehors » (Pecqueur B, 2006). Rallet (repris par Jean, 2008 : 12) pointe l’histoire, la culture et les réseaux sociaux comme éléments structurant les contours du territoire pendant que Leloup (2010 : 694) nous apprend que le territoire évolue redessiné par les acteurs, le projet mais aussi les normes établies. 2 Leloup (2008 : 693-694) précise que le projet n’est pas la somme des solutions ou des intérêts individuels ni la somme des inputs locaux ; il constitue un arrangement plus ou moins cohérent, plus ou moins abouti et régulièrement renégocié. L’émergence d’un tel projet façonne la délimitation de l’espace commun d’actions. 3 Quant au concept de norme, il désigne habituellement une règle prescrivant une conduite sociale. Il varie suivant les disciplines. Au sens juridique, une norme est, selon l’Ecole de Poznań de la théorie du droit, un énoncé qui prescrit d’une façon univoque à un destinataire se trouvant dans une situation donnée, appelée hypothèse de la norme, un comportement obligatoire, appelé disposition de la norme (Krzysztof Wojtyczek, ??). La norme politique se réfère à des attitudes collectives partagées de la part des acteurs. Elle régule les acteurs et leur environnement (Finnemore 1996; Legro 1997; Finnemore & Sikkink 1998 ; cités par Saurugger, 2010 : 472). Quant à la norme sociale, elle se réfère à des structures intersubjectives censées structurer la conduite des acteurs (Goffman 1959: 242; cité par Saurugger, 2010 : 473). Mais au-delà de ces conceptions disciplinaires dudit concept, l’idée qui se dégage d’une norme est son caractère plus ou moins partagé et contraignant, un « cadre moral » auquel souscrivent les acteurs, y compris dans sa mise en pratique, qu’il soit explicite ou non pour citer (Leloup, 2010). Il va de soi que l’effet territorial ne se manifeste pas uniquement à travers les règles et normes, même si celles-ci en constituent l’une des dimensions majeures. La présente analyse est donc à certains égards, restrictive. 3. Paradigme du développement territorial Le paradigme du développement endogène a été suffisamment documenté par Proulx (2008 : 1-2) dont nous présentons ici une synthèse complétée de quelques autres travaux sur l’émergence et l’évolution des courants de pensées autour du développement endogène. D’après Proulx, le renouveau théorique actuel dédié au concept de territoire fut initié au cours des années 1970 et se situe dans le contexte scientifique d’une rupture paradigmatique vis-à-vis de la doctrine Keynésienne alors dominante en matière de développement (Kaldor, 1957), rupture largement causée par la déception générale à l’égard des retombées réelles générées par les interventions exogènes largement effectuées depuis le début des années 1950 pour lancer la croissance économique selon une finalité de convergence dans le niveau mesurable de développement à travers l’espace. Rappelons que cette doctrine kénésienne trouve son inspiration dans la théorie de modernisation basée sur une vision dominante du développement et reposant sur une stratégie dite de rattrapage principalement basée sur l’industrialisation. D’après cette théorie, le développement est un processus linéaire en trois étapes obligatoires que toute communauté doit traverser : le décollage ou le ‘’take off’’, la croissance et le développement. Après quelques décennies d’expérimentation de cette politique partout dans le monde, il apparut évident que les divers territoires réagissent de manière fort inégale aux investissements industriels, à la construction des infrastructures et d’équipements, à l’exportation, à l’établissement de foyers économiques. ‘’Certains pays décollent, d’autres pas ; les pôles ciblés se dynamisent, mais à degrés très variables ; uploads/Industriel/ territoire-regles-et-normes-aguemon.pdf

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