105 Philippe Boudon Il est naturellement, parmi les nombreux ouvrages de cet au
105 Philippe Boudon Il est naturellement, parmi les nombreux ouvrages de cet auteur , celui qui m’intéresse en raison même de l’idée de « conception » qui y est développée. Devant un auditoire qui n’en est pas familier , l’idée d’une architecturologie, à laquelle je travaille, avec d’autres, depuis une trentaine d’années, n’est pas aisée à communiquer , surtout dans le temps imparti. Je tenterai toutefois de résumer l’objet de l’architecturologie, d’une façon qui se voudrait simplement axiomatique. Mais la simplicité axiomatique étant toujours de nature à recouvrir une certaine complexité, peut-être vaudrait-il mieux parler ici, plus simplement, de principes, pouvant éclairer ce dont il s‘agit derrière ce mot : architecturologie. Premier principe : le mot architecturologie comporte un suffixe distinctif qui le distingue du mot architecture. Il serait inutile de s’embarrasser d’un tel mot s’il ne désignait autre chose qu’architecture. Pour le faire admettre ici il me suffira d’évoquer ce qu’Edgar Morin a appelé des « concepts de second ordre », qu’il propose de reconnaître par une « règle simple ». Celle-ci consiste en la présence du ‘spécifieur’ « auto », « comme dans « auto organisation », ou dans « auto réplication », etc. : « Remplacez « auto » par le terme auquel il s’applique. Si l’on prend par exemple le terme « auto réplication » il faut se rendre compte qu’il s’agit du problème de la réplication de la réplication. » « Architecture de l’architecture » : telle serait une façon de faire comprendre ici ce que j’entends par « architecturologie ». T outefois cela ne résout pas tout-à-fait le problème. D’abord parce que tout architecte peut être considéré comme architecturologue, à la façon de Monsieur Jourdain, dès lors qu’il agit de façon réflexive relativement à l’architecture qui l’occupe. Et l’on ne peut douter qu’il en aille ainsi. C’est cependant Synergies Monde n° 6 - 2009 pp. 105-110 Complexité de la conception architecturale : Conception et Représentation. Conception architecturale et complexité. Un des auteurs que cite parfois Jean-Louis Le Moigne, Arthur Koestler , fait de la bissociation un élément fondamental de la conception. Le terme indiquerait assez bien le problème qui je me poserai ici : puis-je bissocier la conception telle que je l’entends du côté de l’architecturologie (dont Jean-Louis Le Moigne me fait l’honneur de dire qu’elle est « science pionnière de la conception ») - et sciences, au pluriel, de la conception, ou sciences de conception que sont, selon André Demailly, certaines sciences, telles les sciences économiques ou les sciences sociales, ou encore ces « sciences de l’artificiel », pour utiliser la dénomination qui figure dans le titre de l’ouvrage de Herbert Simon « Sciences des systèmes, sciences de l’artificiel ». 106 un premier pas que de dire que l’architecturologie se donne d’étudier l’architecture de l’architecture. Car si l’architecte à l’œuvre d’un projet considère celui-ci dans sa singularité, la question posée par l’architecturologie, en rapport avec le caractère de scientificité qu’évoque le suffixe –logie, est de viser quelque généralité théorique dont l’architecte n’a pas le souci. La visée d’une telle généralité passant par une modélisation, je dirai quelques mots de celle que j’ai proposée en 1975 dans un rapport de recherche intitulé Architecture et architecturologie, proposition que j’ai faite à partir de deux raisonnements trouvés chez deux auteurs, le philosophe Alain et Paul Valéry . Autrement dit raisonner et modéliser . Le premier de ces deux auteurs avait déjà frappé mon attention par une phrase qui énonçait que « l’architecture est l’art de rendre la grandeur sensible », un énoncé qui m’a rendu moi-même sensible à l’importance de la grandeur en matière d’architecture et m’a amené à poser , dans un raisonnement menant à une modélisation que, en cela, l’espace architectural différait …grandement, si je puis dire… de l’espace géométrique, alors même que ce dernier est en quelque sorte « l’ outil » de modélisation de l’espace mis à notre disposition jadis par Thalès, et fondé en quelque sorte, depuis Thalès sur la proportion. Or le second auteur , Valéry, énonçait de manière radicale et qui représente un pas d’importance majeure, que « Tout change avec la grosseur ». Phrase qui résume les questions d’échelle et qui met en question non seulement la proportion, mais les figures fractales justement dites « scalantes », lesquelles échappent à toute échelle. Une autre phrase d’Alain m’avait frappé, une phrase à laquelle on peut conférer la fonction de premier axiome ou premier principe, phrase