L’histoire des chaires du CNAM concernant l’Homme au travail (1900-1945) entre

L’histoire des chaires du CNAM concernant l’Homme au travail (1900-1945) entre production de savoirs et engagement politique. R´ egis Ouvrier-Bonnaz To cite this version: R´ egis Ouvrier-Bonnaz. L’histoire des chaires du CNAM concernant l’Homme au travail (1900- 1945) entre production de savoirs et engagement politique.. Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, Association Paul Langevin, 2010, pp.99-121. <halshs-00812439> HAL Id: halshs-00812439 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00812439 Submitted on 12 Apr 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. 1 L’histoire des chaires du CNAM concernant l’Homme au travail (1900- 1945) entre production de savoirs et engagement politique Régis Ouvrier-Bonnaz Centre de Recherche sur le Travail et le Développement Groupe de Recherche et d’Etude sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation Conservatoire National des Arts et Métiers 41 Rue Gay Lussac - 75000 Paris L’étude de l’homme au travail est une activité ancienne. Dans l’introduction d’une brochure publiée en 1983 par le CNAM dans le cadre d’une exposition du Musée National des Techniques, intitulée « Vers l’ergonomie. Cinq siècles de physiologie du travail. Post-face au bicentenaire de la naissance de Villermé (1782-1863) », le directeur du CNAM de l’époque situe à la Renaissance les premières études sur « le fonctionnement de l’homme en activité »: « A cette époque Léonard de Vinci établit les bases de la biomécanique, tandis qu’Agricola étudie, dans les mines, la ventilation et les conditions de sécurité, ainsi que les horaires et les pauses. A la fin du XVIème siècle, Galilée et Sanctorius, ajoutent leurs apports à l’édification de la physiologie du travail. C’est ainsi que Sanctorius mesure au repos et au travail des paramètres tels que poids, températures, échanges digestifs, volume de sueur et fréquence du pouls ». L’intérêt porté à l’étude de l’homme au travail au CNAM dont cette exposition rendait compte trouve sa source dans la comparaison établie entre l’étude du fonctionnement et du perfectionnement des machines, domaine d’intervention privilégié du Conservatoire dès sa création en 1794, et l’analyse du fonctionnement du « moteur humain » vu sous l’angle de son rendement. Ainsi, Charles Dupin dans l’ouverture de son cours de mécanique et de géométrie appliquées aux arts précise en janvier 1829 : «On s’est beaucoup occupé de perfectionner les machines, les instruments, les outils matériels dont l’ouvrier fait usage dans les arts méchaniques. On s’est à peine occupé de l’ouvrier même. Et pourtant, ne fût-il pas considéré comme un instrument, un outil, un moteur, il devrait être mis au premier entre tous les instruments, entre tous les agents méchaniques, parce qu’il a l’avantage d’être un instrument qui s’observe et se corrige lui-même, un moteur qui s’arrête, qui se meut au gré de sa propre intelligence, et qui se perfectionne par la pensée, non moins que par le travail » (1829, p.18). Dans cet article, nous nous efforcerons de montrer que les premières tentatives menées au CNAM au début du XXème siècle pour installer des enseignements concernant l’étude et la protection de l’homme au travail peuvent être considérées comme la première étape de l’installation des chaires telles qu’elles existent, aujourd’hui, à l’Institut National d’Etude du Travail et d’Orientation Professionnelle, au 41 de la rue Gay Lussac à Paris. Cette présentation qui se donne pour objectif de mieux comprendre les liens qui se sont tissés au CNAM entre science et politique sous la IIIème République s’intéressent aux disciplines traitant directement de l’homme au travail : physiologie du travail, psychologie appliquée, psychotechnique, orientation professionnelle, ergonomie, hygiène et sécurité du travail. La création et le développement des chaires d’histoire et d’organisation du travail au CNAM participent également de cette histoire. Dans la mesure où ces deux disciplines ne traitent pas directement du fonctionnement psychologique et physiologique de l’homme au travail, leur 2 installation au sein de cette institution ne sera pas discutée1. Cette présentation concerne la période allant de 1900 à 19452. A la fin du XIXème siècle, cent ans après sa création qui répondait à un besoin de formation aux métiers industriels, de promotion du progrès technique et de l’innovation industrielle et de conservation des collections de machines, le CNAM marginalisé par son statut particulier dans l’enseignement technique et l’absence de validation des enseignements3, connaît une période de crise dont la chute du nombre d’auditeurs est l’indice le plus frappant du déclin de l’institution. L’enseignement dont l’objet initial