Foucault Deleuze www.editions-hermann.fr ISBN : 978 2 7056 9015 1 © 2015, Herma
Foucault Deleuze www.editions-hermann.fr ISBN : 978 2 7056 9015 1 © 2015, Hermann Éditeurs, 6 rue Labrouste, 75015 Paris Toute reproduction ou représentation de cet ouvrage, intégrale ou partielle , serait illicite sans l’autorisation de l’éditeur et constituerait une contrefaçon. Les cas strictement limités à l’usage privé ou de citation sont régis par la loi du 11 mars 1957. Collection Hermann Philosophie dirigée par Roger Bruyeron et Arthur Cohen Ouvrage publié avec le soutien du CNL Georges Sebbag Foucault Deleuze Nouvelles Impressions du Surréalisme Depuis 1876 À mes amis José Jiménez et Masao Suzuki Introduction Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard. Raymond Roussel, Parmi les Noirs Les écrits emportent au vent les traites en blanc d’une cavalerie folle. Jacques Lacan, « Le séminaire sur La Lettre volée » En 1966, au moment où il annonce la disparition de l’homme, Michel Foucault marche sur les brisées du mouvement surréaliste. Il trouve un allié en Gilles Deleuze avec qui il rédige à l’encre sympathique de Nouvelles Impressions du Surréalisme. Tous deux ont désormais recours au procédé de Raymond Roussel, au métagramme b/p (billard/pillard) pour écrire et forger de nouveaux concepts. Parce qu’ils rejettent l’interprétation freudienne, ils sont en mesure de relancer la trajectoire surréaliste du rêve, celle qui va du philosophe dormant (Diderot) au récit de rêve surréaliste, en passant par la peinture animée (Grandville), le rêve dirigé (Hervey de Saint-Denys) et le rêveur désintéressé (Bergson). Dans leur conception de la folie, de la schizophrénie ou de l’épistémè, Foucault et Deleuze pourraient être appelés « procédistes » ou « concettistes ». Déjà, Clérambault et Pierre Janet, alertés par un passage de Nadja envisageant 8 Foucault Deleuze l’assassinat du médecin-psychiatre par un fou interné, avaient qualifié les surréalistes de « procédistes ». Il résulte du collage passionnel de Foucault et Deleuze un échange permanent de concepts. Il y a un regard foucaldien sur la différence et la répétition comme il y a un usage deleuzien du pli et du dépli. Le duo connaît la cabale phonétique de Brisset, le métagramme de Roussel, l’écriture automatique de Breton & Soupault, le nominalisme absolu d’Aragon, le « Ceci n’est pas une pipe » de Magritte, Le Schizo et les langues de Wolfson. C’est pourquoi il n’a aucun mal à admettre que, pour écrire et penser, il faut fendre les mots et frac- turer les choses. Il pourrait y avoir dans la schizo-analyse et les machines désirantes de Deleuze comme un écho au premier message automatique (« Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre ») et à la définition du surréalisme (« automatisme psychique pur »). L’énoncé AZERT que Foucault étudie dans l’Archéologie du savoir peut être rattaché aux mots énigmatiques « Snark » (Carroll), « Baou » (Rimbaud) ou « Astu » (Nietzsche), dont l’euphorie ou l’euphonie éclate en étoile noire, comme le signalait l’auteur de l’Anthologie de l’humour noir. Les futuristes, modernes et d’avant-garde, se sont projetés dans un futur proche ou dans une cascade d’infi- nitifs présents. Les dadas, ni modernes ni d’avant-garde, se sont enfermés, enferrés dans le créneau du présent. Les surréalistes, modernes mais non avant-gardistes, ont brisé la flèche du temps. Ils ont coupé le fil d’Ariane et pris le large. Ils ont cherché l’or du temps au gré du temps sans fil. Avides de rencontres, curieux de coïncidences, ils ont guetté la venue et la survenue d’événements. À l’instar du cinématographe qui a porté à l’écran des durées matéria- lisées et concassées, les surréalistes ont détecté des durées automatiques et magnétiques dans la vie quotidienne Introduction 9 et dans l’esprit. Deleuze s’est engouffré dans cette brèche temporelle. Il a défini et redéfini l’événement pur et n’a cessé de le rapporter à l’éternel retour du différent. Tout nous ramène à l’être du langage et au concept de doublure. Roussel, à l’aide de doublures théâtrales et filmiques, sémantiques et phonétiques, peut transcrire et enregistrer les mille plans parallèles de ses bandes audio- visuelles. Les doublures, les simulacres ou les masques ne relèvent pas du principe d’identité ni de l’association par ressemblance. Doublure rime avec fêlure. Le simulacre est sans modèle. Il y a du vide derrière chaque masque. Le dessinateur Grandville, dans Un autre monde, avait inventé la philosophie du déguisement « pour faire suite à la philosophie de l’histoire ». Il avait artificialisé le vivant et animé les objets. Et il avait pu croquer la bataille féroce entre travestis et sosies. L’auteur d’Impressions d’Afrique, auquel il faudrait adjoindre le neveu de Rameau et le neveu d’Oscar Wilde, plonge