EHESS À propos de la formule canonique, du mythe, et du rite Author(s): Lucien
EHESS À propos de la formule canonique, du mythe, et du rite Author(s): Lucien Scubla Reviewed work(s): Source: L'Homme, 35e Année, No. 135, La formule canonique des mythes (Jul. - Sep., 1995), pp. 51-63 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/25133225 . Accessed: 09/06/2012 21:50 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to L'Homme. http://www.jstor.org LUCIEN SCUBLA A propos de la formule canonique, du mythe, et du rite v A premiere vue, la formule canonique du mythe se situe a la peripheric du structuralisme. Elle occupe une place infime dans les ecrits de Levi-Strauss, sa structure et sa fonction n'ont jamais ete eclaircies, et les rares applications qui en ont ete faites sont si peu probantes que la plupart des chercheurs sont tentes de Fignorer. Dans cette courte note, nous voudrions pourtant montrer (ou, du moins, soutenir et suggerer): (i) que loin d'etre insignifiante ou marginale, la formule canonique ? entendue comme ?le modeie genetique du mythe (c'est-a-dire celui qui Fengendre en lui donnant simultanement sa structure) ? (Levi-Strauss 1958 : 265) ? pointe en direction d'un structuralisme morphogenetique, qui est virtuellement present chez Levi-Strauss, et dont le developpement est capital pour Favenir de F anthropologic ; (ii) que la genese et la structure litterale de la formule peuvent etre considerablement clarifiees et presque entierement expli citees ; (iii) que la formule peut etre corroboree par des donnees empiriques, dont elle contribue, en retour, a accroitre Fintelligibilite. I Comme Jean Petitot ? a qui nous laisserons le soin de presenter les choses du point de vue du mathematicien ? nous pensons que, loin d'occuper une position peripherique, la formule canonique du mythe represente ? un des plus hauts lieux du structuralisme theorique ? (Petitot 1988 : 26). Mais, selon nous, c'est en puissance plutot qu'en acte que la formule recele cette eminente qua lite : en ce sens qu'elle se rattache a une composante morphodynamique qui existe seulement a titre de dimension virtuelle dans l'ceuvre de Claude Levi Strauss, et qui, pour cette raison, passe souvent inapergue, au risque de donner de l'entreprise structurale tout entiere une presentation affadie. En effet, comme Fa bien montre Marie-Claude Dupre, a propos des Struc L'Homme 135, juil.-sept. 1995, pp. 51-60. 52 LUCIENSCUBLA tures elementaires de la parente ? mais la legon peut etre etendue a Pensemble des travaux de l'auteur?, Levi-Strauss tend a decrire comme secondaire et pathologique ? une contradiction perpetuellement agissante et jamais resolue ? (Dupre 1981 : 36) qu'il rencontre sans cesse a l'oeuvre dans la realite anthropologique, mais dont il reconnait seulement a regret le ? caractere typique ? (ibid.: 29). D'ou la preference qu'il semble donner a une vision irenique et statique de la vie sociale et des formes symboliques qui Porganisent ou la representent. Vision harmonieuse ou la prohibition ne serait que Penvers de regies positives, ou la reciprocite gouvernerait tous les echanges et ou toutes les oppositions seraient, en derniere instance, de type logique ou phonologique. Vision encore renforcee par un formalisme mathematique qui donne des structures d'alliance une presentation purement classificatoire dans laquelle l'echange restreint ne serait qu'une forme particuliere de l'echange generalise d'ordre n, pour lequel n = 2. Mais, a bien regarder les choses, la realite que decrit Levi-Strauss est tout autre. Loin d'etre reductibles l'un a l'autre, ou meme de constituer deux formes differentes et juxtaposees, echange restreint et echange generalise sont deux attracteurs antagonistes entre lesquels sont tiraillees toutes les societes. De plus, aucune de ces deux formes ne constitue un systeme equilibre, car chacune d'elles est ? contaminee ? par l'autre : l'echange restreint etant contamine de l'exterieur par l'echange generalise, l'echange generalise, de Pinterieur, par l'echange restreint1 (Levi-Strauss 1967 : 532, cite in Dupre 1981 : 28). De sorte qu'au lieu d'un systeme fige, c'est ? une structure essentiellement dynamique, en etat de perpetuel desequilibre ? (ibid. : 29) que Levi-Strauss nous presente dans son maitre-ouvrage. Avec neanmoins ce paradoxe que ?tout Pelan [de son] livre tend vers la decouverte d'un invariant immuable, statique, a travers des formes ? qui lui semblent des lors ?imparfaites, contaminees, assiegees, souillees, impures ? (ibid.). Comme si, au bout du compte, l'auteur repugnait a s'engager dans la voie du structuralisme morphogenetique ou Pappelaient pour tant ses propres decouvertes. Or, a bien des