était de vulgariser les sciences et leurs applications s’est progressivement élevé mais peu diversifié. De 1870 à 1900, aucune chaire n’est créée à l’exception d’un cours de droit commercial en 18794. Dans le même temps, la ville de Paris ouvre une quinzaine d’écoles professionnelles et les initiatives d’ouverture de cours du soir se multiplient instaurant une situation de concurrence avec le CNAM. Cette situation ne peut laisser indifférents les politiques de la IIIème République attachés au développement de l’instruction primaire et professionnelle initiale mais aussi de l’enseignement supérieur. Sous l’égide d’un député, le radical Léon Bourgeois, une réforme de l’établissement est adoptée par le biais de la loi des finances du 13 avril 1899 qui confère au CNAM le statut de personnalité civile et le dote d’un conseil d’administration. Dès 1895, Aimé Girard, professeur de chimie industrielle, précisait que « le Conservatoire ne doit pas se borner à décrire l’organisation matérielle de l’industrie et qu’il doit aussi mettre en scène à leur tour le patron, l’ouvrier, l’apprenti et expliquer aux intéressés le fonctionnement et le but de toute institution de prévoyance qui peuvent contribuer à diminuer la misère, augmenter le bien être des travailleurs » (cité par Fontanon & Grelon, 1994, p.46). Ce point de vue va s’imposer progressivement accompagnant le renouveau de l’institution dont le nouveau statut augmente l’autonomie financière et les marges de liberté favorisant l’ouverture aux réalités économiques et sociales. Fontanon (1993) dans une étude présentant l’organisation et la succession des chaires concernant l’Homme au travail situe la première initiative en 1901 avec la création de conférences sur la prévention des accidents de travail. Cette création qui accompagne le renouveau de la pensée hygiéniste en France est liée aux progrès scientifiques favorisés par le couplage de la physiologie et de la bactériologie et à l’intérêt affirmé de l’Etat pour la santé publique. Ce renouveau s’inscrit dans un contexte politique favorable aux innovations sociales en matière de conditions de travail dans l’industrie et le commerce. Un politique dont la mémoire historique a minimisé l’apport va jouer un rôle déterminant au Ministère du Commerce et de l’Industrie puis au CNAM quand il en assurera la présidence du conseil d’administration : Alexandre Millerand. Un contexte social et politique favorable : l’œuvre de Millerand Alexandre Millerand5, socialiste indépendant, occupe le poste de ministre du Commerce, de l’Industrie et des Postes et Télégraphes, de juin 1899 à avril 1902, dans un gouvernement de 1 Sur la naissance de l’organisation du travail au CNAM, on pourra se reporter à l’article de Jean-Pierre Schmitt (2007) : Naissance d’une discipline : l’organisation scientifique du travail au CNAM, Education Permanente,1, 143-164. 2 Thomas Le Bianic dans son étude très renseignée sur « le Conservatoire des Arts et Métiers et la machine humaine. Genèse et développement des sciences du travail au CNAM de 1910 à 1990 » définit, en appui sur les mêmes disciplines, trois périodes : 1913-1945, 1945-1970 et 1970-1990. 3 Le directeur et la plupart des enseignants, hostiles à l’instauration de diplômes, sont alors attachés au caractère libre de l’enseignement. 4 En 1882, le Cnam regroupe 18 chaires et 40 chaires en 1950. 5 Alexandre Millerand alors député socialiste indépendant avait soutenu l’initiative de Léon Bourgeois concernant la réforme du CNAM. 3 défense républicaine dirigé par Waldeck-Rousseau. Il est partisan d’un socialisme parlementaire qui met au premier plan « la conquête des pouvoirs publics par le suffrage universel » (Discours de Saint-Mandé, 30 mai 1896). Guesde et le parti socialiste ouvrier condamnent cette participation argumentant que le parti socialiste, parti de classe, ne saurait devenir un parti ministériel, la lutte des classes ne permettant pas l’entrée d’un socialiste dans un gouvernement bourgeois (Texte de Guesde adopté au 1er Congrès des organisations socialistes, Gymnase Japy, Paris, 3-8 décembre 1899). A l’opposé, Jaurès, battu aux élections législatives de 1898 mais dont l’influence ne cesse de grandir parmi les socialistes, approuve Millerand : « l'entrée d'un socialiste dans un ministère bourgeois est un signe éclatant de la croissance, de la puissance du Parti socialiste ». (Discours de Lille, 26 novembre 1900)6. Lorsque Millerand s’engage dans l’action ministérielle sa conviction qu’il existe une adéquation entre république et socialisme est forte : « La République est la formule politique du socialisme, comme le socialisme est l’expression économique et sociale de la uploads/Industriel/ lhistoire-des-chaires-du-cnam-concernant-lhomme.pdf

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