à son tour dans ce théâtre philosophique du multiple. Foucault emprunte à Roussel les concepts de doublure et de pli, qu’il applique à ses trois travaux de haute couture, les champs du savoir, du pouvoir et du processus de subjectivation. Deleuze n’est pas en reste, il use du métagramme t/c pour bien distinguer « différentiation » et « différenciation ». À la même époque, Jacques Derrida, qui veut se démarquer de la différence ontico-ontologique de Heidegger, découvre le concept de différance. On se demandera si la lettre a provient du métagramme roussel- lien ou du séminaire de Jacques Lacan sur La Lettre volée d’Edgar Poe. Le concept de doublure qui rayonne dans les écrits de Foucault peut être converti en termes de différence et de répétition : la doublure affirme la différence dans la répétition. C’est pourquoi Deleuze et Foucault s’entendent 10 Foucault Deleuze à demi-mot et peuvent regarder par-dessus l’épaule de l’autre. L’impulsion première est venue du Raymond Roussel publié par Foucault en 1963. Cela a amené Foucault et Deleuze à se faire « procédistes », à chercher l’opératoire dans l’écriture et la pensée. Tout leur voca- bulaire, pli et dépli, interstice et décalage, dispositif et agencement, énoncé et formation discursive, strates et rhizome, vitesse et ligne de fuite, ou bien encore la notion de précurseur sombre (l’en-soi de la différence mettant en rapport des séries hétérogènes ou disparates) calquée sur le métagramme roussellien, tous leurs concepts ont une fonction éminemment opératoire et relancent la question : quel procédé employer pour écrire et sérier les séries ? Mais ce qu’ils ne veulent surtout pas rater, c’est le surgissement de l’événement ou l’éternel retour du différent . Deleuze invoque en permanence l’événement pur, Foucault parle de « restituer au discours son caractère d’événement 1 ». C’est dans ces parages que se produit leur jonction avec Jarry, Roussel et les surréalistes. Selon Jarry, l’anachronisme, le fait de vivre deux moments du temps en un seul, est « la plus haute jouis- sance connue ». Pour l’auteur d’Impressions d’Afrique et de Nouvelles Impressions d’Afrique, rien n’est plus glorieux que de tourner et de repasser en boucle des durées filmiques incomparables. Tel est l’art en stéréo de la doublure, un art de la double-vue et du langage dédoublé. André Breton a rendu indécidable et imprononçable son jour de naissance en le décalant d’un jour. Né un mercredi des Cendres, sous le signe des Poissons, il a choisi de naître un mardi Gras, sous le signe du Verseau. Les surréalistes ont pratiqué tout à la fois le collage matériel, le collage 1. Michel Foucault, L’Ordre du discours, Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Gallimard, 1971, p. 53. Introduction 11 passionnel et le collage temporel. Ils ont pu ainsi inventer deux concepts majeurs, le temps sans fil et les durées automatiques. Deleuze a suggéré que Jarry était un précurseur méconnu de Heidegger. Il nous a paru possible de brosser un portrait de Heidegger en futuriste et surréaliste et de montrer que Jarry, le manieur de rhizomorhododendron et de bâton à physique, l’organisateur de la Course des dix mille milles, était le précurseur sombre de Deleuze. Nous avons souligné que Foucault était attaché comme Roussel à toutes sortes de travaux d’archives et de couture. Voulant l’égaler en génie mais dans un jeu totalement différent, l’auteur des Mots et les choses a résolu d’être la doublure de l’auteur de La Doublure. On savait Deleuze bergsonien, nietzschéen, deleu- zien. On connaissait Foucault nietzschéen, anonyme, foucaldien. On verra que les deux ont grandi en foulant le sol qu’avaient arpenté Grandville, Jarry, Roussel et les surréalistes. I Aragon & Breton, un projet philosophique Au printemps de 1919, André Breton et Philippe Soupault s’adonnent à l’écriture automatique en noir- cissant ou bleuissant les pages des Champs magnétiques. C’est le début de l’aventure surréaliste. Mais cette décou- verte poétique est inséparable d’un projet philosophique. Le surréalisme a une identité double face. À l’instar du dessinateur Grandville, philosophe du déguisement. Conformément à Isidore Ducasse, dont les Poésies détournent les maximes des moralistes et repeignent Les Chants de Maldoror sous les couleurs du bien. À l’image d’Alfred Jarry qui peut aussi bien s’enfoncer dans les plis et les replis de la poésie (César-Antechrist) que balayer devant la porte de la métaphysique (Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien). En accord avec Raymond Roussel, glorieux concepteur de la doublure. À la suite de Jacques Vaché, inventeur de l’umour sans h et déserteur à l’intérieur uploads/Industriel/foucault-deleuze-nouvelles-impressions-du-surrealisme-2015.pdf
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