egards, loin de s'attenuer avec le temps, cette attitude de retrait s'est encore accentuee lorsque Levi-Strauss a quitte le domaine de la parente pour celui du mythe. La chose est particulierement visible dans les tex tes qui datent du debut des annees soixante. Dans La pensee sauvage, il se fait grief a lui-meme d'avoir voulu chercher la genese de l'echange matrimonial (1962: 333): abandonnant les infrastructures au marxisme, et preparant la route au cognitivisme, il reduit l'anthropologie a l'etude de superstructures mentales (ibid.: 173-174), dont on ne sait pas trop si elles ont une realite propre ou si elles sont seulement le reflet de mecanismes communs aux cellules du cortex cerebral (ibid. : 328) et aux machines a traiter Pinformation (ibid. : 1. On remarquera que, dans cette description, l'echange restreint et l'echange generalise offrent l'un par rapport a l'autre, comme les variantes placees aux deux extremites d'une serie de transforma tions mythiques, ? une structure symetrique mais inversee ? (Levi-Strauss 1958 : 248). Formule canonique, mythe, rite 53 passim). Dans sa cetebre recension de Propp, il cherche a montrer que ? l'ordre de succession chronologique ? des fonctions, auquel s'en tient le folkloriste, pourrait se resorber dans une ? structure matricielle intemporelle ? qui ressem blerait a une algebre de Boole, et dans laquelle les ? deplacements de fonctions ? ne seraient plus qu'un de leurs ? modes de substitution ?(1973 :163-165). Et des le premier volume des Mythologiques, il est clair que Levi-Strauss, quant a lui, s'interesse beaucoup moins a la structure des recits mythiques eux-memes qu'aux constantes de la pensee mythique dont ils sont les temoins, et a travers elles, aux stuctures intemporelles de Fesprit humain qu'elles permettent d'entrevoir. Mais ici encore la realite est plus complexe qu'il ne semble, et ce en raison de Faction souterraine de la formule canonique, ou plus exactement de la ? relation desequilibree ? que cette formule vise a mettre en evidence (Levi Strauss 1984 : 13) et dont on pourrait dire qu'elle est omnipresente dans les Mythologiques, meme si la formule elle-meme n'y apparait qu'une seule fois (1966 : 212). En effet, une lecture attentive de la tetralogie levi-straussienne rencontre a tout moment, mais sous un jeu tres varie d'images fortement expressives, Fincessante mobilite et la capacite generative virtuellement infinie de la pensee mythique que la formule canonique s'efforce de transcrire, et qui se manifeste par F impossibility d'atteindre le dernier terme d'une serie de transformations sans amorcer par la meme une nouvelle serie, incapable a son tour de trouver jamais un equilibre stable et definitif (Levi-Strauss 1964: 346-347 ; 1966 : 211-212 ; 1971 : 581, etc.). Comme si, en depit de sa rigidite parmenidienne, la matrice intemporelle des invariants structuraux de la pensee mythique etait par courue par un flux heracliteen de transformations permanentes. La chose surprendra moins si l'on remarque que des 1955, Levi-Strauss eta blissait un lien explicite entre le processus morphogenetique que la formule canonique se proposait de saisir, et la relation desequilibree de type ? pecking order ? qu'il avait deja rencontree dans les systemes d'echange generalise, et qui exigeaient done, disait-il, ? une interpretation theorique de pdrtee plus generate ? (1958 : 252) que celle dont pouvaient s'accommoder Fun ou l'autre de ces phenomenes pris isolement. Ce n'est pas tout. Tandis que dans ses premiers ecrits, Levi-Strauss se reclame souvent de Hocart et cetebre volontiers son genie, il se separe du grand theoricien du rituel2, des qu'il aborde l'etude du mythe (1984 : 255-257) d'abord en detachant le mythe du rite, alors que Hocart les tenait pour indisso ciables, ensuite en les opposant du tout au tout (1962 : 294-302 ; 1971 : 596 611), jusqu'au point de voir dans le rituel ?pourtant matrice de toute la 2. Rappelons que Hocart (1927, 1954) a montre que les rites constituent 1'infrastructure des societes humaines et la matrice de tous les phenomenes culturels ; qu'il a etabli l'unite de tous les rites et plus precisement la possibility de deduire 1'ensemble des rituels d'un rituel prototypique dont le per sonnage central serait un etre mort, et dont le rite d'installation du roi serait le temoin le plus proche. 54 LUCIEN SCUBLA culture selon Hocart ? ? un abatardissement de la pensee consenti aux servi tudes de la vie ? (1971 : 603). Mais chose remarquable, uploads/Ingenierie_Lourd/ a-propos-du-formule-cononique-du-mythe-et-du-rite 1 .pdf
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- Publié le Oct 12, 2021
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