énonçant que « Tout bateau est copié d’un autre bateau ». J’y reconnaissais une sorte de micro-théorie de l’architecture, pensant à tant de temples copiés d’autres temples, de châteaux copiés d’autres châteaux, de chapiteaux copiés d’autres chapiteaux. L’une comme l’autre, la phrase d’Alain et celle de Valéry commencent par ce mot « Tout » : « Tout bateau est copié d’un autre bateau » - « Tout change avec la grosseur » : c’est ce mot, initial dans les deux propositions, qui justifie de prendre ces énoncés pour axiomes, ou à tout le moins pour des principes1, points de départ d’une réflexion théorique même si, comme on va le voir , l’une impose à l’autre sa limite, les deux ensemble formant quelque système qui les relie dans une implication mutuelle. On peut en effet reconnaître dans la première phrase d’Alain, l’idée courante de « modèle », dans la seconde, de Valéry , l’idée courante d’ « échelle ». La phrase d’Alain qui veut que tout bateau soit copié d’un autre bateau contient un fond de vérité, évocatrice qu’elle est de l’idée de modèle. Pour autant, la pertinence du modèle a ses limites, qui sont, justement, d’échelle : pour rester dans l’architecture navale (qui est celle dont parle le Socrate de Valéry) la barque ne saurait être reproduction du paquebot et vice versa. Limites qu’exprime parfaitement la phrase de Valéry que j’ai citée, qui veut que « T out change avec la grosseur » et que, pour citer encore Valéry mais dans une proposition tirée d’un tout autre texte : « ce qui est vrai de a ne l’est pas de na ». Viollet-le-Duc ne dit pas autre chose en déclarant dans une formule à vrai dire inacceptable par le mathématicien mais qui pointe justement la difficulté des relations entre mathématiques et réalité2, que « en architecture 2 n’est pas à 4 comme 200 est à 400 ». Comme je l’ai montré ailleurs, la proportion y est mise en cause de façon problématique par l’échelle, ce qui justifie de problématiser celle-ci voire de la problématiser au-delà du domaine strictement architectural3. Synergies Monde n° 6 - 2009 pp. 105-110 Philippe Boudon 107 Mais la proposition selon laquelle « tout change avec la grosseur » a également sa limite car il se peut parfois que rien ne change avec la grosseur : ne peut-on reproduire parfois une barque un peu plus grande sans trop de problèmes, ou réviser quelque peu à la baisse les dimensions d’un paquebot sans en changer pour autant radicalement le modèle, pour une raison économique ou fonctionnelle ou autre ? T out ceci peut maintenant s’exprimer symboliquement en disant qu’en architecture : 1) il y a du modèle, il y a des modèles, et 2) il y a de l’échelle, de la grandeur laquelle pose problème comme on peut largement l’observer dans le discours des architectes. Convenons d’écrire symboliquement ceci de cette façon : M, E. T outefois, malgré la simplicité de l’écriture M, E, on sent la nécessité d’y regarder de plus près car la réduction du projet du paquebot peut procéder de raisons si variées - économiques, techniques, fonctionnelles, esthétiques etc. - qu’on n’imagine pas pouvoir aborder la complexité de façon quelque peu générale. C’est l’intérêt de l’écriture M, E que de nous obliger à nous intéresser à la complexité que l’on sent sous-jacente au E laquelle est en mesure de constituer un programme de travail. C‘est un tel programme qui m’a fait examiner , en me limitant à la conception architecturale, la polysémie de ce terme d’échelle, si souvent utilisé par les architectes, et proposer de manière empirique une vingtaine d’échelles (j’écrirai désormais le mot au pluriel), échelles qu’on peut trouver à l’œuvre de façon assez courante. Je les ai appelées échelles architecturologiques et les ai définies comme autant de pertinences de la mesure : l’écriture ME devient alors, compte tenu de l’inventaire non exhaustif de la polysémie du terme : M, e1, e2, e3, e4, etc. Pour mémoire les dénominations de certaines d’entre elles en sont « échelle technique » « échelle fonctionnelle » « échelle optique », « échelle d’extension ». Prenons cette dernière : l’architecture des villes nouvelles, lors de la croissance des trente glorieuses s’est bien souvent effectuée selon une échelle d’extension, dont le plan de Toulouse le Mirail de l’architecte Goerges Candilis, assis sur une trame à 60°, est un des nombreux exemples. Or une telle échelle peut devenir modèle, comme dans le cas du plan du Musée à croissance illimitée de Le Corbusier dont le nom est significatif à et égard. Ainsi, si, dans uploads/Ingenierie_Lourd/ boudon.pdf
Documents similaires










-
75
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 19, 2021
- Catégorie Heavy Engineering/...
- Langue French
- Taille du fichier 0.4014MB