Jidoka, le deuxième pilier du lean1 Working Paper n°2, Projet Lean Entreprise M

Jidoka, le deuxième pilier du lean1 Working Paper n°2, Projet Lean Entreprise Michael Ballé ESG consultants Chercheur Associé, Télécom Paris Résumé : Le jidoka est l’un des deux piliers fondamentaux du Toyota Production System. Pourtant, ce deuxième pilier est bien moins connu et commenté que son célèbre jumeau, le juste-à-temps. Ce deuxième pilier est pourtant essentiel à la performance du système de production Toyota et reflète l’approche innovante de Toyota sur la gestion des flux d’information et des actions que ceux-ci déclenchent. Par ailleurs, le jidoka est une clé incontournable de la performance de l’approche lean qui mérite la plus grande attention. Mots-clefs : lean production, Toyota, organisation du travail, gestion de production, circulation de l’information, méthodes de résolution de problème, amélioration continue 1 Une première version de ce papier a bénéficié des remarques de Freddy Ballé, Alain Prioul et Godefroy Beauvallet. - 1 - Nos collègues nous demandent souvent pourquoi nous continuons à nous intéresser au « lean » (le Système de Production Toyota) alors que, disent-ils, les concepts et applications en sont désormais bien connus. De fait, le Système de Production Toyota a été développé dans les années 1950 et 60, et il est étudié dans le détail depuis près de trente ans2, tant par des universitaires que par les entreprises qui tentent de le dupliquer afin d’en acquérir la compétitivité. Toutefois, un mystère demeure. Malgré les réels progrès de certaines entreprises industrielles dans le sens lean et le sentiment que les méthodes de production Toyota sont désormais bien comprises, rares sont les entreprises qui ont réussi à reproduire son niveau de qualité et de productivité. Plus curieux encore, peu des entreprises qui ont effectivement mis en place les pratiques lean dans leurs usines en obtiennent les résultats espérés. Ainsi que le fait remarquer Jeffrey Liker3, les résultats obtenus par les méthodes lean varient d’un ordre de grandeur si le changement est conduit par l’entreprise elle- même ou par Toyota – ceci malgré le grand nombre d’ex-employés de Toyota qui interviennent actuellement en tant que consultants pour aider les entreprises à progresser. La plupart des experts du lean sont conscients de ce problème et, le plus souvent, font l’hypothèse d’une mauvaise compréhension des pratiques par les entreprises qui tentent de s’approprier le système de production Toyota. Certainement, les erreurs d’interprétation abondent, comme, par exemple, les nombreuses tentatives d’adoption du kanban sans considération pour le « lissage » – les nombreuses techniques de « fractionnement-mixage » dont Toyota se sert pour stabiliser sa production4. Malgré de nombreuses applications du juste-à-temps, les résultats, bien que positifs, restent décevants. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres, entre la mise en place des méthodes et outils utilisés par Toyota et l’atteinte des niveaux de productivité et de qualité du constructeur japonais. Si la source de cette déception n’est pas dans une mauvaise compréhension des outils créés par Toyota, il faut le chercher dans la manière dont ces outils sont utilisés, dans les pratiques et les attitudes de ceux qui les utilisent. Pour passer ainsi de la « logique de l’outil » à celle de la pratique, nous partons des difficultés rencontrées sur les chantiers lean au niveau des attitudes. Dans l’ensemble, ceux qui ont réussi à mettre en place des expériences lean réussies estiment cruciale l’implication des opérateurs dans le changement. C’est aux 2 Le premier article scientifique sur le système Toyota est sans doute Sugimori, Kusunoki, Cho, and Uchikawa, (1977). Le premier succès américain de librairie sur ce sujet remonte à Schonberger (1982). En France, on peut citer la parution en 1983 d’un livre sur le kanban de Kenichi Dekine, traduit du japonais (qui consacre un chapitre à l’approche d’ « autonomation » de Toyota), ainsi que, en 1986, du livre de Bounine et Suzaki (1986). 3 Liker (2004). 4 Ohno (1978). - 2 - opérateurs et à leurs agents de maîtrise qu’incombe en effet, dans l’approche Toyota, de définir les « standards de travail » qui sont la base de l’amélioration continue – kaizen5. Bien souvent, on arrive à réorganiser l’usine en fonction des principes des flux tirés, de lissage et de takt time, pour butter sur des difficultés sans fin au niveau de la mise en place aussi simples que le 5S – mais qui demandent une véritable implication des opérateurs et de la première ligne hiérarchique. Sans l’implication forte du management on assiste souvent à un épuisement progressif de l’efficacité des actions d’amélioration continue. Un système de suggestions, par exemple, aura du mal à se maintenir si moins de 80% des suggestions des opérateurs ne sont pas mise œuvre rapidement Dans le domaine du kaizen, une fois les problèmes évidents résolus, le progrès repose sur la mise en place par la maîtrise de « standards de travail » qui permettront de guider le travail de l’opérateur à chaque cycle et d’ancrer le processus d’amélioration continue. Ces « standards de travail » vont bien plus loin dans la standardisation que les « gammes » traditionnelles et, pour être réellement appliqués, nécessitent une réelle implication des opérateurs. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les opérateurs sont rarement réticents aux actions d’amélioration. Loin d’être systématiquement et naturellement résistants aux changements6, ainsi qu’on l’invoque souvent, les opérateurs peuvent une fois qu’ils ont bien compris le problème s’avérer être bien plus exigeants que le management. Ainsi, il n’est pas rare que des opérateurs impliqués dans un chantier de mise en flux ne s’étonnent de l’incapacité de leur management à contrôler et réduire les stocks dans l’usine. De même, sur leur poste de travail, les opérateurs sont souvent moteurs des améliorations, et se plaignent du manque de réceptivité du management à leurs suggestions. Si les opérateurs adhèrent volontiers aux principes du kaizen, ce n’est cependant le cas ni de la maîtrise, ni des services supports. Les experts lean expriment régulièrement une grande frustration vis à vis des services supports (ressources humaines, méthodes, achats) qui ne se sentent pas impliqués dans la démarche alors qu’ils en tiennent des clefs essentielles : les équipes autonomes pour les RH, l’aide à l’amélioration des poste de travail pour les méthodes7, les fréquences d’approvisionnement pour les achats, etc. Il n’est pas rare que les services supports restent retranchés dans des conceptions traditionnelles de leur mission et ne 5 Il est à noter que dans des usines qui reprennent des produits existants, tel la Yaris à Valenciennes, les standards de travail adoptés au démarrage sont ceux des autres usines produisant la même voiture. Toutefois, les opérateurs de la nouvelle usine doivent continuer à faire évoluer ces standards localement par du kaizen. 6 « En creusant les raisons de cette résistance, on s'aperçoit qu'elle repose pour l'essentiel sur des motifs tout à fait rationnels. Les salariés renâclent bien souvent devant ce qui leur apparaît comme un marché de dupe, » note de Coninck (1998). 7 La plupart des améliorations sont réalisées par les opérateurs eux-mêmes. Ils ont besoin ponctuellement de support des services de méthodes ou de maintenances pour des opérations plus complexe comme des branchements, ou des déplacements de commandes électriques, etc. - 3 - s’intéressent guère aux implications du lean, qu’ils considèrent comme du domaine exclusif de la production (les RH se cantonnent aux problèmes de personnel, les méthodes aux installations et à l’industrialisation des nouveaux produits, les achats aux négociations de prix, etc.) Les experts lean se plaignent également de la difficulté d’impliquer la maîtrise dans une démarche de type « juste-à-temps ». Il est clair que les responsabilités du superviseur de ligne dans un fonctionnement lean sont fort différentes de son rôle traditionnel. Par exemple, une étude du travail quotidien des superviseurs dans un processus industriel classique montre qu’ils passent l’essentiel de leur temps à : • Faire la chasse aux pièces pour éviter les manquants sur chaîne ; • En fonction des dysfonctionnements quotidiens, décider de l’ordre de passage des productions. • Réaffecter provisoirement le personnel ailleurs. Dans un fonctionnement en kanban à lots fixe, ces deux problèmes sont largement résolus puisque la mise en place de shop-stocks (l’approvisionnement en kanban), si elle est réalisée rigoureusement, sécurise le flux des composants et que la dynamique des cartes fige également l’ordre des passages en production. Par conséquent, la mission du superviseur dans un mode lean est tout autre : • S’assurer que les standards de travail sont respectés • Améliorer les standards par des actions de kaizen Dans le premier cas, il s’agit de tenir à bout de bras un système de production en prenant des décisions quotidiennes pour pallier à ses défaillances ; dans le deuxième, il s’agit de s’assurer que le système en place est respecté rigoureusement. L’expérience prouve que cette transformation de rôle n’est pas évidente et que de nombreux agents de maîtrise ne s’y adaptent pas, ce qui est un complet gaspillage de leur connaissance des détails de la production. L’implémentation du lean à Toyota se distingue manifestement de celles d’autres entreprises par la réussite de l’implication de la maîtrise et des services supports. En comprenant les moteurs de uploads/Industriel/jidoka.pdf

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